C’est seulement en Guinée que la mort d’un grand homme comme Djibril Tamsir Niane, peut passer, inaperçue. Partout ailleurs, les autorités (le président de la République, le premier ou au moins, le ministre de la Culture) auraient publié une déclaration officielle et décrété deux, trois voire cinq jours de deuil national.
Que voulez-vous, l’Etat barbare qui est le nôtre a toujours nourri pour ses élites une haine féroce et irrationnelle que l’arrivée de celui que l’on dit professeur n’a pas fléchie, bien au contraire ! C’est simple, à part l’Avenue Diallo Telli, aucune de nos rues, aucun de nos édifices ne porte le nom d’un de nos intellectuels (très nombreux et de réputation internationale pourtant !)
Si la gestion de notre économie est un échec, la gestion de notre mémoire collective, elle est une véritable catastrophe. Au point qu’on est obligé de prendre la plume pour dire aux nouvelles générations qui est Djibril Tamsir Niane.
Avec Joseph Ki-Zerbo, ce grand historien est considéré à juste titre comme l’Hérodote de l’Afrique contemporaine. Avec son célèbre livre, Soundiata, l’Epopée mandingue, il a posé la première pierre de l’édifice qui abrite aujourd’hui la mémoire du continent. Mais ce n’est pas que pour cela qu’il est inoubliable. Dès la fin de ses études en 1959, il a rejoint son pays nouvellement indépendant pour lui offrir ses talents de chercheur et de pédagogue.
Il fut le premier proviseur noir de la Guinée, notre proviseur à nous tous : à moi, à William Sassine, à Saîdou Bokoum, à Ahmed Tidjane Cissé et à bien d’autres. Fortement associé à la fameuse grève de 1961, il figure avec ses compagnons, Koumandian Keïta, Bah Ibrahima Kaba, Bah Montaga etc. parmi les tous premiers prisonniers politiques du pays. A sa sortie du Camp Alpha Yaya (le camp Boiro n’existait pas encore) il se remit aussitôt à sa passion de toujours : l’exploration, l’exploitation et la conservation de la mémoire africaine.
Devenu doyen de la Faculté des Sciences Sociales de l’Institut Polytechnique, il ne cessera de sillonner le pays avec ses étudiants pour localiser les sites historiques, faire parler les griots et les vieillards, les manuscrits et les pierres. C’est ainsi qu’en 1966, en collaboration avec des archéologues polonais, il découvrit les ruines de Guémé Sangan, l’ancien capitale des Tenguéla dans l’actuelle préfecture de Télimélé.
A la fin, il avait gravé sur bandes magnétiques des milliers de témoignages oraux couvrant toutes les périodes de notre histoire. En 1968 ou 69, ol avait d’ailleurs organisé une grande et belle exposition à la Permanence de Conakry II. Je me souviens que j’avais passé une semaine à la visiter et à m’instruire sur des sujets aussi passionnants que Soundjata Keïta, Karamoko Alpha, Zegbéla Toga, Samory, Alpha Yaya, Dinah Saliou, Bôcar Biro, Dianké Wali et autres figures illustres de notre Histoire. Sachant ce que valent les archives chez nous, je n’ose demander ce que sont devenues ces précieuses bandes magnétiques, ce trésor irremplaçable de notre mémoire collective.
J’avais avec mon ancien proviseur des relations quasi-filiales. Il m’a beaucoup guidé dans la construction de mon roman Peuls et c’est lui qui m’a suggéré d’écrire Le roi de Kahel, le roman qui m’a valu le Prix Renaudot.