L’ancien premier vice-président de l’Ufdg et aujourd’hui fondateur du mouvement Le Renouveau se prononce sur la Constitution. Pour Bah Oury, il y a eu un déficit d’enquête sur la désignation de 20 personnes considérées comme étant les principaux acteurs du changement constitutionnel. L’opposant aborde également dans cette interview le processus électoral qui risque de provoquer confusion et conduire la Guinée sur le même chemin que le Mali qui sombre dans l’instabilité.
Guinee360.com: Quelle est votre position dans le débat autour de la Constitution?
Bah Oury: Le débat en cours actuellement et qui va dans le sens d’une proposition de changement de la Constitution donne à redire. Sur le plan constitutionnel, c’est anti constitutionnel de proposer et d’indiquer qu’il y a une dynamique de changement de la Constitution. Sur le plan juridique, il n’y a aucun élément qui permet de faire prospérer cette idée en s’appuyant sur les lois en vigueur. Par contre, il y a des possibilités de procéder à des amendements ou des révisions pour permettre d’adapter certains articles par rapport à l’évolution de notre contexte sociopolitique. Dans le cas, d’une révision, on est toujours dans la même République. Les intangibilités constitutionnelles demeurent. Or, dans le cas d’un changement de la Constitution c’est comme si on met à bas le principe de laïcité, de l’unicité de l’Etat et le nombre et la durée des mandats.
Quel est votre degré d’implication dans le Front pour la défense de la Constitution?
Le Fndc est né récemment. C’est une convergence de plusieurs forces qui, pour les besoins de la cause, partagent le même avis sur la nécessité de ne pas toucher la Constitution en vigueur. Bien avant cela, les positions que nous avons sont les mêmes et nous allons continuer à les développer et à sensibiliser la population. Puisque refaire encore le koudeïsme ce serait plonger le pays dans une aventure qui risquerait de déstabiliser profondément la société guinéenne et de l’affaiblir alors qu’il y a de risque important à nos portes.
Est-ce que vous vous sentez à l’aise au sein du front d’être avec Cellou Dalein Diallo, Sidya Touré qui ont soutenu Lansana Conté pour modifier la Constitution en 2001?
C’est la raison pour laquelle dans chaque chose, lorsque vous êtes plusieurs et que vous avez des itinéraires différents qu’il faut avancer en recherchant le minimum d’accord par rapport l’objectif recherché. Au sein du front, on est tous d’accord de ne pas changer la Constitution. Je pense que le Fndc est en voie de regrouper l’écrasante majorité des forces vives du pays.
Aviez-vous pris part à l’élaboration de la liste de 20 personnalités accusées par le Fndc d’être les principaux pourfendeurs de la Constitution?
Franchement, je n’étais pas au courant qu’il y avait une liste qui était élaborée pour être diffusée. Donc, il y a eu un déficit de concertation. Je n’aurais rien dit s’il n’y avait pas des noms qui figurent sur la liste, c’est le cas notamment de l’éminent avocat sénégalais Me Boucounta Diallo. Ayant échangé avec lui récemment sur la question, j’ai trouvé que le fait de le faire figurer dans la liste n’était du tout approprié. Ce n’est pas parce qu’il est ami du président de la République qu’il est nécessairement promoteur d’un changement de la Constitution en Guinée. A ce niveau, il y a eu déficit d’enquête, de concertation. Je ne pouvais pas me taire au risque de pénaliser la réputation de Me Boucounta Diallo.
A quel moment vous vous êtes entretenus avec Me Boucounta?
Bien avant la publication de la liste.
Et après la publication?
Après la publication de la liste, on ne s’est pas encore entretenu. Je ne fais que faire ma responsabilité d’honnête homme. Lorsque quelque chose ne me parait pas conforme à la vérité, il ne faudrait pas se taire au risque de pénaliser quelqu’un d’autre. C’est la raison pour laquelle j’ai estimé qu’il était de mon devoir de rétablir la vérité en ce qui concerne la position de Me Boucounta Diallo. Et de dire à ceux qui ont pris cette initiative qu’à ce niveau-là, ils se sont trompés.
Avez-vous fait la remarque au Fndc?
Je préfère dire les choses haut et fort pour qu’il y ait plus de clarté. Lorsqu’on se retrouvera en plénière pour approfondir la discussion avec les autres membres du Fndc pour demander qu’il y ait davantage de concertation entre tous les membres, d’approfondir les réflexions pour ne pas commettre des erreurs.
A part Me Boucounta est ce qu’il y a quelqu’un d’autre sur la liste que vous estimez ne pas être impliqué?
Jusqu’à présent, je n’ai pas vu la liste. C’est certains de vos confrères qui m’ont alerté au cours des interviews sur la présence de Me Boucounta dans cette liste.
Il se dit aussi qu’une médiation est engagée de Dakar entre vous et Cellou Dalein Diallo par l’entremise de Me Boucounta. Qu’en est-il?
J’ai des bonnes relations avec Me Boucounta qui est un personnage clé dans la sous-région. Mais cette idée n’a jamais été évoquée entre lui et moi. Lorsqu’on s’est rencontré, on n’a jamais évoqué la question interne de l’Ufdg à plus forte raison de parler d’une médiation quelconque.
Aucune médiation n’est-elle envisageable?
Je sais qu’il y a des militants très actifs de l’Ufdg qui souhaitent que la crise de l’Ufdg soit résolue et que le parti reprenne sa vie sous des meilleurs auspices. Moi, je leur ai dit que je suis toujours prêt à m’asseoir autour de la table avec qui que ce soit pour parler et agir dans le sens de trouver une heureuse, pérenne et stable. Je n’ai aucune objection à ça.
Quelle est la disponibilité du camp d’en face?
Ils se sont déjà prononcés par le passé. Je ne sais pas si leur idée a évolué depuis lors.
Quels sont vos rapports avec M. Bah Ousmane de l’Upr?
J’ai des liens fraternels avec Elhadj Bah Ousmane. Son positionnement politique n’interfère pas entre nos relations personnelles. On était ensemble dans le cadre d’une alliance politique ponctuelle en ce qui concerne les élections communales à Pita. Nous avons 6 élus et je pense qu’actuellement nos relations personnelles sont toujours bonnes et nos relations politiques n’ont jamais été au-delà de ce qu’a été notre alliance ponctuelle dans la commune de Pita. Nous n’avons pas envisagé une autre dynamique en dehors de cela sur le plan politique.
Que vous inspire le comportement des anciens opposants Mouctar Diallo des Nfd et d’Aboubacar Sylla de l’Ufc devenus principaux promoteurs du changement de la Constitution?
Ça ne m’intéresse pas de parler des autres. Mais, il y a des attitudes et des comportements qui risquent de discréditer l’ensemble de la classe politique guinéenne. C’est dommage parce qu’il faut de la cohérence, de la constance et de l’honnêteté vis-à-vis des populations.
Les élections législatives ne peuvent pas avoir lieu cette année. Que pensez-vous du processus électoral?
C’est une conséquence du fait que la mouvance et l’opposition dite républicaine ont préféré gouverner ce pays par des accords politiques qui sont en réalités des arrangements pour satisfaire des intérêts personnels de part et d’autre au détriment de l’application stricte des lois de la République. Cela a dégénéré et a généré des confusions qui font que même les élections communales ne sont pas encore terminées. Les présidents des districts et les chefs des quartiers ne sont pas installés conformément au Code électoral que tous les deux bords avaient adopté à l’Assemblée nationale. (…) aujourd’hui, ils sont incapables d’appliquer le Code électoral. Ils veulent en catimini procéder à un amendement ce qui est anticonstitutionnel. Vous ne pouvez pas utiliser une loi a posteriori pour changer le mode de désignation des élus. C’est ça le principe de la non-rétroactivité de la loi. Ces gens-là ont mis le pays dans l’impasse et dans une instabilité institutionnelle où on risque de ne pas pouvoir se relever dans les 20 prochaines années.
Ne pensez-vous pas qu’à défaut d’un 3e mandat, Alpha Condé est sur le point d’obtenir un glissement au-delà de 2020 comme l’a fait Joseph Kabila au Congo?
Sur le plan constitutionnel et institutionnel, le fait de créer des instabilités fera que la Guinée manquera de visibilité sur le plan international. Sur le plan économique, les investisseurs auront du mal à faire confiance à notre pays où il y a des éléments sombres en ce qui concerne les perspectives électorales. Plus il y a des confusions, plus il y aura des antagonismes et des conflits. Et les conflits actuels dégénèreront aussi facilement que ce que nous savons dans certains pays limitrophes.
Est-ce qu’on pourrait envisager le couplage des élections législatives et présidentielles en 2020?
C’est difficile dans le contexte actuel et ce n’est pas du tout souhaitable. La Guinée n’est pas administrativement outillée pour organiser correctement aussi bien des élections législatives qu’une élection présidentielle. Même pour une élection communale, on n’est pas parvenue plus d’un an après le scrutin à finir le contentieux.
Quelle est la solution?
Ce qui est souhaitable c’est l’organisation des législatives au plus tard au premier trimestre 2020. Il nous faut une assemblée nationale dûment établie pour voir la suite des programmes en ce qui concerne la présidentielle.
Le Mali sombre dans une violence communautaire. Récemment, 95 personnes sont tuées au centre du pays. Est-ce qu’il y a de risque chez nous surtout qu’on dit que « le Mali et la Guinée sont deux poumons dans un même corps»?
Ce qui se passe au Mali est triste et tragique. Mon inquiétude c’est de voir la Guinée suivre le chemin que le mali est en train de suivre. La gestion politique du général Amadou Toumani Touré marquée par un certain laxisme de ne pas trancher les problèmes avait fini de miner les institutions maliennes et ont favorisé le développement des djihadistes et des narcotrafiquants. La crise libyenne avait fini par accélérer la crise malienne. En Guinée, nous abandons les lois au profit des accords et les problèmes ne font que s’accumuler. Faisons très attention, ne nous amusons sur le sort et la stabilité de ce pays parce que le risque est à notre porte. Ce qui se passe au mali, au Burkina Faso, au Niger, en Centrafrique, dans le Nord du Nigéria peut se passer en Guinée. Il faut tout faire pour éviter que la Guinée rejoigne ce syndrome de déstabilisation djihadiste auquel l’Afrique de l’Ouest est confrontée actuellement.