Dans une interview accordée à Guinee360.com, le président de l’Alternance démocratique pour le changement du Bloc de l’opposition constructive (ADC-BOC), Ibrahima Sory Diallo a abordé plusieurs sujets d’actualités sociopolitiques de la Guinée. D’abord, il a fustigé le mémorandum adressé au président de la transition, colonel Mamadi Doumbouya de la Conférence des coalitions. Il s’en prendre au ministre de l’Administration du territoire, Mory Condé, et au président du Conseil national de la transition (CNT), Dansa Kourouma, qui, selon lui, “s’éloignent de la trajectoire” du chronogramme de la transition. Il a également dénoncé l’appel à manifester des Forces vives de Guinée le 5 septembre 2023.
Guinee360.com : Quelle lecture faites-vous du récent mémorandum adressé au président de la transition l’invitant à recadrer la transition ?
Dr Ibrahima Sory Diallo : Ce sont des coalitions politiques qui sont au nombre de dix (10). Je crois que leur mémorandum devrait être adressé au Premier ministre qui est le garant du dialogue politique et sociale. Lorsque vous avez accepté de dialoguer avec le PM, coordinateur du cadre de dialogue, si vous avez des réserves par rapport à un décret qui violerait selon vous certaines dispositions constitutionnelles et ou transitoires, vous devez porter plainte auprès du Premier ministre qui est votre interlocuteur direct. Vouloir s’adresser au président, c’est prêcher dans le désert dans la mesure où le président s’est carrément dissocié des activités sociopolitiques de la transition. Il est le chef suprême des armées et président de la transition. Il a mis des instances à des niveaux où tout problème lié à la politique et à la société, sera débattu. Donc les gens sont partis vite en besogne. Ça montre très bien qu’ils ont un problème de connaissance politique.
Lorsque vous êtes un haut cadre du pays et que vous avez eu à diriger, si vous ne maîtrisez pas la politique, vous devez continuer dans la diplomatie privée c’est mieux. A ce titre, on peut vous affecter là où vous pourriez être utile.
Ces vieux leaders devraient accepter d’être des autorités locales au niveau de leur préfecture. Ils peuvent apporter des contributions, ils peuvent transformer ces localités que d’avoir l’ambition de continuer dans une vie politique où ils ont des maîtrises limitées. Je ne dis pas qu’ils sont immatures, mais politiquement, leur carnet d’adresse n’est pas tellement large. Ils pensent que diriger et avoir bénéficié des avantages, c’est-à-dire la largesse du pouvoir qui vous nomme à un poste ministériel, c’est une question des mérites ou c’est une force intellectuelle.
Non, aussi, toi, c’est quelqu’un qui est resté entre les quatre mures. Il dit : « bon, voilà, toi, je te mets ici pour que tu puisses m’aider ». Donc, il ne faut pas penser que comme vous avez bénéficié la confiance d’un président vous êtes supérieurs aux autres. Mais la gestion de la chose publique n’a pas besoin de l’accumulation des nombreux diplômes. C’est la bonne volonté seulement de quelqu’un qui a le pouvoir et qui veut faire de sorte que tu puisses s’occuper et résoudre des problèmes sectoriels.
Etes-vous d’accord avec les manquements dans la conduite de la transition dénoncés dans le memo ? Il parle notamment du budget exorbitant du processus de retour à l’ordre constitutionnel…
Oui ! Je dis : il se trompe de porte. Nous avions tous énuméré cette remarque, mais la manière. Nous avons mentionné cela dans le rapport du comité National de suivi des résolutions du cadre de dialogue. Nous sommes sur ce débat. Le lundi [4 septembre 2023], nous débattrons sur cette question. Donc, je me demande qu’est-ce que le président qui n’est pas technicien peut leur apporter. Je dis rien, le président ne peut pas. Le président ne connaît même pas comment ce budget a été monté. Car c’est n’est pas son travail. Tout ce qu’il sait, c’est des techniciens qui ont travaillé et ces mêmes techniciens vont le rendre compte et à son tour il consulte son cabinet juridique avant d’entériner. Et donc, ce qui devrait être plus intéressant, c’était de ramener le débat sur ce budget au tour de la table du cadre de dialogue où le ministre même en charge de ce budget est une partie présente. Il ne fallait même pas mettre ce point-là. Il fallait le renvoyer au niveau du comité de suivi.
Qu’est-ce que vous leur proposez ?
On n’a pas de solutions pour eux. Ils sont d’ailleurs minoritaires au sein du cadre de dialogue. Sur 36 coalitions qui ont participé, il n’y a que 10 qui n’ont pas voulu répondre aux appels des facilitatrices. Ils sont ultra minoritaires. C’est pour dire qu’on ne se préoccupe pas de leur démarche. On se préoccupe de ce qu’on va débattre lundi dans le comité de suivi avec le Premier ministre. C’est là, le vrai débat. C’est là où il y a tout ce qu’on veut débattre. Ils sont représentés dans ce comité. Pourquoi ne pas adresser leur mémo à ce comité-là ? Pourquoi se permettre de sauter ce comité et aller de l’autre côté ? C’est-à-dire qu’ils sont en perte de vitesse. Moi, je ne me préoccupe pas de leur humeur parce que moi, je ne gère pas les humeurs des gens. Tout ce que je gère, c’est des problèmes avec des solutions. Maintenant, lorsque moi-même, je suis à un endroit où les problèmes se discutent, où on trouve les solutions, je ne sais pas pourquoi adresser un courrier au président de la transition. C’est une façon de faire une bataille médiatique. Et eux-mêmes savent que ça ne prospèrera pas. Ils ne réussiront pas parce que nous sommes à un endroit où tout se discute.
Les autorités de la transition ont du mal à obtenir un financement des partenaires pour le retour à l’ordre constitutionnel. Que faut-il faire ?
Question réservée pour le lundi 4 septembre, on va en débattre devant le Premier ministre parce qu’on avait fait des recommandations il y a de cela deux mois, au ministère de l’Administration du territoire et de la décentralisation. Il doit accepter de venir pour qu’on discute sur les activités parce qu’il faut les compresser. Avec un budget de 600 millions de dollars, aucun partenaire ne peut nous donner ça.
Il faut réduire les activités et ramener ce ministère [MATD] à la compréhension de l’enjeu sociopolitique pour que ce ministère arrête de faire des activités isolées. Ça ne marche pas parce qu’ils sont en train de monter des budgets qui ne vont jamais répondre aux attentes. Il doit utiliser le principe de GAP. gestion accès sur le résultat.
Parce qu’une transition évolue avec les moyens de l’État et les partenaires ne viendront qu’en appui. Il ne faut pas penser qu’on peut profiter de cette transition pour vraiment retirer du financement auprès des bailleurs. Diminuons les activités qu’on a envisagées dans la transition afin que le budget de souveraineté de l’État puisse couvrir les 80% et qu’on cherche les 20% à l’étranger.
Nous sommes bientôt le 5 septembre, deux ans depuis l’accession du CNRD au pouvoir. Quel bilan politique pour le col Mamadi Doumbouya et son équipe ?
Bon, le colonel Dumbouya, jusqu’à preuve de contraire, il a un bilan positif aux yeux de mon Parti qu’on appelle ADC BOC. Il a un bilan appréciable, seulement il y a des problèmes dans certains départements. Il y en a qui sont en train de s’éloigner de la trajectoire dont le Ministère de l’administration du territoire et de la décentralisation (Matd) et le Conseil national de la transition (CNT).
Qu’est-ce que vous leur reprochez ?
Le ministre de l’Administration du territoire, c’est un acteur qui est venu de la société civile, qui a une compétence au point de vue des actions c’est-à-dire la gestion axée sur les résultats. Et je crois bien qu’il est en train de passer à côté du GAR. Lorsque vous posez des actes et que vous n’avez pas de résultat, il faut changer de méthode.
Mais si vous n’avez pas de moyens pour vraiment couvrir votre ambition, c’est-à-dire que vous êtes hors GAR. Donc cela veut dire que vous êtes en train de pêcher dans le désert et vous n’aurez pas de poissons.
Raison pour nous de rappeler à ce ministre qu’on est en train de voir des activités projetées très bien et bien organisées, mais la faisabilité est nulle parce qu’il n’y a pas encore des indicateurs qui montrent que ce qu’ils ont projeté et fait. C’est pourquoi, je rappelle à ce ministre de relire le principe de la GAR.
Qu’en est-il du CNT ?
Le CNT est en train de s’éloigner de ses objectifs. C’est pourquoi, nous demandons qu’il puisse revoir un peu le Règlement intérieur le même que celui de l’ancienne Assemblée nationale. Il faut comprendre qu’un conseiller de la transition ne doit pas ouvrir beaucoup d’activités. Il a des activités prioritaire.
Tellement les conseillers sont à l’aise, ils oublient même qu’ils ont une Constitution à rédiger. Ils se mettent à créer des activités parallèles telles que le sports, les débats d’orientation constitutionnel, des retraites sans objectifs au lieu de se concentrer sur la rédaction de l’avant-projet de la Constitution afin de situer le peuple de Guinée sur le retour à l’ordre constitutionnel. Ce qui n’est pas du tout appréciable à mes yeux. Il faut vraiment recadrer les conseillers au niveau du CNT pour qu’ils puissent comprendre qu’ils ne sont pas là pour faire la mamaya.
On n’a pas besoin de delocaliser les débats d’orientation constitutionnelle, il faut le faire à Conakry, Kindia et Mamou. C’est un faux débat et source de financement inutile. Il faut qu’on arrête. Par conséquent, nous demandons au colonel Mamadi Doumbouya, qui est le garant de la transition, de recadrer tous ces départements qui sont en train de s’éloigner de leur objectif.
Quel bilan sur le plan judiciaire pour le colonel et son équipe ?
Je suis politique, je m’aventure dans le domaine politique à savoir comment les départements fonctionnent. Quand je prends le ministre de la Justice, il fait trop de commentaires. Il fait trop de mouvements parfois qui lui coûtent très cher. Il a des problèmes avec les magistrats. Les magistrats n’agissent pas comme un politicien. Ils utilisent la loi contre vous et qui utilise la loi contre vous pourrait vous coincer. Je demande à ce ministre de revenir à des meilleurs sentiments avec ses pairs. Il ne faut pas engager des bras de fer. Moi je pense qu’il doit essayer de rectifier cela avant que les choses ne se compliquent.
Récemment, le porte-parole du gouvernement a déclaré qu’il n’y a pas de prisonniers politiques en Guinée. Pendant ce temps, des dignitaires du régime Alpha Condé dont les anciens Premier ministre, Kassory Fofana et président de l’Assemblée, Damaro Camara…
Un prisonnier politique c’est quelqu’un qui est arrêté à cause de ses opinions politiques. Je ne pense pas qu’on en trouve cela à la Maison centrale aujourd’hui. Tous ceux qui ont été arrêtés pour des faits politiques ont été purement et simplement libérés par les magistrats. Il faut les reconnaître. Par contre, on peut dire que les procureurs ne respectent pas les procédures en gardant les gens sans qu’ils ne soient mis devant un juge d’instruction.
Depuis le 5 septembre 2021, au moins 20 personnes ont été tuées pendant les manifestations à Conakry. Qu’en dites-vous ?
Bon, tout ça, je vous dis, il faut qu’il y ait ce qu’on appelle un collège de victimes. Ils doivent se lever et organiser la rédaction d’une plainte contre les présumés auteurs. Mais, je ne rentre pas dans l’interprétation des dossiers judiciaires. Je ne m’immisce pas, je suis politique et je ne ferai que de mes activités politiques.
Les autorités de la transition s’apprêtent à célébrer son 2e anniversaire, le 5 septembre 2023. Les Forces vives de Guinée projettent une marche pacifique le même jour. Qu’en pensez-vous ?
Je n’apprécie pas la décision d’aller manifester. J’apprécierai que ce jour, chaque acteur concerné fasse le bilan du CNRD, rappelle ce qui à marcher et ce qui n’a pas marcher et appelle le CNRD à rectifier le tir. Organiser des manifestations c’est contre-productif. Cela n’a pas de sens et les résultats ne seront que catastrophiques. Quand vous organisez des manifestations, vous ne marcherez pas parce que vous savez que c’est interdit. Manifester pendant que les manifestations sont interdites c’est n’est rien d’autre que de provoquer les autorités. Il y aura ainsi des violences par endroits entre les manifestants et les forces de l’ordre et ça va créer des tensions. Celles-ci vont entrainer certainement des victimes.
Imaginez lorsque vous êtes dans votre voiture et que quelqu’un vous lance une pierre si vous détenez un couteau, vous allez certainement essayer de vous défendre avec, c’est pour vous dire que cela ne va créer que des tensions. Les manifestants ne calculent pas. Pour eux, il faut créer la terreur en détruisant les biens de gens. Est-ce que c’est pour ça on manifeste ? La manifestation c’est pour un but. Aller barrer les routes, c’est un désordre public. C’est pourquoi, il faut toujours de la responsabilité pendant les manifestations.
Moi, je suis contre les violences et non les manifestations si les gens peuvent aller devant leur siège et aux carrefours sans violence, mais je sais que ce n’est pas possible. En Guinée, les gens manquent d’éducation par rapport à ça. Si vous n’avez pas été formé pour manifester sans violence, il serait mieux de ne pas manifester. Lorsqu’on veut manifester pour une cause qu’on vienne rassurer les autorités et qu’on prenne la responsabilité.