Mettre fin au régime de transition militaire en Guinée était l’objectif majeur des forces vives de la nation guinéenne (partis politiques, syndicats et organisations de la société civile).
Cette volonté fait suite à une déclaration officielle du Chef de la Junte militaire, Capitaine Moussa Dadis CAMARA, qui lors d’un meeting le 15 avril 2009 dans le quartier présidentiel de Kaloum, affirme devant la communauté nationale et internationale : « S’ils (les leaders politiques) ne reconnaissent pas le Conseil National pour la Démocratie et du Développement comme nous les avons reconnus, s’ils ne mettent pas de l’eau dans leur vin, je vais ôter la tenue militaire et je vais me présenter aux élections prochaines contre eux » . La réaction des forces vives de la nation ne s’est pas fait attendre car cela fut considéré comme une déclaration de guerre du capitaine à l’espoir de démocratie tant attendu par les Guinéens.
Une manifestation fut organisée à la date anniversaire du référendum du 28 septembre par ces derniers pour marquer le caractère solennel de l’évènement. D’ailleurs pour reprendre la formule du journal Jeune Afrique : « il semble avoir été moins périlleux de dire « non » à un général, fût-il aussi célèbre que De Gaulle, qu’à un capitaine paranoïaque » . La junte voulant rétablir l’autorité de l’Etat, de surcroît montrer leur légitimité, cette manifestation pacifique fut réprimée dans la plus grande terreur ; l’un des moments sombres de l’histoire de la République (157 morts, 1500 blessés, 89 portés disparus, 109 femmes violées) sans que justice ne soit rendue, a fortiori que les responsables soient inquiétés.
Pour tirer les conclusions de ce passé douloureux, la Guinée se dota d’une nouvelle constitution le 7 mai 2010, qui dans son préambule proclame « l’adhésion aux idéaux et principes, droits et devoirs établis dans la Charte de l’Organisation des Nations unies, la Déclaration universelle des droits de l’homme, les Conventions et Pactes internationaux relatifs aux droits de l’Homme… ». Une façon pour ce peuple blessé dans l’âme de réitérer son attachement à la démocratie, au respect des droits de l’homme longtemps bafoués.
Cette Constitution a permis au Professeur Alpha Condé de briguer la magistrature suprême de l’Etat le 21 décembre 2010.
Depuis le retour à l’ordre constitutionnel et surtout l’installation d’un régime démocratique, la Guinée ne cesse d’assister à des vagues de manifestations, qui sont de plus en plus violentes.
La tribune ici présente est le cri de cœur d’un citoyen guinéen vivant à 4187 km de son pays, qui est à la fois soucieux de la stabilité de son pays et désireux de profiter de l’occasion pour rappeler le caractère constitutionnel de la liberté de manifester, une liberté nécessaire dans toute société démocratique.
Pourquoi autant de violence dans cette cité, entre ces filles et fils qui se regardent en chien de faïence, alors même que le droit constitutionnel consacre officiellement le respect de la dignité de la personne humaine tout en le mettant à la charge de l’Etat (l’article 5 dispose que : La personne humaine et sa dignité sont sacrées. L’État a le devoir de les respecter et de les protéger) et cela dans l’exercice de leurs droits et libertés constitutionnels en général, en particulier le droit de manifester (l’article 10 dispose que : Tous les citoyens ont le droit de manifestation et de cortège) ?
Pour traiter cette question aussi délicate, il est opportun de rappeler le devoir de la puissance publique et l’obligation à laquelle chaque citoyen est assujetti : le respect des lois de la République ; car nul n’est au-dessus de celles-ci, y compris les gouvernants.
Le respect de la liberté de manifester à la charge de la puissance publique
« On ne se réunit pas pour comploter, mais ceux qui se réunissent complotent toujours » disait Benjamin Constant. Se réunir et manifester ont pour point commun l’exercice d’action collective et la communication d’une pensée par des groupes de personnes, physiques ou morales, ce qui peut constituer une inquiétude pour les pouvoirs publics. La manifestation est une réunion qui s’exerce sur la voie publique et donc c’est l’expression d’une volonté collective sur le domaine public.
Les articles 7, 10 et 23 de la constitution disposent que : « Tous les citoyens ont le droit de manifestation et de cortège…Qu’ils peuvent exercer de manière individuelle ou collective… L’Etat doit protéger et défendre les droits de la personne humaine…Il assure la sécurité de chacun et veille au maintien de l’ordre public…Une loi fixe les conditions d’exercice du droit de manifester ».
En interprétant conjointement ces dispositions constitutionnelles, il faut comprendre que le droit de manifestation est un droit garanti au plus haut niveau de l’ordre juridique guinéen : une garantie qui lui octroie valeur constitutionnelle. Pour l’heure, la Cour suprême n’a tiré aucune conséquence juridique au regard de plusieurs interdictions qu’ont subi les partis politiques et la société civile dans l’exercice de leur droit de manifester. Rappelons toutefois qu’elle peut être saisie par la voie de recours pour excès de pouvoir afin de censurer de telles illégalités.
Ce qui lui donne en principe une véritable force juridique ; contrairement à la France, où le droit de manifester n’a qu’un fondement législatif , nonobstant son caractère fondamental reconnu par le juge. La liberté de manifester en droit français est rattachée « à la liberté individuelle, d’aller et venir et au droit d’expression collective des idées et des opinions fondées sur l’article 11 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen » . Ce n’est pas une consécration de la valeur constitutionnelle de cette liberté.
Cela dit, il est important de se poser la question de savoir comment cette liberté a été traduite dans la loi guinéenne par le législateur, surtout en ce qui concerne ses conditions d’exercice par les citoyens.
Les conditions d’exercice du droit de manifester en Guinée.
Les articles 621, 622 et 623 du nouveau code pénal guinéen disposent : « Les manifestations sur les lieux et voies publiques doivent faire l’objet d’une déclaration préalable… adressée aux maires des communes urbaines ou rurales, 3 jours francs au moins et 15 jours francs au plus avant la date prévue par les organisateurs… La déclaration doit indiquer avec précision le but, l’heure, le lieu, la durée de la réunion et l’itinéraire projeté s’il s’agit d’un défilé, d’une marche ou d’un cortège… L’autorité administrative responsable de l’ordre public peut interdire une réunion ou une manifestation publique, s’il existe une menace réelle de trouble à l’ordre public».
Par ces dispositions, force est de constater que le droit de manifester est la règle et la préservation de l’ordre public est l’exception, ce qui signifie qu’une manifestation peut être interdite lorsqu’elle est susceptible de troubler l’ordre public. Pour ce faire l’autorité administrative devra légalement justifier que d’autres mesures moins contraignantes n’auraient pas permis le maintien d’ordre . Par conséquent, lorsqu’une marche citoyenne (en l’occurrence celle du Front national de défense de la constitution) fait l’objet de déclaration préalable et qu’elle ne subit aucune restriction pour risque de trouble à l’ordre public, quelles sont les précautions à prendre pour éviter toutes pertes en vies humaines ? Ce qui est le devoir des pouvoirs publics en premier lieu, mais les partis politiques et les citoyens ont également une part de responsabilité dans la mise œuvre des règles démocratiques.
Le devoir des pouvoirs publics
L’article 23 de la constitution dispose : « L’État doit…protéger et défendre les droits de la personne humaine… ».
L’être humain occupe une place importante dans la constitution du 7 mai 2010, surtout en ce qui concerne sa dignité et ses droits constitutionnels.
Tout d’abord, la dignité est définie par le dictionnaire Larousse comme étant « le respect que mérite quelqu’un ou quelque chose ». Chaque Guinéen donc mérite respect de sa famille, de son voisin, de l’Etat, sans considération ethnique, de race, de sexe et de religion. Ensuite, chaque citoyen doit se sentir en sécurité dans l’exercice de ses droits fondamentaux, surtout lorsqu’il exerce son droit de manifester. L’Etat doit prendre toutes les mesures nécessaires pour faciliter l’exercice du droit constitutionnel de manifester : comme le déploiement des forces de l’ordre pour mieux contenir la manifestation.
Les forces de l’ordre ont devoir de protection des citoyens dans l’exercice de leur droit constitutionnel de manifester, sans discrimination (la discrimination commise par une personne dépositaire de l’autorité publique est réprimée par l’article 646 du nouveau code pénal guinéen de 1 à 3 ans d’emprisonnement et d’une amende de 500.000 à 1.000.000 de francs guinéen), et sans adversité : les manifestants ne sont pas des adversaires, ce sont des citoyens. Pour ce faire, la constitution leur donne le droit de refuser un ordre manifestement illégal, conformément à l’article 6 de la constitution qui dispose que : « Nul n’est tenu d’exécuter un ordre manifestement illégal… Nul ne peut se prévaloir d’un ordre reçu ou d’une instruction pour justifier des actes de tortures, de sévices ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants commis dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions… Aucune situation d’exception ou d’urgence ne doit justifier les violations des droits humains ». Tirer à bout portant sur les manifestants est non seulement immoral, mais de surplus illégal, l’atteinte à la vie d’un citoyen est un crime imprescriptible (art 6 de la constitution), donc poursuivable à tout moment. Le changement de régime ne peut mettre fin à l’action publique.
L’Etat n’est pas le seul acteur du jeu démocratique, les partis politiques occupent une place non négligeable.
A suivre…
Mamady Diawara
Assistant Juridique, diplômé en Master Droit Public et Administration,
Université de Limoges France.
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