Il est clair et net que M. Alpha Condé veut s’éterniser au pouvoir. Il est encore plus clair qu’il est prêt à passer par tous les moyens, légaux et illégaux, pour réussir cette manœuvre. Pourquoi et comment passerait-il par la junte militaire, le CNDD, pour le faire ? Il est impératif de voir tout d’abord comment était-il passé par cette junte pour accéder au pouvoir. Ensuite, des signaux à ne pas négliger si nous voulons réussir à mieux défendre notre Constitution et notre pays seront décryptés dans cet article comme dans le précèdent.
Deuxième carte : des manipulations attendent la junte militaire en 2020
Les années 2009 et 2010 furent de celles qui ont enregistré le plus d’acrobaties politiques dans l’histoire de la Guinée. Allant des agitations aux manipulations, de celles-ci aux négociations, sans oublier les affrontements voilés ou non, toute une série de manœuvres obscures avaient conduit, par deux fois, à un changement de régime de la manière la plus banale. La Guinée surchauffée avait autour d’elle de sapeurs-pompiers déguisés comme Blaise du Burkina, Kushner de la France, ou ATT du Mali pour ne citer que ceux-là. M. Blaise Compaoré, ami inconditionnel de M. Alpha Condé, fut nommé par la CEDEAO médiateur incontournable de la crise guinéenne. M. Bernard K. ministre français des Affaires étrangères et poids lourd de la françafrique à l’époque, « frère jumeau » à M. Alpha Condé, mettait la pression sur le CNDD à partir de Paris. M. ATT président du Mali, également ami de M. Condé chez lequel d’ailleurs il célèbrera son anniversaire en grande pompe juste après son investiture, faisait son mieux pour assurer la navette entre la Guinée, le Burkina, l’UA et la France. Rien ne se perdait. Tout devait avancer au plus vite. D’autres sapeurs-pompiers qui semblaient efficacement travailler pour M. Alpha étaient repartis entre les différents partis politiques au pays ou bien étaient tapis au sein des différents gouvernements qui se succédaient au sommet. Au finish, le CNDD fut évincé du pouvoir, se disloqua de façon purement inimaginable et ses quatre leaders les plus influents, non seulement, ne se parlaient plus mais connurent des sorts différents qui les isolèrent entièrement ou presque l’un de l’autre.
M. Dadis fut envoyé en convalescence au Burkina Faso après des soins intensifs au Maroc et il y est toujours, depuis dix ans, à la solde de l’Etat Guinéen. Toumba Diakité, son aide de camp, fut accusé de coup d’Etat, exfiltré du pays et s’exila au Sénégal jusqu’à son extradition vers la Guinée quelques années plus tard.
Konaté ayant fait cadeau du fauteuil présidentiel à Alpha Condé fut envoyé en mission à l’étranger, à la solde des Nations Unies. Il y reste toujours coincé et ne jouit probablement pas de son statut d’ancien chef d’Etat car, récemment, il n’avait même plus de passeport parce que l’Etat Guinéen qu’il a dirigé et servi le lui refusait tout court. M. Pivi, bras droit de Dadis est nettement resté dans l’assiette de l’oubliette ici en Guinée. Pour couronner et certainement récompenser le tout une grande partie des ministres du CNDD est restée aux affaires avec M. Condé depuis son accession contestée au pouvoir en décembre 2010. Les leaders expatriés du CNDD ne semblent pas avoir l’autorisation de revenir en Guinée car, même lorsque Dadis perdit sa propre mère quelques années après la prise du pouvoir par M. Alpha, il ne reçût l’ordre de venir assister aux funérailles qu’en passant par le Liberia, jamais par Conakry, à condition de retourner rapidement à sa convalescence au Burkina Faso.
Ainsi dit, ainsi fait, comme le voulait M. Condé.
Le maintien en exil de Dadis et de Konaté permirent à M. Alpha de convaincre l’ONU qu’il y avait urgence de reformer l’armée et d’écarter quelques-uns tout en y infiltrant quelques autres de son choix. Des experts affirment que si M. Condé estimait avoir fini avec le CNDD à cette date, il aurait tout de suite tenu le procès des crimes du 28 septembre 2009 et aurait inculpé ceux qu’il voulait inculper et libérer ceux qu’il aurait souhaité utiliser. Comme tout habile joueur de cartes, M. Condé garde ce procès pour probablement 2020 pour, à défaut de gagner la popularité avec, occuper l’opinion publique avec, tout en concoctant à l’ombre d’autres manœuvres politiques qui ne nous arrangeraient pas.
Toutes les fois que la CPI et la communauté internationale ont parlé du procès pour les crimes du 28 septembre 2009 l’Etat Guinéen a affirmé qu’il s’en occupait de plus bel et que c’est un problème guinéen que la justice guinéenne pourrait résoudre. Cette affirmation bénéficie de la souplesse de la CPI mais aussi, de la montée d’un positionnement panafricain croissant contre cette Cour. Tout porte à croire que ce qui pourrait arriver est qu’il y ait un procès banal en 2020 après lequel notre roi pourrait en héros accorder à la junte une grâce présidentielle et inviter les victimes à la réconciliation et au pardon forcé.
Il y a quelques années une brave dame de la Guinée Forestière avait pu réunir les femmes de sa région pour réclamer le retour de Dadis en Guinée. Quelques mois plus tard elle fut nommée à de hautes fonctions au sein du gouvernement Condé juste le temps de calmer toutes ces dames et leur région avec elles. Lorsqu’elle quittait plus tard son poste, le gouvernement Condé brandissait déjà la menace de tenir dans l’urgence le procès du 28 septembre. Pourquoi le CNDD intéresserait M. Alpha à un tel point ? Parce qu’il reste toujours populaire auprès des anciens soldats de l’armée guinéenne qu’on le veuille ou non. Parce que les nouvelles recrues et les nouveaux infiltrés d’Alpha au sein de l’armée ont fait trop de bavures et démontré trop d’incompétences. Parce que toutes les fausses rumeurs de coup d’Etat fomentées par l’Etat n’ont pas servi assez à jauger la docilité douteuse de l’armée guinéenne. Parce que le CNDD est incontournable pour soigner la plaie qu’il a ouvert et qui saigne toujours en Guinée.
Pour toutes ces raisons et tant d’autres, Dadis demeure une carte Joker dans le baluchon politique du régime Alpha, et malheureusement pour lui il n’y a plus d’arguments pour justifier une plus longue convalescence au Burkina. La fausse rumeur selon laquelle la victoire d’Alpha dans les mairies de la capitale en 2010 était liée à une distribution de sacs de riz aux électeurs la veille du deuxième tour des présidentielles pourrait peut-être être reformulée et transvasée en Guinée Forestière si Dadis rentrait à l’avance sans précautions. S’il y avait une élection juste après un retour triomphal de Dadis par exemple, on pourrait sortir à tort une rumeur justifiant une victoire à toute élection ou à tout referendum de M. Condé au sud de la Guinée et personne ne pourrait le nier. Peut-être que la majorité des compatriotes serait encore amenée à simplement croire les faits en accusant les sud-guinéens à tort de naïveté politique récurrente. Et donc, avec une majorité mécanique en Haute Guinée, une telle manœuvre en Guinée Forestière, en plus de la banalisation de la Basse-Côte et de l’isolement politique du Foutah, M. Alpha croirait pouvoir se réinstaller au fauteuil, ou juste faire passer un referendum insensé, ou bien tout bonnement justifier un report des élections.
Pourquoi Dadis et Konaté sont importants à rencontrer pour le FNDC ? Parce qu’ils ont tous deux été évincés du pouvoir sous prétexte de faire respecter la constitution et ramener le pays à la voie de la démocratie. Parce qu’ils sont tous deux des artisans incontestables du tournant politique qu’a connu la Guinée en 2009 et en 2010. Parce qu’ils sont tous deux les seuls anciens présidents que connait la Guinée et leurs conseils pourraient nous réduire les effets du dérapage politique qui nous tenaille déjà. Parce qu’ils ont l’obligation morale de défendre la Constitution qu’ils ont approuvé et respecté bon gré mal gré jusqu’au bout. Cette constitution est la leur et elle est la seule que nous avons valablement héritée d’eux. Dadis et Konaté peuvent bien se racheter s’ils le voulaient en aidant, pour une dernière fois s’ils le voulaient, la Guinée. Ainsi l’audace du FNDC devrait être de resserrer les liens entre le syndicat, la société civile et l’opposition pour faire front commun et empêcher Alpha de manipuler le CNDD pour une énième fois. Dans le même ordre d’idée, le FNDC pourrait exiger la sortie et l’application des Accords politiques de 2010, autre héritage du CNDD, qui invitaient à la mise en place d’un gouvernement d’union nationale, jamais né. Ce gouvernement d’union devrait associer syndicat, société civile, opposition, junte, et mouvance.
Au même moment, la cour suprême et celle constitutionnelle mais aussi celle de la CEDEAO pourraient être saisies pour parjure du chef de l’état et pour volonté manifeste d’abus et de dégradation de la démocratie. Cette saisine pourrait inclure comme recommandation l’installation d’un Conseil National pour l’Alternance, à l’image de l’autre CNT par exemple, en remplacement de l’actuelle, invalide, assemblée nationale. Une autre recommandation pourrait être la dissolution de l’actuelle CENI, son audit complet et sa réforme pour une autonomie inaliénable. Le FNDC dispose de toutes ces cartes en main et pourrait jouer et gagner contre Alpha si elle échappait bien sûr aux manœuvres obscures de cet habile roi.
L’année 2020 sera d’une autre série d’acrobaties politiques parmi lesquelles il y aura probablement des manipulations visant à opposer l’opposition à l’opposition, le syndicat au syndicat, la société civile à elle-même afin d’empêcher tout ce beau monde de s’occuper correctement du retour à la démocratie. Les prémisses sont palpables et seront revues au prochain et avant-dernier article de cette série de jeux de cartes politiques. A la prochaine !
Tribune d’Abdoul K. Diallo
L’Agronome
Une très belle analyse politique.
Nous sommes convaincu que seul la lutte libère