La disparition forcée des activistes du FNDC met la justice guinéenne à l’épreuve. Sera-t-elle à la hauteur des attentes des populations ou se contentera-t-elle de sa rhétorique habituelle, “des enquêtes sont ouvertes”? La justice semble attachée à ses anciennes pratiques, malgré les aveux d’immixtion de l’exécutif dans le judiciaire qui ont émergé après le coup d’État du 5 septembre 2021. Alors que 56 % de la population perçoit les magistrats comme une ‘‘frange de fonctionnaires corrompus’’, selon une étude d’Afrobarometer, la justice parviendra-t-elle à déjouer ces pronostics ?
Dans la nuit du 9 juillet 2024, Foniké Mengué, Billo Bah et Mohamed Cissé, trois responsables du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC), sont enlevés à Conakry. Selon des témoignages, une équipe mixte de gendarmerie et de forces spéciales aurait été impliquée dans leur kidnapping.
Bien que la loi garantisse le droit à une assistance juridique dès l’interpellation, ces activistes n’ont pas bénéficié de cette protection, jusqu’à date, et ce, malgré les tentatives de leur avocat. En conséquence, le Barreau de Guinée a décidé de boycotter les audiences en signe de protestation jusqu’à la libération des activistes.
Réaction du Parquet Général
Face à l’indignation publique, le Parquet Général de Conakry a reconnu que l’arrestation des activistes n’avait ni convocation ni mandat de justice. Fallou Doumbouya, procureur général, a informé qu’aucun établissement pénitentiaire ne détient les personnes enlevées. Il a ordonné l’ouverture d’enquêtes conformément à l’article 41 du Code de procédure pénale et a demandé aux services de police judiciaire de rechercher les disparus et leurs ravisseurs. Le Parquet invite également toute personne, autorité ou fonctionnaire à fournir des informations pertinentes afin de faire avancer la procédure.
Témoignage de Mohamed Cissé
Mohamed Cissé, libéré après avoir été maltraité, a détaillé les conditions de son arrestation. Il a expliqué que des gendarmes, renforcés par des éléments forces spéciales, ont brutalisé les victimes et les ont conduites au Palais Mohamed V avant de les transférer à Kassa, où ils ont été emprisonnés.
Dans son témoignage, Cissé a cité le Haut commandant de la gendarmerie, le Général Balla Samoura, comme étant impliqué dans l’opération.
Le procureur général souhaite des “renseignements” pour faire avancer l’enquête. Le témoignage de Cissé, édifiant, soulève la question de savoir si la justice va réellement enquêter ou si l’affaire sera noyée.
Une justice en perte de crédibilité
La réputation des institutions judiciaires en Guinée est médiocre, avec une perception de corruption parmi les magistrats. Une étude d’Afrobarometer en 2020 révèle que 56 % des citoyens pensent que les juges sont corrompus. L’actuel ministre de la Justice, Yaya Kairaba Kaba, a renforcé ces préjugés en révélant qu’un magistrat a consulté le président Mamadi Doumbouya pour des conseils sur un dossier sensible.
L’ancien ministre de la Justice, Alphonse Charles Wright, avait critiqué la tendance à poursuivre uniquement les membres de l’ancien régime, sans évaluer de manière équitable les actions du nouveau gouvernement.
Aveux des magistrats
Lors des concertations avec le CNRD, des magistrats ont avoué avoir pris des décisions sous pression exécutive. Ces aveux, faits devant des militaires impliqués dans le coup d’État du 5 septembre 2021, jettent une ombre sur l’intégrité de la justice. Alors que l’article 552 du Code pénal punit à la “réclusion criminelle à perpétuité” tout changement du régime constitutionnel par des moyens illégaux.
Au regard de cette disposition de la loi, les auteurs du coup d’Etat auraient dû être poursuivis pour leurs crimes, les cas morts dont les corps non jusqu’à présent pas été restitués aux familles éplorées. Comme ce fut le cas des condamnations passées, comme celles d’Alpha Oumar Boffa Diallo et Jean Guilavogui à la réclusion perpétuelle ainsi que l’actuel Premier ministre par contumace dans la tentative d’assassinat contre Alpha Condé en 2011. Cela contraste avec la situation actuelle où la justice n’a annoncé aucune poursuite contre les responsables du coup d’Etat du 5 septembre 2021.
En comparant les événements, une question se pose : l’issue d’un crime peut-elle absoudre son auteur ? Comment expliquer que la justice guinéenne, qui a condamné les auteurs d’un coup d’État manqué, puisse accepter ceux ayant réussi à renverser un régime ? C’est à moment que la justice aurait dû prouver son indépendance, mais elle avait choisi de s’en accommoder.