Activiste des droits de l’homme et membre du programme Démocratie sans violence: baïonnette intelligente, Mamadou Kaly Diallo se prononce sur la situation sociopolitique guinéenne. Il invite le gouvernement à renoncer au processus électoral en attendant de corriger les irrégularités du fichier et d’achever les élections communales. Parlant du projet de nouvelle Constitution, il conseille au président Alpha Condé d’abandonner pendant qu’il est temps et met en garde contre les graves risques des violences auxquels encoure le pays. Interview!
Guinee360.com: Quelle appréciation faites-vous de l’opération de recensement des électeurs?
Mamadou Kaly Diallo: c’est une opération qui a été émaillée de graves irrégularités. On a vu de recensement de mineurs, le manque de récépissés, de machines en panne par endroit. J’étais en mission à Dakar, il n’y a pas eu d’enrôlement à cause des violences qu’il y a eu là-bas et c’est la même chose en Angola. Sans oublier que le délai a été compressé en 25 jours en violation du Code électoral qui stipule que le recensement doit avoir lieu du 1er octobre au 31 décembre de chaque année. Cela n’a pas été fait depuis 4 ans. Bref, il y a eu de graves irrégularités qui ne permettent d’avoir un fichier électoral fiable et un scrutin transparent et apaisé.
L’opposition annonce son retrait du processus électoral des législatives et promet d’empêcher le scrutin du 16 février 2020. La situation est-elle aussi préoccupante selon vous?
En tant qu’acteur des droits de l’homme, je suis préoccupé par la situation. Je rappelle qu’il est du devoir du gouvernement d’organiser des élections libres et transparentes. Et s’il est vrai que nous sommes en démocratie, il faudrait respecter les principes en donnant les chances égales à tous les compétiteurs. Mais, ce n’est pas ce qui se dessine pour ce processus en cours. Je pense que le gouvernement a intérêt à faire un arrêt sur ce processus, à appeler les acteurs politiques autour de la table pour voir ensemble comment corriger ces graves irrégularités pour obtenir un fichier électoral fiable, plus ou moins consensuel entre toutes les parties prenantes quitte à reporter les élections législatives, achever les élections communales et pourquoi pas cumuler les législatives et la présidentielle après.
Voyez-vous vraiment ce gouvernement renoncer à ce processus électoral en cours?
Le gouvernement n’a pas intérêt à s’entêter. Il a plutôt intérêt à arrêter ce processus pour corriger les graves irrégularités afin d’obtenir un fichier consensuel pour aller à un scrutin inclusif, transparent.
Et si le gouvernement s’entêtait qu’elles seraient les conséquences?
Les conséquences seraient énormes. Souvenez-vous quand le régime du feu général Lansana Conté avait voulu vaille que vaille aller au référendum en 2001, on a connu par après les Evènements de janvier-février 2007. Donc, il va y avoir l’impasse sociopolitique et le pays sera fermé parce qu’il y aura un cycle de violences. C’est clair quand l’opposition dit qu’elle n’acceptera pas de s’associer à un processus biaisé et qu’elle empêchera la tenue des élections, il faut s’attendre à un durcissement et une radicalisation de part et d’autre. C’est les affrontements avec toutes les conséquences que nous observons sur le terrain. Vous avez vu des simples manifestations qui font mort d’hommes. On est à plus 120 personnes assassinées et jusqu’à présent, les responsabilités n’ont pas été situées. Donc, si le gouvernement s’entête, il y aura de violences avec toutes les conséquences y afférentes.
Qu’elle est votre réaction après la publication officielle du projet de nouvelle Constitution?
Je demande humblement au président de la République de vouloir garder le sens du combat qu’il a mené comme il le dit souvent qu’il s’est battu 40 ans pour la démocratie, l’état des droit et le respect des droits de l’homme. Je rappelle que le fer de lance de toute démocratie, c’est le principe de l’alternance. Si bien qu’il y a eu beaucoup des violations des droits de l’homme pendant ces 9 dernières années, mais je pense qu’il lui reste encore une porte par laquelle il pourrait sortir avec honneur. C’est de renoncer à son projet conflictogène, organiser des élections libres et transparences et passer la main en 2020. En le faisant, le président pourra garder le sens du combat qu’il a mené.
Le Fndc a déjà annoncé la marche de l’ultimatum ce 26 décembre 2019 tandis que le chef de l’Etat a déclaré à Boké que le gouvernement n’acceptera plus les manifestations. Qu’est-ce que cela vous inspire?
Dans un régime où les citoyens ne sont pas permis de manifester librement sans s’attendre à des représailles, ce régime-là n’est pas démocratique, mais une dictature. La liberté de manifester est consacrée dans les principes et idéaux qui fondent la Charte des Nations unies. L’article 20 de la Déclaration universelle des droits de l’homme consacre la liberté de manifester et mieux la Constitution de notre pays le stipule en son article 10. Souvenez-vous qu’il a fallu l’appel à manifester du Fndc le 14 octobre pour que le gouvernement lève l’interdiction de manifester qui avait été instaurée depuis juillet 2018. Sinon, on se souvient bien de ce message que le ministre de l’Administration du territoire avait envoyé aux administrateurs territoriaux. Cela n’honore pas la démocratie guinéenne. (…) Quand on voit la force de mobilisation du Fndc sur le terrain, je pense que le gouvernement a intérêt à écouter et aller dans le sens du renoncement à ce projet.
Comment décrivez la situation actuelle de notre pays?
Depuis 2007, la Guinée est considérée par les Nations unies comme étant un pays post conflit parce qu’on est dans une situation de non paix et non guerre. C’est ce qui justifie la présence même du Fonds de consolidation de la paix du système des Nations unies qu’on ne voit que, sinon, dans les pays qui sortent de guerre civile. D’ailleurs, c’est le bon moment d’appeler tous les acteurs à œuvrer dans le cadre de l’alerte précoce, la prévention pour ne pas qu’on n’en arrive à l’escalade de la violence. Sinon, la situation est préoccupante, dangereuse et périlleuse.