Dans une interview exclusive accordée à notre rédaction ce mardi 22 août 2023, le responsable de communication de l’Organosation guinéenne pour la défense des droits humains (OGDH), a donné son avis sur les arguments avancés par le PM pour justifier davantage l’interdiction des manifestations de rue par la junte. Alseny Sall a profité de l’occasion pour lancer un message au colonel Mamadi Doumbouya.
Guinee360.com : Quelle est votre réaction à la sortie du premier ministre sur TV5 Monde qui a tenté de justifier l’interdiction des manifestations sur la voie publique ?
Alseny Sall : Tout d’abord il faut rappeler que manifester est un droit et tuer est un crime en toute circonstance. Le fait pour le Premier ministre de vouloir justifier l’interdiction systématique du droit de manifestation au motif que les manifestations sont synonymes de violences est contraire aux engagements internationaux de notre pays en matière des droits de l’homme, car avant tout c’est l’État qui à l’obligation de respecter, de faire respecter et de protéger les droits et libertés de chaque citoyen. C’est également à l’État qu’il revient de créer les conditions de jouissance et de l’exercice des droits et des libertés de chaque citoyen. Et en aucun cas, il ne pourrait se soustraire à ses obligations. D’ailleurs la Charte de la Transition élaborer et publier par le CNRD en son article 8 est claire la dessus : « Les libertés et droits fondamentaux sont reconnus et leur exercice est garanti aux citoyens… Aucune situation d’exception ou d’urgence ne peut justifier les violations des droits humains ». Or pour nous le fait pour le CNRD et le gouvernement de s’inscrire dans une logique d’interdiction systématique du droit de manifestation est une violation en soi de l’exercice de ce droit. Et le fait pour le Premier ministre de baser essentiellement sa motivation sur les violences commises contre les agents et la destruction des édifices publics sans faire cas des allégations des tueries et autres violations reprochés aux forces de défense et de sécurité en dit long sur l’absence d’enquêtes sérieuses qui caractérisent le traitement de ces cas.
Je pense que l’État gagnerait mieux s’il autorisait et encadre les manifestations, d’autant plus que nous sommes dans un contexte de transition ou le dialogue et le consensus doit être privilégié par l’ensemble des acteurs, notamment les autorités de la transition chargées de garantir la paix et la sécurité pour tous.
Au delà des violences, des pillages, Dr Bernard GOUMOU évoque de cas de viol pendant les manifestations. L’OGDH a t-elle documenté des cas de viol enregistrés lors des manifestations ?
Effectivement j’ai suivi cet autre pan de communication du PM dans sa tentative de justifier l’interdiction du droit de manifestation. J’avoue que personnellement j’étais vraiment surpris de cette déclaration ! Mais bizarrement, par la suite il n’a pas été en mesure de nous dire quelles sont les dispositions qui ont été prises par son gouvernement pour mener des enquêtes sur toutes les violences y compris ces viols dont il a mentionné afin que les responsabilités soient situées, les auteurs soient sanctionnés et les victimes rétablis dans leurs droits. Je pense que tout ça est vraiment inquiétant. Les autorités doivent faire mieux pour nous rassurer sur la protection de nos droits. Pour revenir à votre question, au niveau de l’OGDH nous n’avons pour le moment documenter un cas de viol enregistré à l’occasion des manifestations qui ont eu lieu sous le régime du CNRD.
Au moins 24 personnes ont été tuées pendant les manifestations. Plusieurs acteurs sociopolitiques sont en exil, tandis que d’autres sont interdits de sortir du pays. Peut-on dire que la démocratie est menacée en Guinée ?
Écoutez le peuple de Guinée, particulièrement sa jeunesse a payé un lourd tribut ces 20 dernières années dans la lutte pour l’instauration d’une démocratie en Guinée. En dépit des défis qui persistent encore, je pense qu’il y a des acquis qui ont été obtenus des hautes luttes qu’il faut tout faire pour préserver. Pour revenir à votre question, l’arrivée du CNRD dans un contexte de crise politique avait suscité beaucoup d’espoir. Mais au fil de la transition, nous avons aujourd’hui des signaux inquiétants qui pour nous sont une menace réelle pour la démocratie dans notre pays. L’un des piliers fondamentaux de toute démocratie reste le principe contradictoire dans la gestion des affaires de l’État. Or, comme vous le savez depuis un certain temps nous assistons de plus en plus à des restrictions à ce principe et des libertés des citoyens. L’absence d’un cadre de dialogue consensuel entre le CNRD et des acteurs représentatifs de la nation sur la conduite de la transition reste également une menace sur la démocratie et la paix publique.
Votre message à l’endroit de la junte ?
Pour nous le Colonel Mamadi DOUMBOUYA qui a pris l’engagement le 05 septembre de réussir cette transition avec le soutien des Guinéens doit prendre du recul et écouter la partie de son peuple qui ne se retrouve pas dans ce qu’il est entrain de faire. Il doit privilégier le dialogue et le consensus et accepter de parler avec les acteurs représentatifs de la nation afin d’éviter les erreurs du passé.