Conformément au chronogramme de la transition établi de commun accord entre la Cedeao et le Cnrd, il ne reste plus que 11 mois avant la fin de la transition guinéenne. Le retour à l’ordre constitutionnel est-il déjà compromis ? Quelles sont les raisons de la trêve liée aux manifestations ? Dans cette interview, le responsable chargé des opérations du Fndc accuse les autorités de la transition de ne pas respecter le calendrier. Ibrahima Diallo prévient qu’au moment venu, les Forces vives vont dévoiler aux populations ce qui est envisagé pour mettre fin à la dictature du Cnrd. Diallo condamne également le report de l’élection présidentielle au Sénégal, soulignant l’importance de préserver la démocratie dans la sous-région.
Guinee360.com : Il reste 11 mois avant l’expiration du chronogramme de la transition. Croyez-vous qu’on peut revenir à l’ordre constitutionnel à la date du 31 décembre 2024 ?
Ibrahima Diallo : Il faut d’abord noter qu’il y a un retard considérable dans la mise en œuvre des 10 activités du chronogramme de la transition convenu entre le Cnrd et la Cedeao. Il n’y a pas de volonté politique remarquable des autorités de la transition pour un retour rapide à l’ordre constitutionnel. En tant que Fndc, acteur de la société civile, nous considérons que le Cnrd est toujours dans le délai.
Ne pensez-vous pas qu’un glissement est inévitable?
Nous entendons dire que le glissement est consommé. Non! Pour nous, le Cnrd doit respecter le délai de 24 mois, il lui reste encore 11 mois. Nous pensons que le Cnrd va tout mettre en œuvre pour ajuster le chronogramme de la transition dans le seul but de respecter la parole donnée. Nous avions entendu le ministre porte-parole du gouvernement dire que “le président de la République a déclaré qu’il ne fera pas 24 heures à la tête de la transition guinéenne après l’expiration du délai. Ça nous rassure déjà et nous pensons que le président de la transition va tenir parole et aller vite pour le retour à l’ordre constitutionnel dans un climat apaisé, d’inclusion, avec tous les acteurs sociopolitiques.
Dans son adresse à la nation, il n’a évoqué que l’adoption de la nouvelle Constitution, omettant de mentionner le retour à l’ordre constitutionnel. N’est-ce pas une source d’inquiétudes ?
C’est vrai une source d’inquiétudes et ce sont des indicateurs qui prouvent que le retour à l’ordre constitutionnel n’est pas une priorité pour le Cnrd. Un tel discours devrait fixer les échéances électorales avant la fin de cette année. Mais le président de la transition n’a mentionné que deux choses. La première, c’est la mise en place des délégations spéciales qui visent à renforcer davantage la mainmise du Cnrd sur les collectivités locales. La seconde c’est l’organisation du référendum constitutionnel pour laquelle aucun delai n’a ete fixé. Aujourd’hui, les Guinéens ne savent absolument rien sur la nature de la Constitution dont on parle. Je vous assure qu’on est dans un flou total. Mais ces deux éléments là prouvent à suffisance, les observateurs peuvent être d’accord avec moi, que le Cnrd n’est pas dans l’esprit du retour à l’ordre constitutionnel à la fin de cette année conformément au chronogramme qu’il a souscrit avec la Cedeao.
Le manque de volonté de la junte peut-il expliquer les restrictions des libertés que nous vivons en ce moment dans le pays ?
Ce sont des actes qui ne sont pas pris de façon fortuite. Le Cnrd sait bien qu’il n’est pas en phase avec l’opinion publique. Sachant que les voix continuent à s’élever contre la corruption, la violation des droits de l’homme, le retard dans l’exécution des activités du chronogramme de la transition, c’est pourquoi ils ont trouvé normal d’interdire non seulement les manifestations et de limiter l’accès aux réseaux sociaux. C’est aujourd’hui le moyen de communication le plus indispensable permettant aux citoyens de s’informer et de s’exprimer par rapport à la situation du pays. Ils ont décidé de restreindre parce que l’opinion n’est pas avec eux. Si la majorité faisait des éloges du Cnrd sur les réseaux sociaux, il n’allait pas prendre la décision de les restreindre. Les médias aussi font face à cette situation parce que c’est à travers eux que nous, responsables de la Société civile et de la classe politique qui ne sommes pas en phase avec ce qui se passe, prenons la parole pour dénoncer la gestion de la transition. C’est ce qui amène le Cnrd à vouloir étouffer toutes les voix dissonantes, instaurer un climat de peur en espérant se maintenir au pouvoir aussi longtemps que possible. Mais, je pense qu’il se trompe.
Qu’est ce qui explique l’arrêt des manifestations que vous aviez entamées alors que la junte continue de dérouler son calendrier ?
A un moment donné, nous avons vu venir ce qui est en train de se passer aujourd’hui, la crise sociale et économique. Mais vous savez quand le facteur politique intervient, ça masque les conséquences des crises socioéconomiques. Parfois, il faut laisser libre cours à la crise sociale, à la crise économique de pouvoir se manifester librement. C’est pourquoi, à un moment donné, nous avons estimé qu’il faut qu’on observe une petite trêve liée aux manifestations pour réfléchir sur des nouvelles stratégies et de les adapter à travers cette situation, cette nouvelle dictature qu’on avait pas prévue le 5 septembre 2021. Les Guinéens ne pensaient pas qu’on pouvait retomber dans ça. Nous-mêmes en tant que leaders du Fndc, après tout le combat mené contre le 3e mandat, on ne pensait qu’on allait devoir reprendre un autre combat pour le retour à l’ordre constitutionnel. Cela nous impose un temps de réflexion, d’élaboration des stratégies et des approches nous permettant de faire face à cette nouvelle dictature. Parce que ce qui a été valable contre Alpha Condé ne peut pas être forcément valable contre cette nouvelle dictature. Je pense qu’au moment venu, le Fndc et tous les acteurs membres des Forces vives diront à la population guinéenne ce qu’on envisage de faire pour mettre fin à cette situation.
Il semblerait que ça ne va pas au sein du Fndc. Qu’en dites-vous ?
Non pas du tout. Vous savez que nous appartenons à une dynamique collective. Depuis qu’on a mis en place les Forces vives, le Fndc, seul, n’a pas appelé à manifester. Nous l’avons toujours fait avec les Forces vives. Mais, le Fndc est en train de réagir indépendamment de cette action collective, de prendre la parole, d’échanger avec nos partenaires pour les impliquer dans la nouvelle dynamique de recherche de bonnes stratégies face à cette nouvelle situation. Les citoyens peuvent être rassurés par rapport à ça.
Après le site de l’aéroport de Conakry, celui de l’Office de Régulation des Agences de Sécurité et de protection Civile (ORASPC) a, à son tour, été piraté par Anonymous 224. Paradoxalement, il reprend les slogans du FNDC. Est-ce que vous êtes impliqués dans ce piratage ?
Anonymous est une organisation connue qui se bat pour l’expression libre sur internet, les réseaux sociaux. Elle est indépendante dans ses initiatives. Donc, si elle a observé que les réseaux sociaux sont coupés en Guinée, bien entendu elle prend ses responsabilités. Mais cela n’a aucun lien avec le Fndc. Ce n’est pas le Fndc qui a demandé à Anonymous de faire. Il faut savoir que nos slogans sont publics, libre à tout le monde de s’en approprier. Si ça peut aider tant mieux.
Comment réagissez-vous par rapport à la situation au Sénégal où le président Macky a décidé de reporter l’élection présidentielle ?
Je condamne cet acte posé par le président Macky Sall qui viole les lois sénégalaises. Après avoir renoncé à briguer un 3e mandat, il devrait faire preuve de responsabilité pour organiser les élections conformément aux échéances fixées par la Constitution. J’apporte tout mon soutien au peuple sénégalais, aux organisations de la société civile partenaires au Fndc. Toute la communauté internationale devrait se faire entendre pour condamner la violation de la Constitution. Sans le savoir, peut-être, Macky Sall est en train d’affaiblir les initiatives régionales. Nous avons vu les coups d’État au sein de la Cedeao, le retrait des 3 pays sahéliens, tout ça fragilise l’institution sous-régionale.
Jusque-là, le Sénégal est une référence en matière de démocratie dans la sous région. Est ce que ce qui s’y passe, en ce moment, ne risque pas d’encourager les putschistes comme le Cnrd à retarder le retour à l’ordre constitutionnel ?
Le peuple sénégalais est en train de se battre pour faire respecter la Constitution, je pense qu’il reviendra au peuple de Guinée, le moment venu, de se battre pour faire respecter le Chronogramme de la transition. Ce qui se passe dans la sous région semble donner raison à ceux qui pensent qu’il n’y a pas de bons dirigeants, il n’y a que des peuples exigeants.