A l’occasion de la journée africaine de lutte contre la corruption, ce mardi 11 juillet 2023, Guinee360.com a interrogé le conseiller régional Afrique de l’ouest et du Centre à Transparency international. Samuel Kaninda explique comment le problème de corruption entrave ou ralentit la trajectoire du continent dans son ensemble vers le développement. Il se penche sur le cas spécifique des pays en transition militaire dont le Mali, la Guinée et le Burkina Faso. L’expert déplore aussi le fait que certains dirigeants politiques peuvent instrumentaliser la lutte contre la corruption pour nuire à leurs adversaires. Toutefois, souligne-t-il, être opposant n’exonère pas ou n’exempte pas de la reddition des comptes. Interview !
Guinee360.com : Depuis 2016, le 11 novembre de chaque année est célébré la journée africaine de lutte contre la corruption. Quelle est la situation globale de ce phénomène en Afrique ?
Samuel Kaninda: Cette année, en observant la 7e journée africaine de lutte contre la corruption, cela coïncide avec les 20 ans de la Convention de l’Union africaine (UA) sur la prévention et la lutte contre la corruption. Ce qui est un anniversaire marquant et qui permet aux Etats africains de réfléchir sur cet engagement fort qu’ils avaient pris d’il y a 20 ans. C’est vrai que tous n’avaient pas ratifié en ce moment-là, mais l’instrument avait été adopté en cette année. Ce n’est que quelques années plus tard avec la ratification d’un certain nombre de pays que la Convention est entrée en vigueur. D’abord, c’est instrument est un engagement fort de s’accorder sur un instrument fédérateur par rapport à la lutte contre la corruption en Afrique qui établit les règles générales en termes de cadre normatif, quelles sont les dispositions légales, institutionnelles qu’il faudra avoir pour juguler ce problème de corruption qui entrave ou ralentit la trajectoire du continent dans son ensemble vers le développement.
Par la suite, plusieurs Etats ont adopté des lois qui répondent aux dispositions de la Convention de l’Union africaine, mis en place des institutions de lutte contre la corruption. Mais il s’observe qu’il n’y a pas eu de progrès considérables, il y a des avancées çà et là. Le continent reste toujours à la traine par rapport aux résultats. C’est-à-dire que la plupart des outils à commencer par le nôtre qu’est l’Indice de perception de la corruption (IPC), l’Indice de gouvernance de la Banque mondiale et même ce que produit Mo Ibrahim, on voit dans l’ensemble qu’il y a des secteurs ou des indicateurs où certains Etats se comportent bien, mais globalement, le continent à beaucoup à faire.
Quelle est la situation dans les pays en transition militaire ?
Vous avez fait allusion à certaines crises que nous connaissons en Afrique de l’Ouest, notamment la Guinée, le Mali et le Burkina Faso qui ont connu récemment des coups d’Etat militaire. Les renversements de pouvoir ce sont des pratiques que nul n’encourage. Mais s’il faut s’attaquer au fond, nous verrons que c’est par rapport à de déficit gouvernance, le fait qu’il n’y ait pas de transparence, de redevabilité. Quand on ne donne pas les choix aux citoyens cela peut donner libre cours à ces genres de changement de régime qui ne sont pas à encourager.
Maintenant, il faut voir les causes profondes pour éviter la récurrence de ce genre de situation. Les causes profondes se trouvent dans le modèle de gouvernance. Est-ce que c’est suffisamment inclusif, participatif ? Est-ce que les citoyens ont le sentiment que les ressources nationales sont redistribuées de manière équitable en prenant en compte les besoins des plus démunis ou les groupes les plus vulnérables? C’est toutes ces questions qu’il faut mettre sur la table. Il reste donc du chemin à parcourir. Certes, il y a des instruments, mais les instruments eux-mêmes ne suffisent pas sauf quand on en fait un usage pour l’intérêt général, pas pour des intérêts privés.
Les régimes militaires sont-ils suffisamment préparés pour lutter contre la corruption ?
C’est possible si la lutte contre la corruption est mise en priorité. Mais, il s’observe que vu les modes par lesquels ces régimes de transition sont venus, la lutte contre la corruption fait partie des discours, mais dans la pratique elle ne semble pas prendre la place qu’il faut. Dans le cas de la Guinée, il y a la Cour de répression des infractions économiques et financières (CRIEF), la mise en place de ces institutions envoie un signal positif. Il faut maintenant que dans la pratique, les observateurs, à commencer par les citoyens, sentent que cela procède d’une volonté de changer fondamentalement les choses, mais pas une réaction conjoncturelle qui prend parfois la forme des représailles contre ceux qui ne sont pas en accord avec le régime en place. Puisqu’il ne faudrait pas se livrer à des procès d’intention, les citoyens pourraient observer dans la durée parce qu’on sait souvent quelles sont les allégations faites. Et ceux qui travaillent sur les questions de corruption peuvent aussi avoir des éléments qui peuvent permettre d’apprécier l’effectivité et l’efficacité des institutions mises en place. Vu que ce sont des régimes de transition, il est important que les questions de lutte contre la corruption soient prises en charge. Dans le cas de la Guinée, il y a déjà la CRIEF, des dispositions sur le plan légal dont il faudrait peut-être plus renforcer cet arsenal qui existe.
La restriction de l’espace civique comme c’est le cas actuellement en Guinée peut-elle influer négativement sur la lutte contre la corruption?
L’autre point important c’est celui de l’espace démocratique et civique parce que c’est de cela aussi que se nourrit la lutte contre la corruption. Les citoyens qui observent, y compris les journalistes, peuvent s’exprimer. C’est louable le fait qu’il y ait des institutions. J’ai mentionné pour le cas de la Guinée, au Mali aussi il y a l’Office de répression de l’enrichissement illicite et de la lutte contre la corruption qui a d’ailleurs organisé récemment un grand événement panafricain et international. D’autre part, il y a la question des libertés publiques et l’espace démocratique qui permettent aux journalistes, aux acteurs de la société civile et même aux acteurs politiques qui ne partagent pas forcément la même opinion que ceux qui sont au pouvoir de s’exprimer. C’est de cela aussi que se nourrit la lutte contre la corruption. Mais aussi la justice devrait faire son travail de manière distributive et impartiale.
En Guinée, la majeure partie de personnes poursuivies sont des anciens dignitaires. Leurs proches parlent de l’instrumentalisation de la lutte contre la corruption pour écarter des potentiels acteurs politiques à même de contrecarrer les velléités de la junte. Qu’en pensez-vous ?
La justice est un levier central de la lutte contre la corruption. Si la justice joue son rôle, si tous les intervenants sont mis dans les conditions de fonctionner sans influence de la part des dirigeants politiques, vos parallèles ne sont pas possibles. Si toutes les conditions ne sont pas remplies, je ne dis pas toute l’institution, mais il est possible que quelques éléments dans le système soient instrumentalisés. Dans le cas de la Guinée, il faudrait que dans les actes, il soit prouvé qu’il ne s’agit pas des mécanismes qui vont servir pour éliminer des adversaires politiques. Nous n’avons pas d’éléments pour dire que c’est forcément le cas. Il ne faudrait pas aussi qu’à chaque fois qu’un opposant aujourd’hui qui était aux affaires hier est interpellé par la justice que l’on crie à la chasse aux sorcières. Il faut voir est-ce que les accusations sont fondées? Dans ce cas, est-ce que la justice peut suivre son cours? Il ne faudrait pas aussi penser qu’être acteur politique exonère ou exempte de tout même pour des actes qui sont avérés. Cela aussi promeut l’impunité ce qui serait un problème. Donc, il faut trouver le juste milieu et s’assurer que les acteurs du système judiciaire fassent leur travail en toute indépendance. Cela devrait se constater dans les faits.
Est-ce qu’un gouvernement qui n’a pas fait de déclaration des biens peut-il véritablement lutter contre la corruption?
C’est possible, mais c’est une mesure que nous prônons. Votre question soulève le problème de l’enrichissement illicite de ceux qui sont aux affaires. Un moyen de prévenir cela c’est d’avoir une idée sur les biens. Si cela n’a pas changé, au Niger, les déclarations des biens sont accessibles publiquement, notamment pour le chef de l’Etat. Dès que vous savez que vous avez fait la déclaration des biens et qu’on peut suivre soit à la sortie c’est un moyen dissuasif par rapport à l’enrichissement illicite qui se fait moyennant la corruption sous forme de détournement des deniers publics.