Dans cette interview, nous abordons avec le président par intérim de la Coalition nationale des organisations de la société civile (Conasoc) plusieurs sujets allant de l’évaluation des ministres, la situation au Sénégal et le coup d’Etat au Niger. Moussa Sangaré estime que le Premier ministre doit publier les résultats de l’évaluation pour que la population soit informée sur qui fait quoi. Par ailleurs, il juge la menace d’intervention armée pour réinstaller Bazoum au pouvoir comme inopportune. Pour mettre fin aux putschs dans la sous-région, l’acteur de la société civile invite la Cedeao à s’attaquer aux causes et non aux conséquences. M. Sangaré évoque aussi la situation au Sénégal avec l’emprisonnement de l’opposant Ousmane Sonko et la dissolution de son parti.
Guinee360.com : Quelle lecture faites-vous de l’évaluation des ministres ?
Moussa Sangaré : L’évaluation des ministres est salutaire dans la mesure toute action de l’homme doit être suivie. Chaque ministre a eu une lettre de mission, les ministres ont déposé des plans d’actions opérationnels budgétisés. C’est l’évaluation qui va permettre de savoir à quel niveau ils en sont. Il faut qu’on s’habitue à la réédition des comptes. Le seul problème c’est qu’on ne voit pas les résultats de ses évaluations. Il faudrait que le peuple de Guinée sache quels sont les ministres qui ont été à la hauteur des attentes, ceux qui sont médiocres. Après, c’est de voir s’il faut renforcer les capacités de ses ministres ou s’il faut les remplacer. Parce qu’on n’a pas besoin d’instabilité. Il suffit qu’un seul ministère soit en faute pour qu’il y ait des troubles. Il faut savoir que l’évaluation n’a de sens que si on publie les résultats. Quand on fait le bac, on proclame les résultats de telle sorte qu’on connaît les admis et les non admis. En tant qu’acteurs de la société civile, nous saluons l’initiative de faire un suivi rapproché de toutes les actions. Mais, il faudrait qu’on sache quels sont les ministres à la hauteur. En plus, il faut que nous soyons informés sur les critères qui ont prévalu à cette évaluation. A part les ministres, une évaluation régulière de tous les directeurs, bref tous les fonctionnaires. Je pense que si on anticipe, on peut éviter d’envoyer les gens à la Crief. Cela se passe par le suivi. Si on laisse quelqu’un gérer pendant un ou deux ans sans évaluation, il peut arriver qu’il ait commis des erreurs. Je pense qu’on a fait des grandes réformes en Guinée, il y a eu beaucoup d’investissements. La seule chose qui manque c’est le suivi. Prenons l’exemple sur la construction des routes. On remarque une dégradation rapide sur certains tronçons, si l’évaluation se faisait au fur et à mesure, on l’aurait évitée. Malheureusement, on constate qu’il y a trop de complaisance. Il ne faudrait pas que le Premier ministre fasse des faveurs à tel ou tel ministre.
Donc vous voulez de la même manière que les examens nationaux que les résultats de l’évaluation des ministres soient publiés ?
Ce n’est pas un concours où il faut faire un classement pour dire tel est premier et tel est dernier. Mais chaque ministre par rapport à ce qu’il a prévu. Est-ce qu’il a été performant ? Il ne peut pas y avoir de classement. Par exemple, si le ministre de l’Education avait prévu de construire 10 écoles, mais à la fin de l’année on observe qu’il en a construit que 9, on peut dire qu’il est à 90%. Mais si un ministre des travaux publics n’a construit que 2 kilomètres de route sur les 100 qu’il avait promis, on dira qu’il est à 2%. Cela ne veut pas dire qu’on va comparer les deux ministres là. L’évaluation c’est par rapport aux indicateurs. Un ministre peut n’avoir pas réalisé des actions visibles, mais les indicateurs peuvent montrer qu’il a fait des réformes structurelles. Le Premier ministre doit publier les résultats. Nous exigeons de connaître les résultats. Cela nous permettra de ne pas avoir des jugements de valeur.
Certains ont exprimé des doutes sur la composition du comité en charge de l’évaluation, composé notamment par des anciens ministres sous Alpha Condé. Qu’en pensez-vous ?
Qui qu’il soit, ancien ou nouveau, on doit éviter de jeter l’anathème sur tout le monde. Il y a des nouveaux qui ne font rien. Tous les anciens n’ont pas été mauvais. En plus, on ne peut pas changer tous les anciens. Je ne suis de cet avis. Ceux qui n’ont pas bien géré, ils doivent répondre. Prendre des compétences qui ne traînent des casseroles, les mettre à l’œuvre ce n’est pas mauvais en soi. Si on stigmatise tout le monde en disant que tous ceux qui ont travaillé avec Lansana Conté et Alpha Condé ne doivent plus travailler, on aura zéro cadre. Certains qui sont dans l’administration aujourd’hui sont venus avant Alpha Condé. L’administration c’est la continuité, c’est les régimes qui peuvent changer.
La Cedeao menace la junte nigérienne d’une intervention armée. La Guinée s’est désolidarisée à cette mesure. Qu’en pensez-vous ?
Avant de voir les conséquences, il faut voir les causes. C’est l’échec des élites africaines qui est à la base de coup d’Etat. Dans nos sociétés, l’entité la mieux organisée c’est l’armée. On a éloigné l’armée du pouvoir partout en Afrique. Mais quand les civils sont au pouvoir c’est la déliquescence de l’Etat, le népotisme, les détournements. Tous les coups, les auteurs ont le même message, mauvaise gestion, dilapidation des biens. Tant que les élites au pouvoir continueront de s’accaparer des biens de l’Etat, il va y avoir des crises qui vont provoquer des tensions. Dans la plupart de ces pays, il y avait des tensions, des manifestations récurrentes qui engendrent la répression. Lorsqu’il y a trop de morts, les militaires ont peur parce qu’en cas d’enquête c’est eux qui seront pris. Dès qu’elle constate les prémices, l’armée prend la décision de rétablir la sûreté dans le pays. Quand l’élite échoue, l’armée s’invite à la politique. En tant qu’acteur de la société civile, par principe, nous ne voulons pas de coup d’Etat. Maintenant, si la Guinée, le Mali et le Burkina Faso croisent les bras jusqu’à ce qu’on attaque le Niger, ils seront les prochains. La Cedeao a brandi ces menaces depuis longtemps. La Cedeao a brandi la menace d’une intervention armée. L’Algérie a dit qu’elle interviendra en cas d’attaque contre le Niger. Parce que la déstabilisation du Niger va déstabiliser l’Algérie. La Mauritanie va intervenir parce que c’est tout le Sahel qui sera déstabilisé. J’ai lu que le Sénat du Nigéria a voté contre la participation de son armée à toute intervention au Niger. La Cedeao ne doit pas être un organe au service des chefs d’Etat. J’ai bien aimé le discours de George Weah qui dit que si la Cedeao veut prévenir les coups d’Etat militaires, elle doit d’abord empêcher les coups d’Etat constitutionnel. En Côte d’Ivoire, Ouattara est à son 3e mandat. Au Togo, Faure Gnassingbé a fait 4 mandats. Au Tchad, c’est le Fils d’Idriss Débi qui est au pouvoir après un coup d’Etat. Mais la France est venue l’adouber. L’actuel président de l’Union africain, le président comorien, mais c’est une déception. C’est un ancien putschiste qui, aujourd’hui, veut se blanchir. Il n’est pas un bon modèle puisque c’est quand il avait fait le coup d’Etat, il avait fermé la Cour suprême et celle qui était là pour la répression des crimes économiques. Les donneurs de leçon doivent être des modèles. Ne soyez pas étonnés que l’échec de l’élite africaine pousse l’armée à prendre le pouvoir. Bref, je suis contre l’intervention armée. Le problème du Niger doit être réglé de la même manière que dans les autres pays.
Est-ce qu’il y a de risque de contagion dans d’autres pays de la sous-région ?
En Sierra Leone, une tentative de coup d’Etat contre le président Maada Bio a été déjouée. Il y en avait le même cas en Guinée Bissau. Par principe, je suis contre les coups d’Etat.
Comment analysez-vous la situation au Sénégal ?
Macky Sall a des intentions, mais il a peur. Imaginez dans un pays qu’on considère démocratique, on dissout un parti politique. Ousmane Sonko peut voler un téléphone ? Quelqu’un qui a le soutien de la jeunesse et est venu 3e d’une élection présidentielle. Il faut trouver un autre argument Vous avez vu les élites africaines créent le chaos pour s’installer. Cela expose le pays. Tout ce qui va advenir, Macky est responsable. Ne soyez pas étonné d’entendre autre chose au Sénégal. Aujourd’hui, un président qui crée l’instabilité dans son pays, il risque de sauter. Quand Bazoum dit que les terroristes sont mieux entraînés que l’armée, mais c’est une honte pour un président.
Réalisée par Abdoul Malick Diallo