Une polémique est née entre le premier président de la Cour d’appel de Conakry et le Conseil de l’ordre des avocats à la suite de la prestation de serment, lundi 16 septembre 2019, des 11 avocats stagiaires admis au concours du Certificat d’aptitude à la profession d’avocat (Capa) organisé en 2018.
Organisé tous les 3 ans depuis 2009, c’est dans cette logique que par sa résolution du 26 février 2018, le Conseil de l’ordre des avocats a décidé d’organiser le concours en vue du Certificat d’aptitude à la profession d’avocats (Capa) pour un besoin de 15 avocats stagiaires.
Une commission avait été créée pour vérifier, non seulement, l’authenticité des diplômes, mais aussi toutes les informations relatives à l’existence ou le passage des candidats dans un cabinet d’avocats.
Et 224 juristes avaient payé les frais de participation fixés à 500 000 FG non remboursable pour participer à l’examen. Le Capa se déroule en deux phases. 65 candidats ont été déclarés admissibles à la phase de l’épreuve écrite.
Contre toute attente, à quelques jours de la proclamation des résultats, seul habilitait à organiser ce concours, le Conseil de l’ordre prend une autre résolution datant du 20 août 2018 ayant abouti au procès-verbal de délibération du jury du 22 août 2018 augmentant le nombre de stagiaires à 35 au lieu de 15 initialement prévus.
Une modification qui, apparemment, violait l’article 12 du décret D/2008/037/PRG/SGG portant organisation en vue de l’examen du CAPA qui stipule: «Le conseil de l’ordre arrête pour chaque année avant le 30 juin le nombre de stagiaires pour l’année judiciaire suivante».
Cette modification, Me Jocamey Haba l’a justifiée en ces termes au cours d’une conférence de presse jeudi 19 septembre 2019: «le jury du concours a décidé de faire des recommandations au bâtonnier en tenant compte de besoins que les justiciables ont puisqu’à l’intérieur, très généralement, il n’y a pas d’avocats. On a donc demandé à l’ordre des avocats de faire en sorte qu’on augmente. C’est pourquoi, on a augmenté 20 pour atteindre 35».
Ainsi, 35 candidats ont donc été déclarés admis après les épreuves écrites dont 11 ayant obtenu la moyenne 12/20.
La composition du jury
Par rapport à la composition du jury du concours, Me Jocamey Haba, a précisé: «Il y a qu’avant chaque concours que le bâtonnier écrive au Garde des Sceaux qui désigne deux magistrats, un professeur d’université et deux avocats. Le jury, présidé par le bâtonnier, est une autorité administrative indépendante avec pour mission l’organisation du concours et l’arrêt des résultats».
«Les faucons de la Cour d’appel»
Voilà qu’après le concours, les 35 avocats stagiaires retenus après la phase écrite, ont décidé d’attaquer le procès-verbal du jury, mais également la décision du bâtonnier. Le Barreau avait soulevé «le défaut de qualité des mandataires» et obtenu gain de cause devant la Cours suprême.
Après cela, les 11 avocats stagiaires ayant obtenu la moyenne 12/20 vont saisir la Cour d’appel. A ce niveau également, «le Conseil de l’ordre fait remarquer à la cour d’appel qu’elle n’a nullement la compétence de modifier le procès-verbal d’un jury de concours», selon Me Haba.
«Lorsque l’arrêt a été rendu, personne n’a demandé au bâtonnier de faire prêter serment. On n’a pas été consulté comme ça se doit. C’est le Parquet général qui a enjoint au bâtonnier en fixant sa propre date. C’est là que le bâtonnier a répondu en leur faisant comprendre qu’on n’a aucune injonction à recevoir du parquet. Il n’y a aucun combat entre la magistrature et le barreau, ce sont quelques magistrats de la Cour d’appel que nous avons cités. C’est le premier président Alioune Dramé, son conseiller Niakporo Camara, sa conseillère Adama Nènè Hawa Diallo et la substitut Nèné Oumou Diallo. Ce sont ces personnes qui veulent créer ce problème-là», a laissé entendre l’avocat.
Le bâtonnier, Me Djibril Kouyaté d’ajouter: «Quand nous fûmes informés, la Cour d’appel s’apprêtait à commettre le ridicule et le forfait contre le barreau, nous avons privilégié le dialogue en sollicitant la médiation de monsieur le premier président de la Cour suprême et de monsieur le ministre de la Justice Garde des Sceaux par intérim. Ces personnalités se sont investies à nos côtés pour permettre au droit de mettre tout le monde d’accord. Mais, c’était sans compter sur la détermination du camp des faucons de la cour d’appel qui, nous sommes aujourd’hui convaincus, n’ont jamais, même par hasard, ouvert le livret qui contient la loi 014 (portant organisation de la profession d’avocat en Guinée, Ndlr). (…) Cet acte qui a consisté à faire prêter serment aux postulants sans que ceux-ci n’aient été présentés par le bâtonnier est un acte de provocation. En effet, c’est la première fois depuis la promulgation de la loi L014 qu’une institution s’immisce dans le fonctionnement du barreau et croyez-nous cette immixtion ne sera et ne passera jamais», a prévenu le bâtonnier.
La riposte
Pour organiser la riposte face à ce qu’il qualifie de tentative d’immixtion dans ses affaires, le barreau a pris des résolutions. Entre autres: Interdiction aux avocats du barreau de Guinée, sous peine des sanctions disciplinaires, de recevoir dans leur cabinet en vue de stage les personnes ayant prétendument prêté serment le 16 septembre 2019, devant la cour d’appel de Conakry. Le dépôt devant le Conseil supérieur de la magistrature d’une plainte contre les magistrats auteurs de ces agissements et éventuellement une action au pénal contre les mêmes magistrats pour parjure. Et la non-participation des avocats aux audiences de la Cour d’appel de Conakry pendant une période de deux semaines et aux audiences du premier président de la cour d’appel pendant une période d’un mois reconductible.
«Le Barreau est notre maison commune. Personne ne souhaiterait qu’il prenne feu où les affaires qui doivent être réglées à l’interne soient mises sur la place publique», peut-on lire à l’entame de la déclaration du collectif des 11 avocats stagiaires dans laquelle il a fustigé la résolution de boycotter les audiences devant la Cour d’appel qui, selon lui, touche non seulement chaque cabinet et surtout les clients, mais aussi les magistrats. «Une telle résolution relève absolument des pouvoirs de l’Assemblée générale et non du conseil de l’ordre conformément aux dispositions de l’article 28 de la loi 014 qui prévoit d’ailleurs cette réunion au moins deux fois par an. N’ayant pas pu organiser une assemblée générale dix mois après son élection, le conseil devait saisir cette occasion pour demander l’avis des confrères avant de les engager dans un combat qui va fortement entamer l’image du barreau».
Le premier président de la Cour d’appel, Mamadou Alioune Dramé, n’a pas souhaité s’exprimer sur ce sujet étant, comme il le dit lui-même, «magistrat de siège soumis au devoir de réserve».