Face à la crise sociopolitique actuelle, l’ancien ministre de l’Agriculture et actuel président de la Plateforme des citoyens unis pour le développement (Pcud) interpelle les Guinéens sur la situation actuelle qui résulte de l’échec de la classe politique qui, très malheureusement, revendique sa légitimité en se basant sur l’ethnie. Abourahmane Sano invite les citoyens à refuser ce statuquo. Interview!
Guinee360.com: Quel regard portez-vous sur la situation sociopolitique guinéenne?
Abourahmane Sano: C’est avec une grande préoccupation que nous observons le climat politique qui prévaut dans notre pays suite aux élections communales du 4 février.
L’opposition a déclenché des manifestations qui ont été réprimées par les forces de l’ordre. Qu’est-ce que cela vous inspire?
C’est difficile et regrettable de constater toutes ces manifestations avec des morts, des blessés et des dégâts, mais aussi leur impact sur l’économie. Nous sommes dans une situation réellement préoccupante.
Quel doit être le rôle de la Société civile?
Nous voyons que c’est une situation difficile parce que le pays traverse une crise qui a été pratiquement provoquée et alimentée par la classe politique. Lorsqu’on regarde, maintenant, les conséquences qui focalisent notre attention, mais il faut aller à la source. La source c’est déjà la Ceni. Par rapport à la crise électorale, c’est la classe politique qui nous a imposé une forme de Ceni en tenant compte des intérêts des différents partis politiques. Lorsqu’on se voit rattraper aujourd’hui par les conséquences de cette situation, il y a lieu de situer les responsabilités. Les partis politiques avec certains acteurs de la Société civile sont représentés à la Ceni. Mais, du fait de la nature même dont on a voulu que cette Ceni soit, alors, on est rattrapé par les conséquences de son incapacité, de sa légèreté. On ne peut pas ne pas parler de la responsabilité des acteurs politiques dans cette situation. Et aujourd’hui, ils se présentent comme des victimes. Et c’est le pays tout entier qui est pris en otage. C’est vraiment regrettable et c’est inadmissible.
Faut-il craindre une exacerbation de la crise sociopolitique?
Oui! Il faut bien craindre une exacerbation de la situation. On est en légitimité de craindre que les acteurs politiques ne nous mènent dans une situation difficile. Mais c’est l’échec que nous devons observer de la transition qui a été menée. La légèreté avec laquelle la transition a été menée, on est allé prendre des documents un peu partout, on a fait le copier-coller et on a battu nos lois avec les incohérences qu’elles comportent aujourd’hui. Tout a été taillé en fonction de rapport de force et de ce qu’on pensait être les différents partis politiques. Aujourd’hui, très malheureusement, il est inadmissible d’aboutir à ce constat là: le pays tout entier est pris en otage par deux mouvements politiques qui revendiquent la légitimité sur les deux principales composantes sociales de notre pays. Il faut qu’on refuse ce statuquo là parce qu’on ne peut pas envisager la Guinée en termes de confrontation entre Peulhs et Malinkés. Ce n’est pas possible cela. Si nous pouvons arriver aujourd’hui à la conclusion qu’il s’agit de l’échec de la classe politique qui n’a pas pu aller au-delà de cette vision de se constituer un fond de commerce politique sur la base communautaire, il faut que l’on comprenne que le vrai enjeu, c’est la façon dont les ressources du pays sont gérées. Est-ce que ces ressources sont reparties équitablement? Mais on parle de communauté c’est vraiment humiliant. Malheureusement, c’est tenu par des acteurs politiques qui peuvent nous conduire dans tous les sens.
On ne le souhaite vraiment pas, mais est-ce qu’il y a de risque de guerre civile en Guinée?
Il ne faut pas le souhaiter. Je crois que c’est l’éveil de l’élite avec un autre discours qui doit nous amener aujourd’hui à comprendre que nous devons porter moins d’importance sur qui nous dirige. Notre souci doit être la façon dont les ressources du pays sont gérées et comment le pays est dirigé pour ne pas qu’un président de la République ou un groupe d’individus qui se battent pour leurs intérêts personnels n’instrumentalisent la question communautaire (…). Que des acteurs politiques irresponsables nous baignent dans ces questions émotionnelles alors qu’ils passent leur temps à voler, à piller le pays économiquement, doit nous amener à nous questionner surtout dans la situation où on est arrivé. Il est inadmissible de penser un seul instant que ce pays puisse être soumis au diktat d’un seul groupe d’individus ou d’une ethnie. C’est vraiment dommage qu’on continue encore de parler encore d’ethnies surtout lorsqu’on voit des acteurs politiques qui nous donnent la fausse impression qu’ils ont la légitimité de deux composantes ethniques majoritaires. Tous les Peulhs ne sont pas forcément Ufdg et tous les Malinkés ne sont pas du Rpg. C’est faux, c’est une classe politique qui a échoué qui est en train de nous imposer cette perception là. Et très malheureusement, on instrumentalise les citoyens, mais aussi les appareils de l’Etat à aller un peu à la confirmation de ce discours.
Très malheureusement, la classe politique est plus écoutée que la Société civile. Dans ce cas, que faut-il faire pour empêcher l’effritement du tissu social guinéen?
D’abord, il faut savoir que les réalités que nous décrivons au niveau de la classe politique, ces réalités existent aussi dans une très large mesure au sein de la Société civile c’est une crise de leadership. C’est que nous avons aujourd’hui de gens qui occupent le débat public et à longueur des journées qui utilisent les médias et ils sont tous sauf de bons exemples. Or, ce qui est extrêmement prépondérant ce qu’on prenne conscience qu’on est arrivé à un niveau où nous devons nous sortir de cette passe. Et que pour cela, nous devons reposer sur des valeurs, sur l’idéal. Je pense qu’à ce niveau là, les médias ont une responsabilité immense à jouer pour voir quels sont les hommes et les femmes porteurs d’idéaux et qui incarnent des valeurs pour atténuer la prépondérance de la parole publique.
Et si les médias aussi ne sont pas exemptés de maux dont souffrent la classe politique et la Société civile?
On est conscient de cette situation, mais tout le monde n’est pas dedans. Il faut qu’on favorise la prise de parole par les gens qui portent de la valeur, de la vertu et qui comprennent qu’en réalité qu’aucune communauté n’a l’exclusivité de la Guinée. Plutôt que de se battre dans un élan communautaire, mieux vaut se battre dans un élan citoyen parce que c’est cela qui garantit la justice, l’équité. C’est ce qui permet qu’on soit en conscience de se dire: je lutte contre l’injustice parce que vous pouvez être à la place de celui qui est victime d’injustice un jour (…). N’oubliez pas que nous sommes dans une nouvelle colonisation. Avant l’indépendance c’était des blancs qui nous colonisaient, mais aujourd’hui ce sont les fils de ce pays qui sont en train de piller, en connivence avec des étrangers, nos richesses pendant qu’ils nous distraient dans des querelles, dans un faux débat communautaire. Là aussi, il faut comprendre que ceux qui sont en train d’alimenter ce débat lorsque leurs intérêts convergent, ils sont ensemble. Regardez du côté de l’Assemblée nationale, lorsque leurs intérêts convergent, on les entend se chamailler? Non! Donc, ils sont dans des querelles d’ambitions personnelles. Ils sont dans la logique qui risque de nous mettre dans un cercle vicieux où c’est la revanche des uns contre les autres.
Récemment, le parquet de Conakry a présenté un jeune de 24 ans comme étant le présumé auteur des tueries pendant les manifestations. Qu’en pensez-vous?
C’est choquant que depuis quelques années maintenant qu’on tue, le parquet n’a pas rendu un jugement. Et qu’aujourd’hui, qu’on aille dire qu’on a pris un jeune. Depuis combien d’années on est dans cette situation? C’est encore cette crise de leadership qui affecte nos institutions. Parce que toutes les institutions que ce soit du côté de l’Assemblée nationale, de la Présidence de la République, du gouvernement, de l’appareil judiciaire, du Conseil économique et social, toutes sont en train de baigner aujourd’hui dans l’affairisme. Tout le monde est corrompu un peu partout. Il faut qu’on veille à ce que les particularités qui existent qui sont porteuses des valeurs puissent s’affirmer. Je vais rêver de voir les juges s’affranchir de l’autorité de l’Exécutif pour essayer d’aller dans le sens de comprendre que la justice est un instrument de la paix. Mais c’est vraiment dommage. Mon propos n’est pas de dédouaner un suspect ou de le condamner, mais depuis combien de temps nous sommes dans ce cycle-là? Regardez les événements du 28 septembre 2009 jusqu’à présent, ça traine. Alors, que voulez vous qu’on dise lorsqu’on voit que notre justice est instrumentalisée de cette façon?
Le drame qui s’est produit au grand marché de Madina suscite des polémiques. D’aucuns pensent qu’il s’agit d’un acte criminel planifié parce que des menaces avaient été faites sur les réseaux sociaux. Quel est votre avis?
Je voudrais tout simplement qu’on n’instrumentalise pas le malheur des gens. Il s’agit de centaines de femmes et d’hommes guinéens qui travaillent à la création de la richesse de la façon la plus noble possible et qui apportent énormément à notre pays. Pardon, pour l’amour de Dieu, ils sont victimes. Essayons de nous associer à leurs douleurs pour réfléchir comment on peut contribuer à atténuer leurs douleurs.
Quelle leçon tirez-vous de la grève des enseignants?
Lorsqu’on gouverne par le respect, on se met dans une position d’écouter l’autre puisque c’est en se parlant qu’on avance. Le fait d’avoir accepté de se parler nous a permis d’avoir les 2 millions et quelques d’enfants dans les classes après qu’ils aient perdu plus de 50 jours. Et ça, c’est la défaillance de la gouvernance qui prévaut dans le pays aujourd’hui.
Pendant cette grève, la Cntg et l’Ustg ont annoncé leur retrait de la Pcud. Qu’est ce qui est à la base de leur départ?
Je n’ai aucun commentaire à faire par rapport à cela. La Pcud est une institution responsable qui ne vit pas au gré des humeurs. Nous sommes dans nos convictions. Nous avons soutenu le Slecg parce que nous avons voulu que ça soit fait dans le cadre de l’unité syndicale. Notre combat n’a pas été compris. Nous les avons soutenus pour que les enfants retournent en classe, pour préserver l’unité syndicale, mais surtout pour que les revendications des enseignants ne soient pas mises sous menaces. Aujourd’hui, nous sommes fiers d’avoir joué ce rôle. C’est ce qui a permis effectivement au dénouement heureux de cette crise dans l’intérêt de tous les travailleurs de Guinée. Nous continuerons à travailler dans cet esprit et rien ne va nous détourner de cela.
Donc c’est votre soutien au Slecg qui a poussé les deux centrales syndicales à se désaffilier à la Pcud?
Ce débat là n’est pas important. La Pcud c’est 400 organisations actuellement. Elle couvre tout le territoire et elle ne tire de sa légitimité ou de sa notoriété de l’engagement ou du retrait de personne. La Pcud tire sa notoriété de sa conviction et de la ligne qu’elle a prise pour le pays. Et bien sûr, c’est en cela, elle voudrait que tout le monde y soit. On a donné des conseils, les gens n’ont pas voulu suivre. Je crois qu’on aura le temps de parler de toutes ces questions. Maintenant, ce qui nous importe aujourd’hui que la Guinée se porte bien. C’est dans ce sens que notre engagement est total et notre détermination est sans failles.
Réalisée par Abdoul Malick Diallo