« À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. » La célèbre maxime de Corneille résonne avec une troublante justesse à la veille de l’élection présidentielle du 28 décembre 2025 en Guinée. Un scrutin dont l’issue semble écrite d’avance et qui s’apparente moins à une compétition démocratique qu’à une formalité destinée à consacrer la continuité du pouvoir.
Après quatre années de transition ouvertes le 5 septembre 2021, le pays est officiellement engagé dans son retour à l’ordre constitutionnel. La nouvelle Constitution, adoptée par référendum le 21 septembre dernier, a ouvert la voie à cette présidentielle appelée à désigner le chef de l’État pour les sept prochaines années. Sur le papier, l’événement est historique. Dans les faits, il laisse un goût d’inachevé.
Plus de 6,7 millions de Guinéens sont inscrits sur la liste électorale. Mais à la veille du vote, une question s’impose avec insistance : quel est le véritable enjeu de cette élection ?
Car cette présidentielle se déroule dans un contexte politique profondément déséquilibré. Le président de la transition, Mamadi Doumbouya, candidat déclaré, affronte une opposition affaiblie, fragmentée et largement absente. Les principales figures capables de structurer un véritable débat démocratique — Cellou Dalein Diallo, Sidya Touré, Ousmane Kaba ou encore Lansana Kouyaté — sont hors-jeu, écartées pour des raisons judiciaires, administratives ou constitutionnelles.
Cette absence des poids lourds de la scène politique nationale a vidé la compétition de sa substance. Elle a transformé la campagne en une séquence sans relief, sans affrontement d’idées, sans dynamique populaire. Parmi les candidats en lice, certains sont perçus par leurs détracteurs comme de simples figurants, chargés de donner une apparence pluraliste à un scrutin dont l’issue ne fait guère de doute — des « porteurs de bagages », pour reprendre une expression crue déjà employée par le ministre des Affaires étrangères, Morissanda Kouyaté.
À cette configuration s’ajoute un élément troublant : l’organisation du scrutin est placée sous la responsabilité du ministère de l’Administration du territoire et de la Décentralisation (MATD), dirigé par Ibrahima Kalil Condé, soutien affiché du candidat Doumbouya. Une situation qui alimente les soupçons d’une confusion des rôles entre l’État, l’administration et le candidat au pouvoir.
Sur le terrain, la campagne a brillé par sa discrétion. Mobilisation faible, meetings rares, ferveur absente. Le principal intéressé lui-même s’est illustré par une quasi-absence : qualifié par certains d’« candidat fantôme », Mamadi Doumbouya n’a pas véritablement battu campagne. Il a délégué l’animation politique à des membres du gouvernement et à des responsables d’entreprises publiques, se contentant d’un unique discours télévisé d’une dizaine de minutes sur les médias d’État. Ses apparitions publiques se sont limitées à quelques cérémonies officielles et à un meeting de clôture soigneusement encadré.
Depuis jeudi soir, la Guinée est entrée dans la période de silence électoral, prélude au vote de ce dimanche. Mais au-delà des chiffres, des procès-verbaux et des résultats attendus, cette présidentielle pose une question plus profonde, presque dérangeante : peut-on encore parler d’élection lorsque le suspense, l’alternance et la confrontation politique ont disparu ?
Le scrutin du 28 décembre 2025 semble ainsi moins destiné à départager des projets qu’à consacrer, par les urnes, un pouvoir déjà installé. Une victoire probable, peut-être massive, mais acquise sans combat. Et comme le rappelait Corneille, une victoire sans péril laisse rarement une trace glorieuse dans l’histoire démocratique d’un pays.