Située à 60 km de la commune urbaine de Forécariah, dans la région de Kindia, la sous-préfecture de Kaback, presqu’île autrefois considérée comme le grenier de la Basse Guinée, est aujourd’hui au bord de la disparition. En cause : la rupture de 17 km de digues qui protégeaient la localité des débordements de la mer. Maisons détruites, champs de riz, de pastèques et de gombos ravagés : tel est le triste constat sur le terrain. Cette presqu’île, d’une superficie de 270 km² et abritant une population estimée à 21 486 habitants (selon le recensement de 2016), est aujourd’hui menacée d’effacement.
Pour la petite histoire, le nom Kaback est une déformation du mot soussou “Kabaki”, lui-même issu de l’expression mandenyi “Ka Bènk”, qui signifie “tas de sable entouré d’eau”.
Cette commune rurale, autrefois à juste titre qualifiée de grenier de la Basse-Côte, était un important producteur agricole. Pendant une grande partie de l’année, des quantités substantielles de riz, de légumes, notamment le gombo et les aubergines, par centaines de tonnes, étaient acheminées vers la capitale. Cette prospérité découlait de l’aménagement de 4 800 hectares agricoles protégés par 17 km de digue qui empêchait la mer d’envahir les zones cultivables.
Aujourd’hui, les habitants, désemparés, interpellent le gouvernement. “Mamadi Doumbouya, aide-nous, Mamadi Doumbouya, sauve-nous, on n’a pas où aller !” Tels sont les cris de détresse entendus lors de notre passage. Leur souffrance découle principalement de la rupture des digues, qui a dévasté plusieurs hectares de champs de riz.
Sur l’île de Matakang, à 8 km du centre de la sous-préfecture, le kountigui Ibrahima Camara est assis devant sa maison en tôle. Le septuagénaire se remémore avec nostalgie le temps des récoltes abondantes. “Kaback n’avait pas l’habitude de quémander. C’est nous qui nourrissions ceux qui étaient dans le besoin. Mais aujourd’hui, nous sommes réduits à demander l’aumône à cause de la dévastation de nos cultures par la cession des digues.”
La perte des cultures a profondément bouleversé la communauté. De nombreuses familles se sont disloquées, incapables de faire face à la précarité et à leurs besoins essentiels. “Beaucoup de femmes ont choisi de divorcer parce que leurs maris ne travaillent plus. Celles qui restent dans leurs foyers le font souvent par pitié pour leurs enfants. Dans certaines familles, l’homme n’a plus de valeur. La femme agit comme elle l’entend, à sa guise et selon ses décisions”, raconte Mohamed Lamine Camara, du district de Bossimiyah.
“Le fait que certaines femmes sortent pour subvenir aux dépenses a fait que les hommes ont perdu leur autorité dans les foyers. Beaucoup de couples ont fini par divorcer à cause de cette situation”, renchérit le septuagénaire Naby Sylla.
…la voie de la Méditerranée
Privés d’activités génératrices de revenus, les jeunes se tournent vers l’immigration clandestine, souvent au péril de leur vie. “Aujourd’hui, les jeunes de Kaback sont dispersés à travers le pays, à la recherche de leur subsistance. Quant à ceux qui ont tenté l’aventure de la Méditerranée, beaucoup d’entre eux n’en sont jamais revenus “, confie Lamine Camara, rencontré à la sous-préfecture.
Une menace existentielle
Passer une seule journée à Kaback suffit pour mesurer la menace existentielle qui plane sur cette localité. À Yélibanet, située à une dizaine de kilomètres du centre de Kaback, la situation est encore plus critique. L’accès à l’eau potable est devenu un véritable défi. L’eau des puits étant salée, les habitants doivent s’approvisionner à Maférinyah, à plus de 20 km de distance. À cela s’ajoute le mauvais état de la route, qui complique davantage leur quotidien.
“Lorsque la digue était là, on cultivait les meilleures pastèques, gombos, tomates, etc., et on était vraiment bien nourris. Chacun gagnait son pain quotidien et les parents avaient les moyens de subvenir aux besoins familiaux. À la suite de la disparition de la digue, nous avons tout perdu : la belle végétation, les animaux sauvages. Nous avons perdu 236 ménages, même notre grande mosquée a été engloutie par les eaux. Nos champs se sont transformés en plage. Des centaines d’hectares de riz ont été dévastés”, explique Mamadouba Soumah, président du district de Yelibanet.
La pêche artisanale également menacée
Après la cession des digues, entraînant la disparition des zones agricoles, la pêche artisanale est devenue l’activité principale des habitants de Kaback. Le district de Matakang, considéré comme le poumon économique de la sous-préfecture, fait face à de nombreux défis, notamment l’accès à l’île, qui reste un véritable casse-tête pour les citoyens. “La principale difficulté ici, c’est le manque de routes. Transporter un panier de poissons jusqu’à Coyah coûte 200 000 GNF”, se désole Salematou Sylla, vendeuse de poissons.
N’nady Camara, également vendeuse de poissons frais, rencontre des difficultés similaires, notamment pour se procurer de la glace destinée à la conservation. “J’achète un sac de glace à Forécariah pour 200 000 GNF, puis je dois payer 100 000 GNF supplémentaires pour le faire transporter ici à moto. Le peu que je gagne ne suffit même pas à couvrir mes dépenses quotidiennes”, confie-t-elle avec amertume.
Âgée d’une soixantaine d’années, Aminata Youla se consacre au fumage de poissons pour subvenir aux besoins de sa famille. “Si je ne fais pas ce travail, je ne pourrai ni nourrir ma famille ni couvrir ses frais médicaux. Il est difficile de trouver des fagots de bois pour fumer les poissons. Une autre difficulté, c’est le transport vers les lieux de vente, comme Conakry, Mamou ou Kindia. Par exemple, pour acheminer un panier à Conakry, je paie 200 000 GNF, et d’ici à Kaback centre, les motards facturent 50 000 GNF par panier”, explique-t-elle.
Pour sa part, Lamine Camara, chef de port à Matakang, souligne l’importance des pêcheurs pour l’approvisionnement des marchés en poissons et lance un appel aux autorités. “Nous exhortons au gouvernement d’intervenir pour que les sociétés qui creusent le port retirent les cailloux qui abîment nos filets et empêchent nos pirogues de naviguer correctement”, plaide-t-il.
Il pointe également un autre problème majeur : “L’implantation du nouveau port aggrave la situation. Nos pirogues ne parviennent plus à pêcher correctement, car les filets sont constamment détruits par les bateaux des sociétés qui draguent la mer pour les travaux.”
L’unique solution
Les habitants de la presqu’île de Kaback s’accordent sur une chose : la fin de leurs souffrances passe impérativement par la réparation de la digue. Ils placent leurs espoirs dans les autorités de la transition pour trouver une solution durable. “Si le président Mamadi Doumbouya s’engage à résoudre la situation de Kaback, comme l’ont fait feu Ahmed Sékou Touré et feu le général Lansana Conté, il pourra rendre la Guinée autosuffisante sur le plan alimentaire. En réhabilitant la digue de Kaback, cette localité pourra nourrir une grande partie du pays”, affirme Saidou Camara.