En Guinée, bien que des statistiques globales et actualisées ne soient pas disponibles, la progression de la consommation des drogues ne laisse pas d’être inquiétante. Une enquête sociologique de l’Office centrale antidrogue (Ocad) révèle une situation préoccupante. On assiste même à une véritable explosion du phénomène. A l’usage généralisé du cannabis parmi la jeunesse (52, 1% sur 1000 dont 9% des filles), s’ajoute la progression des drogues dures notamment, la cocaïne.
A l’occasion de la journée internationale de lutte contre l’abus et le trafic illicite des drogues qui est célébrée, le 26 juin de chaque année, il parait opportun de faire l’état des lieux de la lutte contre a consommation des drogues en Guinée.
Les résultats de l’enquête sociologique de l’Ocad en 2015 font froid au dos et démontrent l’ampleur du fléau.
La déperdition de la couche juvénile
Sur 1000 jeunes, 52,1% se droguent. 60 % de 15 à 25 ans consomment de façon tendue et constance. Sur les 60%, 9% sont des filles. 11% des consommateurs considèrent le cannabis comme non dangereux. Par ailleurs, 32% mentent à leurs parents pour obtenir de quoi se payer la drogue. 22% dépensent de 50.000 à 100.000 Gnf par semaine pour se payer de la drogue. Et 15% d’écoliers échouent à cause de la dépendance.
Quant au trafic de drogue, 35% des passeurs sont du genre féminin. Selon l’Interpol, plus de 25 guinéennes sont détenues pour trafic de drogue à travers le monde.
Le cannabis en milieu scolaire
L’autre facteur aggravant c’est la consommation du cannabis en milieu scolaire. En 2006, le Centre psychiatrique de Donka avait enquêté dans deux collèges public et privé. Sur 600 élèves, souligne Pr Mamady Mory Kéita, psychiatre-addictologue, 395 étaient des consommateurs de drogue dont 64,8% des garçons et 35% des filles.
Par ailleurs, précise le spécialiste, l’étude avait prouvé que ces jeunes de 12 à 16 ans et de 17 à 20 ans, qui représentaient 41% des personnes interrogées, avaient eu leur première expérience avec le cannabis entre 10 et 12 ans, c’est-à-dire à partir de l’école primaire.
Selon M. Kéita, à l’absence des statistiques nationales, il est difficile de faire la comparaison entre la Guinée et les autres pays de la sous-région. «En Guinée, nous n’avons que des statistiques hospitalières. Parmi les malades mentaux, nous avons 21, 69% qui consomment la drogue. La Côte d’ivoire est dans les 18%. Le Sénégal est dans les 22%. La Guinée s’illustre aujourd’hui comme le pays le plus consommateur de cannabis de la sous-région. Sur 1821 malades, l’enquête a révélé que 21, 69 % avaient un problème lié à la consommation de la drogue. 92% des adolescents de 17-25 ans. 72% en situation d’échec scolaire. 83,54% ne consommaient que du cannabis».
Si avant, la méthode préconisée était de détacher le jeune consommateur de son milieu habituel, la ville, pour l’envoyer au village, le psychiatre déplore que de nos jours, il y ait plus de dépravation dans les villages que dans la capitale.
Parlant du traitement, il indique: «il faut dire que nous sommes en difficulté par manque d’unités de prise en charge des malades souffrant de drogue. Pratiquement, les malades reçus dans la consommation des drogues ne sont pas forcément des malades mentaux. Ce service reste jusqu’à présent confondu à la prise en charge des malades mentaux. Nous sommes obligés à l’ouverture du nouveau Centre de psychiatrie de créer une unité d’addictologie qui va faire la part entre les malades mentaux et ceux qui ont une difficulté avec la drogue».
Il ajoute également que «le Centre de psychiatrie n’est pas approvisionné en médicaments essentiels, les psychotropes et les médicaments qui servent à bien prendre en charge les malades souffrant des problèmes de drogue. Il n’y a pas de laboratoire aussi pour tester les différents paramètres. Le personnel a surtout besoin de formation continue. Les 21% des malades que nous recevons ont un problème avec la drogue. Parmi ceux-ci, 92% sont des jeunes de 17 à 25 ans, des élèves, des ouvriers. Il faut qu’ils bénéficient d’un traitement adapté. Sinon, dès qu’ils retournent dans la société, ils reprennent la consommation».
En matière de lutte contre la drogue, le procureur du Tribunal de première instance de Dixinn, Sidy Souleymane Ndiaye, a laissé entendre que l’Etat a besoin de l’implication de la Société civile aussi.
Concernant le volet répression, il souligne: «On me défère un drogué, au cours de l’entretien au parquet, je lui propose de le faire traiter. S’il accepte, la législation dit que la poursuite cesse. Pour les drogues douces, le cannabis, la détention et la consommation est sanctionnée par une peine d’emprisonnement. Par contre, la détention, le transport et l’usage de drogue à haut risque, la cocaïne, est sanctionnée de peine criminelle. Au cours de l’année, le parquet de Dixinn a fait condamner une dame qui travaillait à la douane à 10 ans de réclusion criminelle avec 5 ans de sureté. Elle a été trouvée en possession de cocaïne envoyée du Sénégal qui était dans des boutonnières de tenue de femme».
Provenance des drogues saisies
Par rapport à la saisie, le directeur de l’Ocad, Lieutenant-colonel Fadjimba Camara a expliqué que son service a saisi, cette année, plus de 8 tonnes de cannabis. En plus, près de 300 kg du kat, la nouvelle drogue venue de l’Éthiopie saisit par la douane et 12 kg du Tramadol. «Concernant la cocaïne, je reste prudent pour ne pas être attaqué», dit-il avant d’indiquer les provenances des drogues sont établies par les personnes interpellées.
«Très souvent, les personnes que nous interpellons à l’aéroport et qui sont porteuses par injection proviennent de Sao Paulo au Brésil. Il s’agit surtout des drogues dures. Le Kat vient de l’Afrique de l’Est. Il transite par la Guinée pour être envoyé sous a dénomination de Moringa aux Etats unis. En ce qui concerne le cannabis, il y a non seulement une production locale, mais la provenance la plus intense et la plus tendue est de la Sierra Leone. Le trajet est, soit, par voie routière ou par voie maritime dans des pirogues de pêche artisanale».
L’incinération
Il faut noter que la quantité des drogues saisies est à la garde de l’Ocad et est placée sous l’autorité du parquet qui ordonne l’incinération à travers une décision de justice. A cet effet, la Commission nationale d’incinération présidée par le ministre de la Justice a prévu la cérémonie d’incinération le 13 juillet 2019 à Kouria.
Répertoire des substances psychotropes
Le Comité interministériel, à travers l’Institut itinérant de formation et de prévention intégrée contre la drogue relevant du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique, coordonne le domaine de la prévention. C’est dans ce cadre, qu’un projet intitulé «Recherche nationale sur l’abus des drogues, ses liens avec les hépatites comme le VIH, les crimes organisés et la pauvreté en Guinée» a été élaboré. Afin que des recherches soient menées sur toute l’étendue du territoire national pour capitaliser toutes les plantes toxicomanogènes à des fins des recommandations à l’Office des nations unies contre la drogue et le crime (Onudc).
«La lutte contre la drogue nécessite des moyens conséquents, des personnes ressources compétentes, spécialisées, bien formées. Le problème c’est que le plan d’action élaboré et soutenu par les partenaires ne bénéficie pas des moyens pour sa mise en œuvre», a fait savoir M. Aguibou Tall, coordinateur du Comité interministériel de lutte contre la drogue (Cild) qui en est l’organe politique du gouvernement en matière d’élaboration, de mise en œuvre, du suivi évaluation des programmes en la matière.