Dans cette interview, le président de l’Union pour la démocratie et le développement (UDD) aborde la question cruciale de la révision du fichier électoral et exhorte à la reprise entière de toute l’opération. M. Bah Oury met en garde la CENI sur les risques liés à l’organisation des élections législatives le 16 février 2020 dans le contexte actuel. Il annonce que des concertations sont déjà en cours au sein de l’opposition plurielle afin d’adopter une stratégie commune face au processus électoral en cours.
Guinee360.com: Lancée le 21 novembre, la révision des listes électorales a pris fin ce lundi 16 décembre 2019. Quelle analyse faites-vous de l’opération?
Bah Oury: Vous savez qu’en Guinée, on ne fait jamais les choses conformément aux lois de la République. La révision des listes doit se faire, en principe, du 1er octobre au 31 décembre de chaque année. Mais, depuis 2015, il n’y a jamais eu de révision des listes électorales. Et maintenant, on se réveille du jour au lendemain, alors que le fichier n’est pas du tout assaini et qu’il y a nécessité au regard des recommandations fortes des auditeurs que tous les citoyens qui s’étaient enrôlés doivent se présenter physiquement pour valider leur enrôlement antérieur, si tel n’est pas le cas, ils seront rayer du fichier. Cette mesure allait dans le sens d’élimination des fictifs qui ont été créés dans le fichier de 2015. La Ceni dit qu’elle peut faire le travail en 25 jours ce qui n’est pas du tout réaliste. Donc, nous nous retrouvons devant un problème. A ce niveau-là, manifestement, il y a eu une volonté de ne pas respecter la loi qui prévoit 3 mois de révision et en plus de ne pas rechercher l’indispensable nécessité d’avoir un fichier réellement assaini, et un corps électoral suffisamment impliqué dans le recensement pour permettre, à partir de maintenant, que les élections puissent se faire à bonne date et dans des bonnes conditions tout en veillant à ce que chaque année, il y ait la révision nécessaire pour intégrer ceux qui arrivent à l’âge de la majorité et effacer les personnes décédées. Mais, on veut faire croire qu’on fait du travail alors qu’en réalité, on a créé d’autres problèmes au risque de mettre totalement le pays dans l’impasse. La Ceni avait dit qu’elle était techniquement prête en compressant le période d’enrôlement mais, au regard de fait, il s’avère qu’elle n’est pas du tout prête. Il y a eu le manque de récépissés, l’enrôlement de mineurs ce qui montre que la Ceni n’a pas montré une capacité de prise de responsabilité pour lutter contre tous les dysfonctionnements. En fin de compte, on n’est pas avancé, on s’est créé de nouveaux problèmes.
Que faut-il faire?
Dans ce contexte, il faut trouver de voies de sortie de crise. Il faut d’abord que les gens soient sérieux. Il faut que la Ceni assume totalement sa responsabilité. Il faut que le chronogramme soit totalement revu c’est-à-dire que le recensement se fasse correctement. Une élection c’est d’abord le fichier électoral. Si le fichier n’est pas bon, l’élection ne sera pas transparente et crédible et c’est source de danger et de déstabilisation. Nous voulons que les choses se fassent de manière apaisée donc, il faut revoir totalement le chronogramme. C’est une nécessité absolue si on veut aller dans le sens de la paix et d’une organisation sereine des processus électoraux dans notre pays.
La reprise du chronogramme ne risque-t-il pas de provoquer le report des élections?
Revoir le chronogramme c’est revoir tout. La date des élections législatives fixée le 16 février n’est pas réaliste. On ne peut pas aller avec fichier totalement corrompu qui s’est détérioré encore beaucoup plus que le fichier qui existait auparavant. Donc, il ne doit y avoir de dogmes pour dire que l’élection doit nécessairement avoir lieu le 16 février. Dans le contexte actuel, avec les problèmes globaux auxquels la Guinée est confrontée sur le plan politique, il y a une nécessité que tous les acteurs majeurs puissent se retrouver dans un dialogue responsable, constructif pour revoir l’agenda de 2020.
Pensez-vous que cela puisse se faire dans le contexte actuel?
Si on veut la paix, la stabilité de la Guinée, il faut que cela se fasse.
Le président de la Ceni a annoncé la fin de l’opération de révision tout en indiquant sans aucune possibilité de prolongation. Qu’en pensez-vous?
Je pense que ce n’est pas du tout réaliste comme attitude et c’est faire preuve de cécité parce qu’on a le corps électoral qui n’a pas été totalement recensé et il y a eu des dysfonctionnements graves. Sur le plan matériel, on a enregistré des insuffisances qui font que la recommandation forte des auditeurs n’est pas respectée.
Par rapport aux matériels, la faute ne revient elle pas à ceux qui ont voté la loi confiant la gestion des kits à l’Administration du territoire?
A l’époque, nous avions dénoncé cette mesure en disant que c’était une mesure qui empiète sur l’indépendance constitutionnelle de la Ceni. Aujourd’hui, voilà les problèmes dans lesquels nous sommes retrouvés avec, dans une certaine mesure, des mauvaises décisions et des mauvaises propositions qui, à un moment donné, ont été insérées pour créer de faux problèmes. La Ceni devrait être totalement responsable de l’ensemble des opérations y compris de son matériel. Maintenant, ils ont introduit, comme un petit voleur, le ministère de l’Administration du territoire dans le nid. C’est grave !
Comment comprenez-vous l’attitude des commissaires issus de l’opposition?
Personnellement, je dénonce la Ceni comme un ensemble collectif composé des 17 commissaires. Ils sont totalement responsables de ce qui se passe actuellement. S’ils ne le sont pas, ils n’ont qu’à prendre, à ce moment-là, leurs responsabilités en âme et conscience parce qu’aller dans le chemin qu’ils sont en train d’esquisser c’est mener tout droit le pays dans une forme de déstabilisation.
Bano Sow, vice-président de la Ceni a fait une déclaration dans laquelle il appelle à la reprise du chronogramme. Quel est votre avis?
Je considère que toutes les déclarations qui pourraient amener la Ceni à changer son fusil d’épaule, à revoir sa mission et ses responsabilités en matière d’organisation du processus électoral, c’est tant mieux. Donc, les gens doivent faire preuve de retenue et de responsabilité et se mettre dans une autre attitude mentale qui consiste à préserver la stabilité de la Guinée en organisant correctement et sereinement l’ensemble du processus électoral. S’il s’avère qu’ils ne peuvent pas le faire, ils n’ont qu’à le dire à haute et intelligible voix. C’est cela le sens de la responsabilité.
Quelle devait être l’attitude des commissaires issus de l’opposition?
En principe, du moment qu’ils sont à l’intérieur de la commission, les 17 commissaires ont juré d’agir en âme et conscience pour respecter, conformément à la Constitution, la mission qui leur a été confiée. S’ils abdiquent devant cette responsabilité, demain, ils répondront devant l’histoire.
Êtes-vous du même avis que les leaders de l’opposition qui accusent la Ceni d’être de connivence avec l’Exécutif?
Ça, c’est une interprétation. Constitutionnellement, il y a des responsables. Si c’est bien, on va les féliciter et si c’est mal ce sont eux qui sont totalement responsables. Ça ne sert à rien de dire que la Ceni prend des ordres à la Présidence ou d’ailleurs. Si leur indépendance est empiétée ou étouffée, alors les commissaires doivent avoir le devoir de vérité vis-à-vis du peuple de Guinée en disant qu’ils ne peuvent pas faire leur travail et donc ils préfèrent démissionner que d’envoyer le pays dans une situation sans issue.
La Ceni a annoncé le dépôt des listes des candidatures. Est-ce que votre parti est intéressé?
Nous sommes tous intéressés par des bonnes élections législatives.
Et si elles sont organisées dans le contexte actuel?
Il y a des concertations qui sont en train d’être initiées, de part et d’autre, au sein de l’opposition plurielle pour que tout le monde ait la même attitude et le même langage par rapport à la situation qui prévaut dans le pays.
Quelle est la position de votre parti. Aller où ne pas aller aux élections?
Lorsque la concertation aura lieu, à ce moment-là, les uns et les autres se prononceront. Il ne faut pas danser plus vite que la musique.
Quelle est votre opinion par rapport à la mission conduite par les anciens présidents du Bénin, Nicéphore et du Nigéria, Goodluck Jonathan, qui a séjourné en Guinée pour évaluer la période préélectorale ?
Je pense que l’arrivée de cette délégation a montré la préoccupation de la Cedeao, l’UA et la communauté internationale par rapport à la situation qui prévaut en Guinée. Les pressions diplomatiques et politiques vont s’accentuer sur le président Alpha Condé pour qu’il renonce à son projet de nouvelle Constitution et qu’il s’engage avec tout le sérieux et la responsabilité nécessaire d’accompagner la Guinée pour le restant de son mandat à avoir une sortie de crise apaisée et une bonne organisation des élections et présidentielles.
Dans un communiqué, la Présidence de la République a fait savoir qu’elle n’avait pas été avertie de l’arrivée de la délégation. Qu’en dites-vous?
Je pense que ce communiqué a été démenti par la publication de l’accusé de réception de la lettre qui a été envoyée aux autorités guinéennes. Tout ceci montre qu’au sommet de l’État, il y a certaines personnes qui n’accordent pas d’importance à la vérité et à l’honorabilité de la représentation nationale.