Si certains hommes politiques et autres intellectuels considèrent que l’arrêt destituant le président de la Cour constitutionnelle a été pris dans un mépris total du droit, par contre, une autre lecture juridique soutient que la destitution est légale, et même dans un cas contraire, elle est sans appel.
L’Association des magistrats de Guinée (Amg) s’est fendue un communiqué dans lequel elle remet en cause, sous l’aspect de la légalité, l’arrêt de destitution du président Kelefa Sall. « L’auto saisine de la Cour constitutionnelle alors que la loi ne le lui permet pas. La procédure de saisine sur cette matière particulière est réglée par les articles 85 et 86 de la loi L/2011/006/CNT relative à la Cour constitutionnelle. Cette procédure a été méconnue. Les seuls motifs prévus par l’article 11 de cette loi organique ne figurent pas dans cet arrêt. L’obligation de motivation de toute décision juridictionnelle n’est pas respectée par l’arrêt qui ne comporte aucun exposé des faits reprochés à Kélèfa Sall, ni aucun motif de droit servant de base à la décision».
De la légalité de la décision
De l’avis du juriste, Dr Alhassane Makanera Kaké, la destitution de Kelefa Sall est sans appel du moment qu’elle a été décidée par la majorité des membres de la Cour constitutionnelle. «Juridiquement, il n’y a aucune autre possibilité légale ou illégale. Qu’on soit d’accord ou pas c’est un problème déjà verrouillé.(…) On a demandé à des structures représentatives de la nation de désigner de gens pour leur sagesse. Si nous les avons choisis comme sages pour les mettre à la Cour constitutionnelle, on n’a rien dit. Ils ont été désignés par leurs structures, confirmés par le Président de la République puis, ils ont prêté serment et également statué sur beaucoup de dossiers notamment les élections. Nous étions là depuis le début, on n’a pas contesté, aujourd’hui, la Cour prend un énième arrêt et puis on dit qu’on n’est pas d’accord. Il faudrait quand même être conforme avec soi-même. Ce n’est pas aujourd’hui on doit parler de leur illégitimité», souligne le juriste.
Les magistrats, dans leur communiqué ont fait constater que nulle part dans l’arrêt destituant Kelefa Sall, les conseillers de la Cour constitutionnelle n’ont indiqué les dispositions fixant la compétence de l’institution en matière de révocation ou de destitution.
«Sachant que les décisions de la Cour sont sans appel, qu’en est-il lorsqu’elles violent manifestement la loi? », s’interrogent les magistrats dans leur communiqué. En réponse, Dr Alhassane Makanera cité: «l’article 99 de la Constitution nous dit que les arrêts de la Cour sont sans appels. Je suis juriste, je pose une question, je recherche la solution dans le droit et je dis les lois. Quiconque veut faire une allégation, il va viser les lois et vérifier. Juridiquement, le problème est clos et verrouillé parce que la loi n’a donné aucune possibilité à un autre organe pour dire le contraire de la décision de la Cour constitutionnelle même si sa décision est manifestement illégale. (…) Vous savez Dieu nous a créés de telle sorte que la Bible nous dit : qui contrôlera le dernier contrôleur ? C’est seul Dieu. Le dernier contrôleur en matière du droit en Guinée c’est la Cour constitutionnelle. Quand elle faillit c’est fini parce qu’il n’y a pas un autre contrôleur au dessus de la Cour constitutionnelle».
Velléités de 3e mandat
L’ancien ministre de la Justice, le constitutionnaliste, fait un rapprochement trop évident entre les ennuis actuels de Kelefa et la mise en garde que celui-ci avait faite au président de la République contre «les sirènes révisionnistes». «Il ne faut pas que les gens oublient que le président de la Cour constitutionnelle a un certain rôle important quand il s’agit des velléités de changement de Constitution. Or, je crois que ces velléités existent à l’heure actuelle. Lors de l’investiture du président de la République, le président de la Cour, Kelefa Sall avait mis en garde contre « les sirènes révisionnistes». Ce discours n’a pas plu et il est dans le collimateur depuis ce temps».
Pour avoir été membre de la Commission constitutionnelle du Conseil national de la transition (Cnt) ayant rédigé la Constitution de 2010, M. Sylla désespère de voir le ridicule spectacle auquel se donne la Cour constitutionnelle. «C’est une haute juridiction qui devrait être composée de gens de haute stature morale. Malheureusement, ce n’est pas le cas et j’ai l’impression qu’on a mis n’importe qui dans cette Cour constitutionnelle. Elle va de scandale en scandale. Jamais je n’ai vu de ma vie une Cour exposée aux spectacles publiques comme cette Cour le fait. C’est une catastrophe pour le pays».
L’inquiétude de l’opposition
Les opposants politiques ont exprimé leur inquiète face à ce qu’ils qualifient “d’acharnement” contre le président de la Cour constitutionnelle. «Il s’agit d’un harcèlement qui vise une personne qui est Monsieur Kelefa Sall dont la position contre un troisième mandat est affirmée et assumée. Il n’y a aucun autre objectif que ça. Depuis qu’il a dit, il ne faut pas que Monsieur Alpha Condé écoute les sirènes révisionnistes et que c’est son deuxième et dernier mandat, on cherche à lui créer des problèmes. L’opposition républicaine a décidé de lui exprimer sa solidarité et de le soutenir. On s’est engagé à utiliser tous les moyens légaux pour défendre cet homme intègre qui veut défendre la Constitution de la République parce que nous ne voulons pas de troisième mandat», a prévenu le chef de file Cellou Dalein Diallo au sortir dune plénière le 12 septembre au QG de l’Ufdg a Hamdallaye.
Même son de cloche à L’Ufr de Sidya Touré, Haut représentant du chef de l’Etat, qui «s’étonne de la démarche de huit conseillers de la Cour constitutionnelle visant à démettre le Président de ladite institution». En Conseil Politique restreint le 13 septembre 2018, le parti a estimé «que la motion de défiance n’est aucunement prévue par la loi pour destituer le Président de la Cour constitutionnelle».
Fidèle à son habitude de dépôt de plainte, la cellule Balai citoyen a encore annoncé des poursuites judiciaires contre les 8 conseillers de la Cour constitutionnelle ayant pris l’arrêt destituant le président de la Cour constitutionnelle. «La position du balai citoyen sur cette question est claire. Nous considérons ces conseillers comme étant des délinquants et nous travaillerons conformément aux lois de la république et les traités internationaux afin qu’ils puissent servir d’exemple pour le peuple souverain de Guinée mais aussi, tous ceux, de près ou de loin, qui occupent une fonction publique dans ce pays. Ce passage a ouvert un boulevard pour le balai citoyen dont nos avocats ont pris toutes les dispositions y afférentes. Car, le lundi, ces personnes seront poursuivies devant nos tribunaux nationaux», a déclaré Sékou Koundouno. Un sit-in est prévu ce lundi 17 septembre 2018, devant le siège de la Cour constitutionnelle.