Plus en plus de femmes évoluent dans l’entrepreneuriat en Guinée depuis un certain nombre d’années. Comment parviennent-elles à s’en sortir? Comment se présente ce secteur en elles? Quelle est l’importance pour les femmes d’entreprendre et quelles sont les difficultés dans le milieu? Pour mieux comprendre, nous avons tendu notre micro à une femme entrepreneuse qui évolue dans le milieu depuis 10 ans.
Guinee360: Présentez-vous et parlez-nous de votre parcours scolaire et universitaire
Nanette Touré: Je m’appelle Nanette Touré, je suis née à Conakry. J’ai fait l’école primaire à la place des martyrs, Amilcar cabral et Nongo Unité ensuite le collège et le Lycée à Sainte Marie. J’ai eu le baccalauréat en 2000 option Sciences sociales au lycée Sainte Marie à Coléah. Après une année sabbatique, je suis allée poursuivre mes études en France en 2001. J’ai fait une école préparatoire d’expertise comptable avant de choisir la filière communication. Je suis diplômée en Communication globale conduite de projets de l’ISCPA, entendez institut supérieur de la communication, de la presse et de l’audiovisuel à Paris.
Après vos études en France, quelles sont les raisons qui vous ont poussée à rentrer en Guinée pour entreprendre ?
Je n’ai jamais vraiment travaillé en France, sauf des petits boulots pour arrondir les fins de mois pendant les études. J’ai eu à faire des stages en entreprises comme cela était recommandé par l’école pour valider mon année, mais je n’ai jamais eu un emploi proprement dit.
Contrairement à beaucoup, avant même de partir je savais que ce n’était qu’une aventure utile à ma formation et non une quelconque occasion de partir construire une nouvelle vie ailleurs. Donc c’est tout naturellement qu’à la fin de mes études je suis rentrée chez moi heureuse d’avoir vécu une telle aventure humaine. Un privilège que beaucoup non pas eu. Donc cela me paraissait injuste de ne pas revenir, ne serait-ce qu’y penser me donnait l’impression de trahir des amis qui n’avaient pas eu cette chance.
Quel est l’avantage d’entreprendre ?
C’est de pouvoir rêver grand, espérer beaucoup, se tromper souvent et continuer d’y croire encore et encore. Ce qui est plus difficile lorsqu’on est employé dans une entreprise dont on ne cautionne pas les valeurs.
Vous êtes dans l’entrepreneuriat depuis 10 ans maintenant. Comment se porte ce secteur ?
Ohh, il n’a, à mon avis, jamais été moins bien, ou pire qu’il n’a été, avant que nous ayons débuté nous autres. Il y a eu des avancées considérables en terme de libéralisation de l’information. Avant, pour savoir comment payer l’impôt il fallait avoir la chance de tomber sur la personne de bonne foi qui nous assistait réellement. Aujourd’hui, les textes sont disponibles, on sait exactement de quelle catégorie on relève, ce que l’on doit payer. Il y a déjà un peu plus de transparence. En terme organisationnel donc, le secteur, je dirais, se porte plutôt bien dans la mesure où n’importe qui aujourd’hui peut créer une entreprise et facilement.
Par contre, en terme de contrôle, de suivi et de conduite réel à un cadre propice aux investissements pour les entreprises locales, rien n’a changé. Il n’existe toujours pas de prêts à l’investissement, toujours pas de lutte contre la corruption sur l’obtention de marché, et surtout, aujourd’hui, nous n’avons toujours pas la possibilité réelle de créer des emplois durables. Entreprendre sans pouvoir créer des emplois durables est-ce gratifiant pour un entrepreneur qui se respecte? je ne le crois pas.
Mais, nous sommes encore là, nous continuons de rêver, de nous sociabiliser réellement et de dialoguer entre entrepreneurs pour trouver des alternatives et valoriser notre statut.
Quelles sont les difficultés qui assaillent le secteur de l’entrepreneuriat ?
La désinformation ou disons plutôt la propagande. Booster à tout prix les jeunes à la création d’entreprise, en n’ayant au préalable réglé aucune problématique réelle, pour leur assurer la pérennité de leur activité est un leurre. L’avenir n’est pas à la création d’entreprises nouvelles mais à la viabilité de celle qui sont déjà là. Et, je suis sûre que nombreuses sont celles qui méritent assistance, et sont porteuses de création d’emplois réels et durables.
Encore faut-il avoir une volonté réelle de régler les vrais problèmes liés à l’entrepreneuriat en général et surtout à la problématique jeune en particulier. Faire croire aux jeunes que tout y est rose et en faire la promotion comme le Graal suprême, c’est déplacer le problème.
La concurrence déloyale et la corruption, on compte sur le bout des doigts les entreprises locales valablement installées ou professionnelles dans leurs domaines.
Il arrive que sans outre mesure un marché soit accordé à un concurrent qui n’a ni bureau, ni employé et que l’on sache très bien qu’il existe uniquement sur papier. Il arrive aussi que ce soit dans certaines entreprises donneur d’ordre, les employés même qui sont les premiers concurrents en matières de prestation de services. Pire, certains sont clairs, sans ristourne pas de marché.
La situation se passe au vu et au su de tout le monde. Annonceurs, Prestataires et institutions de l’Etat. Qui pour rattraper le tir d’une injustice devenue légion ? Pour l’instant personne. Les moyens de contrôle et la volonté que ça s’arrête n’arrange certainement pas encore ceux qui doivent en prendre la décision…
Tout le monde se plaint mais pourtant tout le monde s’y prête
Oui, le manque de ressources humaines et financière. Aujourd’hui pour un appel à candidature concernant ne serait-ce que le recrutement d’une hôtesse d’accueil, on est obligé de fermer les yeux sur certains points pour recruter. Si l’on considère réellement tous les critères, les candidats ne font pas le poids et cela est valable dans pratiquement tous les domaines. Rares sont ceux qui sortent du lot.
Second point, les personnes sortant du lot, ne veulent plus avoir à faire leur preuve, elles veulent tout de suite le meilleur des salaires et gratification mais sont incapables pour la plupart de mener à bien des objectifs concrets.
Ceux par contre qui passent haut la main ces deux étapes deviennent en l’espace de 6 mois, les premiers concurrents de l’entreprise. Ils démissionnent et partent avec tous les contacts de l’entreprise, montent leur propre affaire dans exactement le même domaine en l’espace de 3 autres mois, sans que l’employeur n’ait aucun moyen légal de se retourner contre lui. Et quand bien même légalement c’est possible, il faut avoir les fonds nécessaires pour aller dans une telle bataille.
La problématique reste entière sur ce point. Il ne faut pas généraliser mais dans l’ensemble c’est le problème que chaque employeur a eu à traverser ces dernières années. En ce qui concerne la ressource financière, on est loin des entreprises à 1 euro de la France ou des prêts à 0.5%. Le taux d’emprunt est tellement élevé que ce serait se mettre une belle corde au cou de tenter le diable.
Aussi, avec le “un jour avec et un jour sans” du contexte actuel, il est difficile autant pour nous de nous projeter, que pour les banques de nous suivre. Donc cette problématique de ressources reste entière également pour la plupart des entrepreneurs. Pour ne citer bien sûr que ces problématiques ci. Mais des solutions existent bel et bien et il est temps que tous ensemble (acteurs du secteur), nous abordions les vrais sujets pour trouver des vraies solutions.
Est-ce qu’aujourd’hui vous pouvez dire que vous avez bien fait de rentrer en Guinée après vos études en France ?
Absolument, je ne l’ai jamais regretté foncièrement. Même si ailleurs j’aurais sans doute eu de meilleures opportunités de par mes compétences et surtout j’aurai été plus valorisée que je ne le suis dans mon propre pays. Je suis chez moi, que voulez-vous ? Après, le défi est immense et aujourd’hui je suis en mesure de pouvoir moi-même participer à l’élaboration des solutions.
Comment voyez-vous la femme dans l’entrepreneuriat ? Quelles sont les contraintes que vous rencontrez en tant que femme dans ce domaine ?
La femme dans l’entrepreneuriat doit faire sa place. Pourquoi vouloir être au même pied d’égalité que des hommes lorsqu’on peut être encore meilleure qu’eux (rire)? Mes clients et collaborateurs vous le diront, je suis coriace, motivée, et je m’éclate avant tout. En tant que femme on doit mériter autant que les hommes notre place et pour cela mieux vaut miser sur ses compétences et sa proactivité que sur la beauté de son rouge à lèvres. Le regard qu’on a sur soi-même et qu’on porte sur son métier c’est la seule chose qu’aucune concurrence ne peut briser, même si ce n’est que des hommes en face de vous.
Les contraintes, y en a-t-il vraiment plus ou moins pour les femmes que pour les hommes dans l’entrepreneuriat ? Je ne crois pas. Nous avons en Guinée les mêmes problématiques. Après, pour les femmes les contraintes liées au genre, je pense, sont les mêmes. Beaucoup de fausses promesses pour vous accoster autour d’un verre, on voit d’abord une femme avant de voir une personne capable d’offrir un service… Mais, une fois passé cette étape, en général si l’on s’accroche, et qu’on sait qui on est, on inspire rien d’autre que le respect.
Aussi, entre parenthèse, célibataire on a plus de marché mais ça, faut pas le dire. C’est vrai que quand on est Madame, les RDV se confirment un peu plus difficilement. Mais à part cela, ça va.
Quelle lecture faites-vous de la vie de la femme guinéenne ?
Les femmes guinéennes ont toujours été pour moi une source d’inspiration. De la femme au foyer, nous avons aujourd’hui une génération de femmes intellectuelles, chercheurs, écrivaines, journalistes, médecins… Les femmes sont de plus en plus nombreuses à être actives socio économiquement et surtout à faire preuve de dignité dans la conduite de leur projet de vie. Et cela nous le devons à nos petites mamans, cette génération qui n’a pas trop eu le choix. Travailler ou s’occuper de ses enfants pour leur garantir un meilleur avenir. Elles ont beaucoup misé sur leurs filles avec une volonté acharnée de leur donner le choix qu’elles n’ont pas eu. Nous sommes le fruit de tant de sacrifice et celles qui le savent et qui essaient de mériter ce sacrifice tant mieux pour elles !
Après au niveau de la loi, les textes existent pour faire de nous les femmes les plus complètes et heureuses… A notre génération de mener donc ce combat de la liberté et de la reconnaissance des femmes comme citoyenne à part entière. Pas comme juste la fille de, la femme de, etc. La société nous mire dans le politiquement correct pour mieux nous dompter. Donc aux femmes de ne pas avoir peur d’être incomprises pour mieux se faire comprendre.
Comment voyez-vous la célébration du 8 mars en Guinée ? Et comment devrait être célébrée cette date selon vous ?
Déjà le 8 mars, vient de loin. C’est une journée importante et pas que pour la Guinée.
Mais à mon avis, ce jour, nous devons faire une introspection et voir où nous en sommes en tant que femme. Dans nos vies, dans la société. Où en sont-elles les femmes d’ailleurs, comment nous inspirer de ce que les autres ont réussi chez elles pour améliorer nous aussi nos conditions en local ? Mais avant tout cela, il faut que nous sachions en Guinée ce que cette date devrait porter comme message pour toute une génération. Nous ne connaissons plus son histoire par rapport au monde que son histoire en Guinée… Quelles femmes représentent le plus le symbole de combat pour les droits des femmes en Guinée ??? Pourtant il y en a eu. Donc nous devons déjà nous recentrer et trouver notre combat et notre façon de le mener. Pas que le 8 mars de chaque année… Mais pour léguer quelque chose de concret à la génération suivante.
Un conseil aux filles et femmes de Guinée
Faites toujours des choses dont vous serez fières et sachez que l’importance de la femme n’est que peu de choses si elle n’a rien à léguer. Où que vous soyez, partagez des valeurs pour les perpétuer et quand vous serez plus grande transmettez à votre lignée votre façon d’aimer. La plus grande richesse de ce monde réside dans votre paume. Ayez plus souvent la main sur le cœur que le poing vers le ciel.
Dieu bénisse les femmes et les hommes qui aiment et protègent les femmes que nous sommes. Amen!
Merci beaucoup madame
C’est moi qui vous remercie !