La répression de la manifestation du 5 septembre 2023 s’est soldée par 4 morts sur l’Axe. Le gouvernement par la voix de son porte-parole, Ousmane Gaoual Diallo, accuse les Forces vives de Guinée de pousser les jeunes à sortir dans la rue. Le leader de l’ Union démocratique pour le renouveau et le progrès (Udrp) impute, à son tour, aux autorités de la transition les tueries des manifestants. Dr Édouard Zoutomou Kpogomou évoque aussi l’absence de dialogue entre les Forces vives de Guinée et le Cnrd. Interview !
Guinee360.com : Le gouvernement par l’entremise de son porte-parole, Ousmane Gaoual Diallo, vous reproche de rester chez vous et de pousser les jeunes dans la rue. Que répondez-vous ?
Dr Édouard Zotomou Kpogomou: M. Gaoual devrait s’occuper justement de ce qui l’intéresse. Si eux, ils ne forçaient pas les gens à sortir, et ne mettaient pas les militaires sur la route, il n’y aurait jamais eu de dégâts. Il n’y aurait jamais eu de morts. Il n’y a pas une façon standard de faire des manifestations. On peut manifester avec des pancartes, on peut manifester chez soi, on peut manifester partout. L’important, c’est le message que tu envoies. Sinon, on n’a pas besoin de jouer à des manifestations. Il y en a qui peuvent aller, selon l’itinéraire, à l’esplanade du stade du 28 septembre. Nous, nous étions en partance pour ce point de ralliement. On n’a pas besoin de suivre l’itinéraire parce que là, tout le monde n’a pas la même endurance pour suivre tout ça. C’est quand même une grande distance. Les jeunes gens, en général, sont curieux par nature. Et parfois, on nous disait que nous faisions sortir des mineurs. Personne ne peut dire à un mineur de sortir pour aller faire des manifestations. C’est pourquoi, nous avons aussi appelé, justement, au sens de responsabilité des parents. M. Gaoual, lui, il l’a fait et certainement, il est en train de se confesser. C’est ce que nous nous voyons. Sinon, personne ne peut demander aux gens de sortir. On fait une annonce pour que tous les sympathisants sortent. Si M. Gaoual a justement des conseils à donner, il n’a qu’à demander au Cnrd à garder les militaires dans les casernes. Les militaires ne sont pas faits pour contrôler les foules. Les militaires sont faits pour tuer. Et c’est la raison pour laquelle il ne devrait pas les poster à des carrefours pour traumatiser les populations. C’est ça que moi, j’ai à lui dire.
Le 5 septembre, il y a eu des manifestations un peu partout dans le pays. Pourquoi c’est seulement sur l’Axe qu’il y a eu des violences ?
Justement, c’est l’une des questions que vous devez poser à M. Gaoual. Et ça montre carrément les deux poids, deux mesures qu’ils sont en train d’appliquer. Quand on dit que les manifestations sont interdites sur toutes les places publiques, à ce que je sache, l’esplanade du Palais du peuple, c’est une place publique. À Siguiri, où ils devaient faire des manifestations, c’est une place publique. Partout où ils sont, dans les rues, c’est des places publiques. Pourquoi, eux, ils acceptent que les gens fassent des manifestations sur ces places publiques-là? Parce que ce sont des organisations qui leur sont favorables ou qui les caressent dans le sens du poil. Pourquoi ils ne le font pas avec les autres qui sont en train de critiquer leur gestion ? Pourquoi ce sont ceux-là seulement qu’on est en train de piétiner ou alors de brutaliser?
Comment expliquez-vous le silence du CNRD face aux cas de morts?
Nous pensons que ça a toujours été comme ça. Remarquez qu’on est maintenant près d’une trentaine de morts. Jamais une enquête n’a été diligentée pour faire la part des choses. S’il n’y a pas d’enquête, on ne peut rien savoir. C’est parce que c’est comme si ce n’étaient pas des personnes qui mourraient. C’est comme si ce n’était rien. Alors que ce sont des êtres vivants, des Guinéens à la fleur de l’âge. Mais ça ne dit rien. C’est eux qui forment effectivement l’avenir du pays. Alors, si ces personnes-là doivent mourir et qu’il n’y ait aucune tentative même de pouvoir chercher à comprendre ce qui s’est passé, c’est très grave. Parce que généralement, ce sont les victimes qu’on blâme. Il n’y a jamais eu d’enquête en ce qui concerne les forces de défense et de sécurité. Ce sont toujours les victimes. Or, pour que quelqu’un meure, il faut bien que quelqu’un transporte des armes quelque part. C’est ça la réalité. Et les seules personnes qui ont des armes de guerre, ce sont les forces de défense et de sécurité. Donc, la solution, c’est à leur niveau. Mais puisqu’on ne veut pas leur donner la chance, on ne veut donc pas assurer ce rôle de protection-là, on laisse ça à eux-mêmes. Comme ça, on peut faire venir des gens avec des armes et puis commencer à abattre les gens comme si on abattait des gibiers. Ce n’est pas normal.
Toutes les manifestations que vous avez organisées sous le Cnrd se sont soldées par des cas de morts.
Au total, il y a 30 victimes. Pourquoi à chaque fois vous enregistrez des morts mais vous continuez à appeler à des manifestations ? Est-ce qu’en partie vous n’êtes pas responsables ?
Non, nous ne le pensons pas. À partir du moment où les manifestations sont un droit, à partir du moment où toutes les autres voies, où les autres moyens ont été déployés, tous les efforts ont été faits dans d’autres sens pour qu’il y ait une compréhension. Vous savez, pour que les gens sortent manifester, il faut qu’il y ait par exemple un manque de dialogue, un manque de pouvoir se retrouver autour d’une table, autour d’un sujet donné. S’il n’y a pas cette volonté-là pour être là, la seule façon c’est de montrer qu’on peut sortir avec sa pancarte et dire que je ne suis pas d’accord. Mais, eux, ils pensent dès que vous dites manifestation, automatiquement ce sont des casses. N’oubliez pas, quand vous désignez un itinéraire, il n’y a pas que vous à qui cet itinéraire appartient. Ça appartient à toute la population. Il y a des gens qui s’invitent justement à ces marches qui ne sont pas conviés là et qui ne sont même pas concernés par cette marche. Mais qu’est-ce que vous allez faire ? C’est la raison pour laquelle, l’État en tant qu’institution qui assure la défense et la sécurité de tous les Guinéens doit jouer son rôle en même temps que les organisateurs. C’est pourquoi, il faut conjuguer les efforts.
Le Cnrd vous accuse d’avoir violé l’interdiction des manifestations politiques sur la place publique. Que répondez-vous ?
Le problème c’est justement l’interdiction des manifestations. D’abord, c’est illégal. Ensuite, quand vous interdisez les manifestations, c’est comme si vous êtes en train de chercher à suffoquer les gens. Or, il y a ce désir de pouvoir s’exprimer. Mais quand vous interdisez, ça veut dire que vous êtes en train d’inciter les gens à réagir autrement. Sinon, ce n’est pas la première fois qu’il y a eu des manifestations ici qui se sont bien déroulées. Vous ne pouvez pas peut-être le renier, ou alors pas nier que ça a existé. C’est une fois qu’on accepte, effectivement, on laisse les gens manifester, et il n’y a jamais eu de bavure. Les seules manifestations où il y a des bavures, c’est les manifestations où on essaie d’interdire. Dès que vous interdisez, les gens se sentent frustrés parce que vous ne leur donnez pas l’occasion de venir vous dire ce qu’ils ressentent. C’est la raison pour laquelle même ceux qui organisent les marches le font avec une sorte de manifeste. Il y a le guide du manifestant. Et dans ce guide, nulle part, tu trouveras qu’on demande aux gens de sortir avec quoi que ce soit. Si ce n’est pas peut-être leurs mains libres ou alors avec des pancartes, mais de façon pacifique. Mais ceux qui s’invitent dans la marche, qui viennent avec d’autres intentions, les organisateurs ne sont pas des devins pour savoir ce qu’ils veulent faire. Si chacun vient avec ses intentions, c’est la raison pour laquelle il faut conjuguer les efforts pour pouvoir extirper de ces rangs-là tous ceux qui sont nuisibles et qui peuvent créer du tort à des innocents.
Vous reconnaissez quand même que parmi les manifestants, il y en a qui sont très violents ?
Moi, je ne peux pas le dire. C’est la violence qui appelle la violence. Vous sortez de votre maison, vous ne sortez pas pour aller créer des problèmes. Mais si vous trouvez quelqu’un qui veut vous agresser là, ou alors vous sentez qu’il a l’intention de vous agresser, vous allez être violent parce que vous allez vous défendre. C’est ce qu’on appelle self-defense.
Vous manifestez parce que vous êtes contre la conduite de la transition alors que jusque-là le gouvernement, le Cnrd, rassure que tout évolue normalement. Quelles sont les preuves à votre disposition qui vous motivent à appeler à des manifestations ou bien à alerter sur un éventuel glissement?
On n’a pas besoin d’aller loin. Tout ce qui a été dit le 5 septembre, c’est le contraire qu’on est en train de voir sur le terrain. Ce sont des preuves. Quand on a demandé à ce que le CNRD se mette ensemble avec les forces vives pour décider du contenu du chronogramme, ce n’est pas ce qui a été fait. Les forces vives n’ont rien à voir avec ce chronogramme. Quand on demande à ce qu’il y ait un cadre de dialogue parrainé par la Cedeao, ça n’a jamais été le cas. Alors, vous ne pouvez pas demander d’autres preuves. Donc, vous ne pouvez pas demander des éléments de preuve à partir du moment où, eux-mêmes, quand ils disent de ne pas créer de mouvements de soutien, c’est eux les premiers à favoriser ce mouvement de soutien. Alors ça veut dire simplement que ce n’est pas ce qu’on suit. Et mieux, nous avons dit que la transition n’est pas dédiée et n’est pas faite pour entreprendre des opérations de séduction sur les routes ou des projets de construction. La transition, c’est pour créer un cadre constitutionnel qui a été interrompu, justement, pour qu’on retourne à l’ordre constitutionnel. Il faut donc ramener cette transition-là à la création d’un cadre juridique, d’un cadre constitutionnel bien déterminé. C’est ça le rôle de la transition.
Les Forces vives restent campées sur leur position. Tandis que le Cnrd quant à lui ne veut bouger d’un iota. Comment est-ce qu’on va parvenir à mettre en place un cadre de dialogue inclusif avec tous les acteurs sociopolitiques dans ces conditions-là ?
C’est très simple. Dès le départ, les forces politiques ou alors les coalitions politiques avaient été les premières à proposer qu’il y ait un cadre de dialogue qui demande la participation directe des formations politiques et du CNRD. Mais ça, ça n’a pas été fait. On a passé par la formule de concertation qui demandait que les rencontres se fassent sous le parrainage du même CNRD, qui doit être une partie de ce dialogue. Alors, vous ne pouvez pas être partie et juge en même temps. Ce n’est pas possible. C’est l’une des raisons pour lesquelles il n’y a jamais eu de possibilité de pouvoir s’asseoir. Il suffit simplement qu’il y ait cette volonté politique. Quand vous dites que vous voulez venir pour un cadre, le cadre doit être entre les formations politiques et le CNRD. Alors, fixer d’abord une rencontre, comme ils avaient dit, en demandant la participation ou la contribution des formations. Malheureusement, tout ça, c’est de la poudre au jeu parce que les contributions qui avaient été demandées, aucune de ces contributions-là n’est trouvée dans le document final qu’il y avait. Donc, c’est comme si on voulait simplement faire semblant. En réalité, la volonté n’y est pas. C’est la raison pour laquelle les choses sont comme ça. Sinon, la solution, elle est au niveau du CNRD parce que c’est eux qui ont l’effectivité du pouvoir à l’heure actuelle.
Des membres de l’Anad qui ont récemment quitté votre coalition ont rejoint le cadre de dialogue. Ceux-ci vous accusent de refuser le dialogue. Qu’en dites-vous ?
Écoutez, ça, c’est une situation très confuse. Il ne faut même pas qu’on aille sur le terrain des gens qui ont quitté l’ANAD parce qu’il y aurait ceci, il y aurait cela. Tout le monde sait aujourd’hui comment est-ce que le CNRD est à pied d’œuvre pour débaucher des cadres, chercher à disloquer justement les coalitions qui semblent être, disons, beaucoup plus opératives en proposant des espèces trébuchantes. C’est comme ça qu’on est en train de débaucher les gens. Alors, s’il n’y a pas de cadre, il n’y a pas d’espèces pour débaucher, personne n’ira. Donc, ceux qui sont là, qui sont intransigeants, sont aussi intransigeants parce que c’est l’intransigeance qui appelle l’intransigeance. Le Cnrd a été la première institution à être intransigeante en campant, effectivement, en voulant instituer justement une sorte de dictature. Dans une transition, la dictature ne rejoue rien parce que les gens sont convaincus. Quand quelqu’un est convaincu de quelque chose, quel que soit ce que vous allez lui donner, vous n’allez pas pouvoir le débaucher. Pourquoi on n’a pas débauché tout le monde ?
Vous voulez dire que ceux qui sont partis, auraient reçu de l’argent ?
Mais, c’est le bruit qui court. On ne peut pas toujours continuer à décaisser de l’argent, à dilapider de fonds pour des objectifs, pour des raisons qui peuvent être réglées autrement. Il suffit de s’organiser. Donc, aujourd’hui, si tout le monde n’a pas pu être débauché, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas eu d’effort. Si tout le monde n’a pas pu être débauché, c’est parce que les uns croient dur comme fer que ce n’est pas par cette méthode qu’il faut les débaucher. Ce n’est pas une question d’aller se faire acheter la conscience ou d’aller vendre sa conscience pour une cause à laquelle on ne croit pas.