A l’issue d’une réunion virtuelle, lundi 5 juin 2023, des chefs d’Etat africains ont annoncé l’Initiative africaine de paix entre la Russie et l’Ukraine. Conscients de “ l’impact dévastateur de cette guerre et les menaces qu’elle fait peser sur l’Europe et sur le reste du monde, le président des îles Comores et actuel président de l’Union africaine, Othman Ghazali, de l’Égypte, Abdel Fattah El-Sisi, du Sénégal, Macky Sall, de l’Ouganda, Yoweri Museveni, de l’Afrique du Sud, Cyril Ramaphosa, et de la Zambie, Hakainde. Hichilema entendent offrir leurs bons offices entre Moscou et Kiev. Cette médiation africaine a-t-elle de chance de réussir ? Guinee360.com à interrogé Régis Hounkpè, enseignant et analyste en géopolitique et relations internationales, directeur exécutif d’InterGlobe Conseils (cabinet-conseil international spécialisé en expertise géopolitique et communication stratégique). L’analyste y évoque également le peu d’efforts des dirigeants africains dans la résolution des conflits sur le continent et la situation sociopolitique au Sénégal en proie à des manifestations contre les velléités de 3e mandat de Macky Sall. Interview !
Guinee360.com : Des chefs d’État africains sous la houlette du président sud-africain, Cyril Ramaphosa, ont annoncé leur intention de faire la médiation entre la Russie et l’Ukraine. Qu’en pensez-vous ?
Regis Hounkpè : Il est certain que toutes les initiatives de médiation pour avancer sur un plan de cessation de la guerre et de promotion de cessez-le-feu doivent être encouragées, d’où qu’elles viennent. Ce n’est pas la première fois que des dirigeants africains plaident pour tenter de mettre fin à cette guerre, mais l’écho de cette tentative n’a justement pas porté ses fruits, en dépit des différentes tournées diplomatiques de ministres et diplomates ukrainiens sur le continent et la volonté du président Zelensky d’impliquer les Africains afin qu’ils prennent position ; la neutralité étant considérée pour les Occidentaux et lui comme un soutien implicite au Kremlin.
Ont-ils de chance de réussir leur médiation là où les grandes puissances ont échoué ?
Mon analyse est que l’Occident ayant affiché ses positions pro-Kiev et soutenant l’effort de guerre de l’Ukraine, la solution viendrait forcément d’acteurs aux positions médianes comme la Turquie, la Chine ou certains pays africains. Donc, il subsiste une possibilité de médiation africaine, mais elle ne peut être renforcée que par la Chine qui apparaît en réalité comme la perspective la plus évidente pour mettre fin à la guerre. Les Occidentaux sont davantage partagés sur cette analyse, considérant que Pékin est de fait pro-Kremlin.
Etant donné que l’Afrique du Sud et la Russie sont toutes les deux membres des BRICS est-ce qu’une médiation pilotée par Cyril Ramaphosa serait neutre ou impartiale ?
L’Afrique du Sud est un acteur incontournable sur la scène africaine, mais sur les affaires internationales et pour le cas extrêmement complexe que vous avez évoqué, je ne crois pas en une médiation stricto sud-africaine. Mais je pense à un quartet Chine-Afrique (du Sud)- Turquie – ONU et cela reste hautement improbable dans la formalisation mais ça devrait se tenter. Pourquoi ne pas impliquer les pays arabes ? Je ne pense pas que l’Occident soit discrédité pour arriver à la paix mais il est suffisamment engagé et sa partialité est préjudiciable au regard du point de non-retour dans l’exacerbation des tensions entre l’OTAN et la Russie.
L’annonce de cette médiation intervient au moment où sévissent la guerre au Soudan, au nord du Congo et le terrorisme au Sahel. Pourquoi, selon vous, les chefs d’État africains ne feraient pas montre de la même détermination pour la résolution de ces conflits sur le continent avant de s’impliquer dans une guerre qui se déroule en Europe ?
C’est le paradoxe africain qui consiste à nourrir des prétentions pour ce qui se passe en dehors du continent et rester aveugle sur les malheurs qui fracturent la stabilité sociopolitique en Afrique. Ceci étant, il serait erroné de penser fondamentalement que l’Union africaine se désintéresse de ses propres drames mais elle le fait de façon inégalée et les impacts sont amoindris, surtout avec l’intensité des guerres et conflits que vous venez d’énumérer.
Les manifestations contre les velléités de Macky Sall de briguer un 3e mandat ont été émaillées de violences qui se sont soldées par de cas de morts. Jusque-là le Sénégal était cité en exemple en terme de démocratie. Comment analysez vous cette situation ?
C’est la preuve que les soi-disantes plus belles vitrines de la démocratie en Afrique se brisent sous le poids de la rage du pouvoir et de l’hubris de certains des dirigeants du continent. C’est infiniment regrettable ce qui se passe au Sénégal, surtout dans un contexte sous-régional et régional déjà instable. Le pouvoir est temporel, ce que beaucoup de présidents ignorent en sacralisant la folie des mandats supplémentaires et usurpés que je condamne autant que les coups d’Etat militaire. Il y a déjà eu trop de morts au Sénégal, des arrestations arbitraires, des cas de tortures qui vont certainement être documentés, des violations des libertés individuelles et publiques de plus en plus criantes. Février 2024 apparaît comme le créneau de la grande bascule chaotique si les principaux acteurs ne se ressaisissent et en premier, le président Macky Sall qui doit clairement donner la preuve du respect de la constitution en ne tentant pas de se représenter au prochain scrutin présidentiel.
L’opposant Ousmane Sonko est considéré comme étant un anti-français. Sur le plan géopolitique, la France – qui ne voudrait pas perdre sa mainmise sur le pays – peut-elle avoir sa part de responsabilité dans cette situation ?
J’ai plusieurs fois écouté Ousmane Sonko, il n’est absolument pas la caricature dépeinte de l’anti-français. Il est patriotiquement pro-Sénégal et viscéralement pro-Africain. Dans cette crise, la France doit se tenir à sa place, c’est-à-dire en restant à distance des affaires sénégalaises si elle ne veut pas amplifier la vague de défiance qui l’accable depuis plusieurs années. Les Sénégalais ont la pleine capacité de trouver des solutions à cette crise et aucun pays ne doit s’immiscer et prendre position.