En plus du terrorisme, les pays sahéliens sont confrontés au phénomène de coup d’Etat. Après le Mali, le Burkina et le Tchad, c’est au tour du Niger de connaître une prise du pouvoir par l’armée. Quelles conséquences sur les pays du Golfe de Guinée ? Que peut faire la Cedeao. La junte nigérienne dirigée par le général Abdourahmane Thiany va-t-elle suivre le même chemin que ses homologues maliens et burkinabés ? Quel avenir pour la coopération avec la France ? Régis Hounkpè est enseignant et analyste en géopolitique et Directeur exécutif d’InterGlobe Conseils. Il intervient également en géopolitique de l’Afrique en Master 1 à l’université de Reims Champagne-Ardennes, au Centre de valorisation professionnelle de Tunis et à l’école nationale supérieure des armées de Porto Novo au Bénin. Il répond aux questions de Guinee360.com. Interview !
Guinee360.com : Comment analysez-vous la situation au Niger après le coup d’Etat ?
Régis Hounkpè : Je suis convaincu que la majorité des observateurs et analystes en géopolitique internationale ont été interloqués par ce coup d’Etat qui intervient dans un contexte sécuritaire instable dans le Sahel. Le Niger apparaissait comme une sorte de pôle de stabilité politique. Je me pose encore la question de savoir quelle est la caution que peuvent apporter ceux qui ont pris le pouvoir par la force au premier chef le général Abdourahmane Thiany qui est quasiment l’homme de l’ombre du président Bazoum comme ce fut le cas pour le précédent président. Cela reste assez surprenant. Ce n’est pas parce que des chefs militaires viennent diriger un pays que les questions sécuritaires sont résolues. C’est un argument qui n’a pas de consistance à la fois politique, morale et constitutionnelle.
Le coup d’Etat a été perpétré par la garde présidentielle. Comment expliquez-vous le ralliement des autres unités de l’armée au lieu de sauver le président Bazoum ?
Aux premières heures du coup d’Etat, la majorité de l’armée nigérienne devait être interloquée. Je pense qu’il y a eu un temps d’anesthésie avant de vite se relever et, peut-être, au nom de la stabilité ou au nom de la solidarité des frères d’armes, finalement ils se sont résolus de soutenir le coup d’Etat.
On a assisté à des manifestations de soutien aux putschistes dans la capitale Niamey où des citoyens ont brandi le drapeau russe. Que cela vous inspire-t-il ?
Au début, il y a eu des gens qui se sont levés contre le coup d’Etat. Après, on a eu un autre mouvement qu’il ne faut pas négliger qui soutient l’armée, malheureusement, en brandissant des drapeaux russes. C’est un phénomène qu’on a observé dans tous les pays où il y a eu de coup d’Etat dans le Sahel. Il y a une forme de délégation de pouvoir comme si ce coup d’Etat était fait dans le cadre de la modification ou de la transformation des relations avec des partenaires extérieurs. Effectivement, la France est depuis plusieurs années en totale perte d’influence en Afrique de l’Ouest. Et dans le Sahel, la France est revenue dans le jeu par le mauvais biais. Et la Russie est appelée au secours. Je pense qu’on prend par le mauvais biais la question de nos relations avec les partenaires extérieurs. Si nous décidons sur le continent africain de façon légitime, souveraine de mettre fin à nos relations avec la France, faisons-le. Mais si c’est pour être sous la tutelle russe, je dis non. Je crains que tous les pays qui pensent à la Russie et à Wagner, malheureusement, feront le bilan, un jour, et on se rendra compte que la tutelle russe est autant préjudiciable que toutes les tutelles que nous avons connues sur le continent.
Que peut faire la Cedeao ?
Il y a deux ans, je disais à des médias sénégalais que la Cedeao avait tout intérêt à se réinventer ou elle périrait. Je pense qu’aujourd’hui, la Cedeao n’est pas en manque de ressources. Ce qu’il lui faut c’est d’avantage de volontarisme. On a vu le président du Nigéria, Bola Tinubu, qui est intervenu rapidement et également des communiqués de presse de la Cedeao, de l’Union africaine pour dire stop. Les coups d’Etat ne peuvent pas devenir la norme de prise de pouvoir en Afrique surtout au Sahel. Dans ses protocoles additionnels, il y avait des grandes idées sur le fait de pouvoir disposer d’une force anti coup d’Etat constitutionnel et militaire. Est-ce que la Cedeao irait jusqu’à lever une force armée pour aller restaurer la démocratie nigérienne ? Je ne sais si c’est possible. Toujours est-il qu’on parle de l’exemple Sénégalais qui était intervenu en Gambie (pour déloger l’ancien président Yahya Jammeh, NDLR) même si ce n’est pas forcément dans le même ordre d’idées. Ce qui est certain aujourd’hui, la Cedeao doit rapidement réfléchir à des mécanismes de dissuasion je dirais quasiment nucléaire des coups d’Etat militaire et des coups d’Etat constitutionnels.
Sur 16 pays de la Cedeao, 4 sont en transition militaire. Faut-il craindre l’effet contagion dans d’autres pays ?
Il y a même des spécialistes qui parlent de l’harmattan sahélien qui pourrait fondre sur les pays du Golfe de Guinée. Je pense qu’aucun pays n’est épargné, malheureusement. On a longtemps cru que les groupes terroristes ne se développeraient que dans le Sahel et ne viendraient jamais dans les pays du Golfe de Guinée. Malheureusement, beaucoup d’entre eux ont connu l’hydre terroriste. Dans le même ordre d’idée, je pense que des coups d’Etat militaires peuvent intervenir dans les pays du Golfe de Guinée. Vous avez rappelé des pays qui ont connu des coups d’Etat constitutionnels sont en place où la démocratie ou la gouvernance politique ne sont pas de mise. L’Afrique de l’Ouest est très malade actuellement. Il y a un défi qui s’offre à la jeunesse, à la société civile, à la classe politique et aux démocrates de la sous-région et au-delà de réinventer la façon dont nous souhaitons gouverner. On commence à parler d’harmattan sahélien, mais rien ne dit qu’un pays du Golfe de Guinée ne connaîtra pas de bruit de bottes et qu’un président soit mis de côté par sa propre garde présidentielle ou son armée qui aura décidé que ce président est au pouvoir depuis très longtemps, ne fait que brimer sa population. Parfois même, on peut estimer que le président qui a, peut-être, bien élu, mais parce qu’en cours de route il a commencé à démontré des éléments de dictature. On peut supposer que du jour au lendemain, l’armée se sentira en légitimité pour faire de coup d’Etat. Je pense qu’on n’a pas besoin de ça. Ce qui se passe dans le Sahel est assez dramatique et déstabilise ces pays confrontés aux terroristes. En Afrique de l’Ouest, il y a des urgences sécuritaire et économique. Que nos chefs militaires aillent plutôt sécuriser nos frontières que de provoquer de révolution de palais.
Vous l’avez dit le Niger est en proie au terrorisme. Est-ce que ce putsch ne risque pas de favoriser la propagation des djihadistes vers d’autres pays et déstabiliser ainsi la sous-région ?
Le fait qu’il y ait un coup d’Etat quelque part, cela mobilise toute l’attention vers ce qui se passe à la capitale et ça laisse les frontières totalement poreuses. Ça fait que la mobilisation ne se fait plus pour la sécurité des frontières, la lutte contre les groupes armés terroristes. C’est l’argument utilisé par ceux qui font les coups d’Etat parce qu’ils se retranchent dans leur palais doré. Ce qui se passe au Sahel peut aussi passer dans le Golfe de Guinée.
Des manifestations pro junte ont brandi le drapeau cela ne présage-t-il pas le même revirement que ce qu’on a observé au Mali et au Burkina avec Wagner ?
Cela ne m’étonnerait pas que très bientôt que les militaires qui ont pris le pouvoir au Niger parlent d’une redéfinition de la coopération militaire entre la France. On sait que le redéploiement d’une partie de la force Barkhane quittant le Mali s’est concentré sur le Niger. Il y a des fortes chances que dans les jours à venir cette coopération soit revue à la baisse dans la mesure où l’un des arguments c’est la souveraineté. (…). Je pense qu’il est extrêmement urgent que nos pays redéfinissent la coopération militaire avec la France. On ne peut pas admettre que 60 ans après nos indépendances que nous ayons une coopération militaire autant intrusive dans nos affaires politiques. Les instructeurs militaires français qui sont encore sur notre continent au nom de la coopération militaire devraient comprendre que les temps ont changé. C’est même bénéfique pour la France et pour les mêmes pays africains.