La ruée sur la bauxite et en particulier la construction de ports fluviaux contribue à défricher cet écosystème, véritable trésor en Guinée.
Sur l’une des rives de « la Fatala », un fleuve qui débouche sur le Rio Pongo, dans l’Atlantique, le débarcadère est en pleine effervescence, entre l’affluence des vendeuses de poissons, les va-et-vient des pirogues, ou les causeries des pêcheurs qui réparent en musique leurs embarcations et filets.
Mais sur l’autre rive, le paysage s’est transformé. Depuis 2019 s’étend un port fluvial, d’où s’élèvent deux hautes grues. De là partent des barges chargées de tonnes de bauxite, un minerai utilisé pour fabriquer l’aluminium. En haute mer, à une cinquantaine de kilomètres, mouillent des navires, qui, une fois le transbordement d’or rouge effectué, mettent le cap vers la Chine.
Boffa, préfecture de quelque 200 000 habitants à 150 km au nord de Conakry, a vu son environnement défiguré par l’industrie extractive. Onze sociétés détiennent des permis de recherche et d’exploitation selon l’ONG Action mines Guinée, qui appelle ces sociétés à « mettre en œuvre un schéma directeur de mutualisation des infrastructures ».
Le port flanqué au beau milieu des mangroves sur la Fatala a été construit en 2019 par Chalco Guinea Company, filiale guinéenne du géant public chinois de l’aluminium Chinalco. Du site d’extraction, sur les plateaux, la bauxite est acheminée à bord d’un convoyeur à bandes, avant d’atterrir sur un tapis roulant qui mène au port fluvial, censé s’étendre encore. « Chalco construit actuellement une centrale à mazout dans la zone portuaire de Boffa pour faire tourner l’infrastructure. À la fin de novembre, plus d’un tiers des travaux d’installation du convoyeur étaient déjà effectués. Le port fluvial sera équipé de trois quais, deux exclusivement minéralier, l’autre multifonctionnel, qui permettra de débarquer le matériel pour la mise en service de la mine », indique Jeune Afrique.
« Les cours d’eau de ce fleuve sont bordés par le rhizophora. C’est l’espèce de palétuviers majoritaires ici, qui a plusieurs propriétés, comme le fait de s’adapter à l’eau salée, ou de pouvoir se régénérer naturellement grâce à ses propagules. Ce sont des graines qui tombent dans l’eau, et qu’on peut aussi repiquer en pépinières », explique Sanoussi Camara, ingénieur aux Eaux et Forêts à la direction préfectorale de l’environnement de Boffa. Impossible selon lui de déterminer la surface totale de mangrove défrichée pour les besoins de l’exploitation minière (et en particulier pour la construction du port fluvial), car la déforestation se poursuit.
« Tous ces hectares de mangrove décapités, ça nous brise le cœur, mais on ne peut rien faire, car ça a été décidé en haut-lieu. C’est surtout le ministère des Mines qui est consulté. Nous, on a été prévenus dernièrement, après que les travaux avaient démarré. Mais nous allons chercher maintenant les moyens de compensation. Car la mangrove nous rend beaucoup de services. Elle nourrit les reptiles qui apprécient son écorce amère, elle produit de l’oxygène, elle permet aux poisons de se reproduire, et elle sert aussi de barrage entre le la mer et le continent, ce qui protège des ouragans ou des tempêtes », résume Sanoussi Camara.
« La superficie de la mangrove guinéenne est variable car c’est un milieu extrêmement dynamique qui est exploité depuis longtemps. Certains travaux attestent que cela remonte à la préhistoire au Siné Saloum, au Sénégal, et c’est certainement le cas aussi en Guinée. Comme il s’agit en plus d’un milieu mobile, situé à l’interface entre l’océan et le continent, il paraît plus simple, plutôt que de parler de superficie, de considérer que la mangrove s’étend tout le long du littoral guinéen (environ 300 km), c’est à dire de la frontière nord avec la Guinée-Bissau jusqu’à la frontière sud avec la Sierra-Leone, et qu’entre les deux il y a de la mangrove partout, sur une profondeur allant de 20 à 80 km », indique Didier Bazzo, géographe, ancien directeur de l’Observatoire national de la mangrove en Guinée, et aujourd’hui consultant pour les sociétés extractives opérant dans ce pays.
La mangrove guinéenne est menacée, ajoute-t-il par le changement climatique, avec la montée des eaux, et par les activités anthropiques, et notamment industrielles. Outre l’établissement d’infrastructures portuaires en bordure de fleuves qui nécessitent au préalable de détruire la mangrove, l’effet des dragages permettant au barges de naviguer dans les estuaires est également à prendre en compte selon Didier Bazzo : « cela modifie les conditions hydro-sédimentaires dont sont extrêmement dépendantes les mangroves. Elles deviennent donc très sensibles à ces changements. »
Comment, donc, juguler ces impacts ? Freiner l’industrie extractive ne semble pas à l’agenda du gouvernement guinéen, puisque le pays vient de se hisser, avec environ 70 millions de tonnes de bauxite exportées en 2019, au 2e rang des producteurs mondiaux de ce minerai selon des données de la Banque mondiale sur les perspectives du marché des produits de base. « Le développement économique de la Guinée passe aujourd’hui par ces exploitants miniers, et à partir de là, il faut accepter l’installation d’infrastructures portuaires, assure Didier Bazzo. Comment limiter ces effets, c’est peut-être en préservant des zones du littoral qui, elles seront exemptes d’infrastructures portuaires et sur lesquelles il pourrait y avoir une initiative de protection intense de cette mangrove. »
Un article de : Agnès Faivre / FranceInter