C’est dans un langage acerbe que l’ancien ministre de la Justice se prononce sur l’actualité sociopolitique guinéenne. Elhadj Salifou étanche Alpha Condé «pas plus un président qu’un chef de parti» et exprime également sa déception vis-à-vis de l’opposition.
Dans cette interview, il n’épargne pas non plus le Premier ministre Kassory Fofana «un vaniteux qui a renié ce qu’il a été».
Guinee360: Quelles sont vos impressions par rapport à ce qui se passe à la Cour constitutionnelle ?
Elhadj Salifou Sylla: Je sais qu’il y a eu un précédent au mois de mars dernier à l’occasion du remplacement des 3 conseillers. J’ai été l’un des ceux qui se sont opposés à leur motion contre le président de la Cour constitutionnelle a l’époque. J’ai dit que ce n’était pas fondé et pas conforme ni à la lettre, ni à l’esprit de la Constitution. Finalement, le président de la Cour est restée en place. Mais je constate que ce n’était qu’un répit et qu’ils seraient revenus à la charge contre lui.
Pourquoi cet acharnement contre Kelefa Sall?
On ne veut le voir là parce qu’il ne faut pas que les gens oublient que le président de la Cour constitutionnelle a un certain rôle important quand il s’agit des velléités de changement de Constitution. Or, je crois que ces velléités existent à l’heure actuelle. Lors de l’investiture du président de la République, le président de la Cour, Kelefa Sall avait mis en garde contre « les sirènes révisionnistes». Ce discours n’a pas plu et il est dans le collimateur depuis ce temps. J’ai l’impression que c’est quelqu’un qui ne va pas revenir sur cette parole. Donc, il faut qu’on l’expulse de la présidence de la Cour. Et pour ça, on utilise les autres membres de la Cour. Cette cour constitutionnelle est un scandale pour ce pays. C’est une haute juridiction qui devrait être composée de gens de haute stature morale. Malheureusement, ce n’est pas le cas et j’ai l’impression qu’on a mis n’importe qui dans cette Cour constitutionnelle. Elle va de scandale en scandale. Jamais je n’ai vu de ma vie une Cour exposée aux spectacles publiques comme cette Cour le fait. Depuis que cette Cour est en place, on va de crise en crise entre le président et les autres membres soit pour question d’argent ou autre. C’est une catastrophe pour le pays.
Est-ce ce que cette motion défiance contre le président Kelefa Sall est légale?
Déjà, j’avais dit depuis l’autre fois que leur motion n’était pas conforme à la loi. Ils reviennent par le même moyen et veulent coûte que coûte faire partir le monsieur. Le fonctionnement juridique et institutionnel de ce pays est complètement à terre, il n’y a plus de droit. Nous sommes installés dans un pays de non droit, l’Etat n’y est pas, on viole les lois, on privilégie ce qu’on appelle ici le consensus et le dialogue. Un État ne fonctionne pas sur base de consensus et de dialogue. L’Etat c’est d’abord la règle du droit, le respect de la loi par tout le monde quelque soit votre position dans la société.
Qui est responsable de cette situation?
Ce sont les dirigeants de ce pays. Tous les jours, la Constitution est violée. Et les dirigeants se permettent, comme à l’occasion de ce qui s’est passé quand ils se sont partagés le butin des élections communales, de dire : nous reconnaissons que nous avons violé la loi, mais que c’est pour la paix. Je leur réponds que leur paix est factice. Une paix qui repose sur la violation de la loi n’est pas une paix. C’est une situation provisoire qui va se retourner contre eux.
Voulez-vous dire que l’Accord du partage de la gestion des circonscriptions électorales qui étaient en contentieux était une violation de la loi ?
Cela ne devrait pas se faire. Je me suis toujours opposé à ces accords. Ici, ils font de marchandage comme de marchands de tapis. Ce n’est pas comme ça qu’on dirige un pays. Ils ont tué l’Etat dans ce pays. Celui qui est au pouvoir a dit quand il est venu, il n’avait pas trouvé un État, mais lui, ce n’est pas même un pays qu’il va laisser c’est un chaos juridique et institutionnel qu’il a organisé.
Vous étiez membre de la Commission constitutionnelle du Conseil national de la transition (CNT) ayant rédigé la Constitution. expliquez nous dans quel esprit vous avez prévu la Cour constitutionnelle?
La Cour constitutionnelle c’est une haute juridiction qui a pour mission de garantir le respect de la Constitution, de superviser les élections nationales. C’est pourquoi, elle a le contrôle de la conformité des lois à la Constitution. Elle a également le devoir de faire respecter les autres institutions leurs compétences respectives. C’est une juridiction qui devrait être au dessus de contingence financière et autres. Mais elle ne respecte pas son propre statut et les membres de la Cour n’ont pas fait honneur.
Qu’est ce qu’il faut maintenant là pour éviter un chaos total au sein de cette institution?
C’est d’abord le respect par la Cour constitutionnelle elle-même de la Constitution. Il faut des hommes et des femmes qui ont une certaine armature morale pour pouvoir remplir leur mission. Cette institution à pour mission de cultiver l’esprit et le respect des lois et se soustraire à des influences. Elle aurait pu aider ce pays en s’affirmant contre tous les pouvoirs qui sont là. Je ne suis pas d’accord avec la destitution de Kelefa Sall. La première fois, ils n’ont pas pu le faire. Maintenant, ils sont revenus et à force de taper, ils vont finir par l’enlever. Mais je crains que de fil en aiguille on aille vers le chaos dans ce pays. Parce que si vous vous amusez tout le temps à violer les lois, vous installez le non respect des lois, vous habituez le peuple a ne pas respecter le droit ça se retournera contre vous. Et ce sont ces gens là qui disent force doit rester à la loi. Les dirigeants de ce pays n’ont pas le droit de le dire parce qu’ils violent la loi tous les jours. Ils pensent que la force qu’ils utilisent pour maîtriser la population, effrayer syndicalistes, société civile avec les véhicules blindés pour balancer le gaz et l’eau chaude sur les gens, mais ce n’est pas ça l’Etat. Dans un État, la force et au service de la loi. Ce n’est pas la force qui commande la loi, mais la loi qui commande la force. Si ce n’est pas le cas, on n’est pas dans un État de droit.
A un moment donné, vous avez été facilitateur de l’opposition au dialogue. Aujourd’hui, quels sont vos rapports avec les opposants ?
Je ne peux pas cacher ma déception. J’avais toujours dit de veiller à ce que la loi soit respectée c’est dans l’intérêt de tout le monde. Ne voyez pas les bénéfices d’un petit moment pour ignorer ce qui va arriver à l’avenir. Malheureusement, je constate, de compromis en compromis, on passe à la compromission. Quand ils ont signé certains accords, je leur avais dit qu’ils ont tiré un ne balle dans leurs pieds, malheureusement, ils continuent. Je leur ai dit de ne pas signer des Accords avec de gens qui n’ont pas de respect pour leurs paroles. Comment voulez-vous travailler avec de gens comme ça ?
Aboubacar Sylla qui était porte-parole de l’opposition est devenu ministre d’Etat chargé des Transports. Qu’est ce que cela vous inspire ?
J’ai quand même des préoccupations sur la moralité des hommes politiques dans ce pays avec la manière dont ils virent d’un camp à l’autre. Ils n’ont pas de préoccupation, pas de principe ce qui les intéressent ce sont les places. Il va défendre avec la même fermeté le gouvernement que celle qu’il utilisait quand il défendait l’opposition. Ça ne le généra pas. Je sentais cette ambition en lui quand j’étais leur facilitateur et je ne suis pas surpris.
Quel est votre avis par rapport à La signature du contrat de concession du port de Conakry entre l’État et la société turque Albayrak ?
Cela rentre dans le même mécanisme de la violation de la loi. Et puis, un président, vous vous mêlez de tout même les petites choses ? Je sais que les ministres n’ont aucune valeur dans ce pays. C’est le président qui donne des directives ou des ordres à la directrice générale du port comme s’il n’y a pas des ministres c’est lui qui s’occupe de tout. Mais de toutes les façons, lui (Alpha Condé, Ndlr) ils n’est pas dans une situation de respecter la loi. Tous les jours, il est au siège de son parti malgré l’interdiction de la Constitution. Il est plus qu’un chef de parti qu’un président de la République. Lui-même, il va négocier pour la répartition des communes. Est-ce que c’est le travail d’un président ça ? Cette concession du port est une violation de la loi. Parce qu’il y a des règles qui sont posées pour une concession. Les concessions de cette envergure doivent être soumises à l’Assemblée nationale, mais ça n’a pas été fait. Mais, lui, cela ne le dérange pas parce que, pour lui, toutes les autres institutions c’est rien. Tout le monde obéit à l’œil. Vous voyez le président de l’Assemblée nationale qui crie même à la place du gouvernement pour insulter les autres députés. Il n’y a qu’un seul pouvoir dans ce pays. Cela a l’air de nous conduire vers le responsable suprême que Sékou Touré était ici. Sékou Touré avait le pouvoir exécutif, législatif et judiciaire. Même quand vous étiez condamné, il pouvait vous sortir de prison vous l’avez des toutes les peines. Comme celui qui est là s’inscrit dans la continuité de Sékou Touré, voilà où nous en sommes.
Alpha Condé a choisi comme Premier ministre, Kassory Fofana qui a servi, autant que vous, au temps de Lansana Conté. Avez-vous de l’estime pour ce gouvernement?
Je ne peux pas avoir de l’estime pour ce gouvernent. Si mes collègues de la commission constitutionnelle étaient là, ils vous auraient dit que j’avais dit que le Premier ministre n’a pas d’importance dans ce pays. Il y a 3 Premiers ministres qui se sont succédé, choisis dans la même préfecture (Forécariah, Ndlr) vous avez vu ça où ? On choisi les Premiers ministres n’ont pas pour leurs efficacités, mais pour répondre aux velléités électorales du président. Le premier, Saïd Fofana c’était pour organiser de cérémonies de lecture du Coran. Le deuxième, Mamady Youla c’était comme une carpe, il n’ouvrait même pas sa bouche. Maintenant, on amène un vaniteux qui se met à renier ce qu’il a été ici. Il a eu beaucoup d’influence sur Conté parce que celui-ci l’aimait beaucoup. C’est Kassory là a même été capable de lui faire nommer de gens. C’est celui-là qui vient dire ici qu’en 7 ans et demi, Alpha à fait ce qu’aucun régime n’a fait avant lui. Et lui, il a été associé à ce qui a été fait ici avant. Il a été directeur des grands marchés, directeur de la coopération, ministre. Il se renie et renie celui qui a été son bienfaiteur qui a fait de lui ce qu’il est. Il était rien dans ce pays ce monsieur là. C’est celui-là qui se met à vanter en oubliant toutes les injures qu’il avait adressées à Alpha Condé.
Le Kountigui de la Basse Côte et le premier imam de Kindia se sont opposés à la désignation d’Abdoulaye Bah comme maire soi-disant que celui-ci n’est pas originaire de la localité. Qu’en pensez-vous vous?
Ce que nous sommes dans un État en décadence. C’est toutes les structures informelles qui parlent. C’est quoi Kountigui ? Ce n’est pas un chef coutumier. Ce qu’on appelle Kountigui chez les soussous, c’est un homme qui, par sa moralité, se respecte. Un Kountigui c’est un homme sage, d’une haute moralité, capable d’avoir une parole et de s’en tenir. Ce n’est pas quelqu’un comme une toupie et qui roule tantôt à gauche, tantôt à droite. Il n’y a aucune structure de pouvoir en soussou qui parle de Kountigui. Ce n’est pas les gens qui vous élisent c’est par votre moralité, votre aura que vous vous imposez aux gens. Celui-ci n’a pas cette aura. L’imam de Kindia, je doute même de ses capacités d’imam. Un imam doit avoir une certaine moralité ce n’est pas seulement la connaissance, c’est la capacité de se mettre au dessus de contingence matérielle. Or, des imams sont devenus des alimentaires ici. Je suis de Kindia, je le connais. Mais s’il dit ça et que ça tient c’est pace que qu’il n’y a plus d’Etat dans ce pays. C’est pourquoi, il peut le dire et qu’il y ait impunité. Quand il n’y a pas d’Etat n’importe qu’elle force apparaît et les gens racontent n’importe quoi. Ce que l’imam a dit c’est une violation de l’Etat. Normalement, c’est le procureur qui doit le poursuivre. Même si l’Ufdg retire sa plainte ça n’empêche pas qu’on le poursuive. Une partie civile peut se retirer d’une procédure, mais l’Etat aurait dû le poursuivre.
Est-ce que des violences intercommunautaires sont elles à redouter dans ce pays avec toutes ces frictions?
Si on suivait les dirigeants de ce pays, on pouvait craindre. J’ai fortement l’impression que les guinéens ont compris cette velléité de division qu’il y a et qu’ils ne suivront pas. Nous ne suivrons pas parce qu’il y a quelque chose qui nous lie et que ces gens ne pourront pas remettre en cause. Sinon, ce que les dirigeants font dans ce pays pouvait conduire à des violences intercommunautaires. Nous avons vécu certaines violences à l’époque coloniale. Sékou Touré à poussé les gens contre les Peuls ça n’a pas marché et ça ne marchera pas non plus. Les coordinations Basse Guinée, Moyenne Guinée, Haute Guinée et Guinée Forestière sont des dangers pour un État. Ces notions n’ont pas lieu d’être pour l’unité de ce pays.
Réalisée par Abdoul Malick Diallo