Le capitaine Moussa Dadis Camara, poursuivi pour son rôle présumé lors du massacre au Stade du 28 septembre 2009, a craqué en marge des plaidoiries dans cette affaire. L’avocat a irrité la colère du prévenu en exposant des éléments au juge avant de l’inviter à condamner celui-ci et ses coaccusés pour crime contre l’humanité.
Dès l’entame, Me Kabinet Keita, avocat de la partie civile, a rappelé des propos attribués au Colonel Tiegboro Camara, secrétaire général chargé de la lutte antidrogue et du grand banditisme sur les lieux du massacre. Celui-ci aurait menacé les militants de l’opposition. “Colonel Tiegboro a assuré les manifestants au pire s’ils rentraient au Stade”, selon Me Keita.
“Des éléments du dossier indiquent que pour empêcher les militants de s’échapper au drame, les militaires, les miliciens, les personnes infiltrées ont bouclé toutes les issues. Ils sont allés plus loin jusqu’à tirer sur des câbles électriques pour les porter sur les murs afin d’électrocuter nos paisibles concitoyens. Monsieur le président, plusieurs personnes ont été arrêtées et transportées dans les camps. Au Camp Koundara, Monsieur Paul Mansa Guilavogui, qui faisait pitié au départ, c’est finalement, j’ai compris dans les différentes déclarations ne méritait pas cette pitié parce qu’il était capable d’infliger toutes sortes de torture, de traitement cruel et inhumain sous le commandant de Bégré. Monsieur le président, ces cruautés ont traumatisé notre pays. Nous avons été choqués ainsi que la communauté internationale”.
Faisant allusion aux corps des victimes portés disparus, il déclare : “Tuer est une chose mais faire disparaître les corps de ses victimes est intolérable.”
Des crimes contre l’humanité ?
L’avocat est catégorique, les crimes graves commis au Stade du 28 septembre et dans d’autres endroits à Conakry étaient l’œuvre des bérets rouges et des miliciens de Kaleya. Précisant que des actes ont eu lieu dans les camps commandés par le président Moussa Dadis Camara, chef de la junte au moment des faits, l’accusant ainsi d’être celui qui a coordonné la commission de ce massacre. Pour la punition, il exhorte le président du tribunal à qualifier les faits de crimes contre l’humanité imputables à Dadis et tous ses coaccusés.
“Il est constant que lorsque vous prenez les caractéristiques de la commission de ces crimes, monsieur le président (juge) vous ne pouvez pas échapper à la qualification de crimes contre l’humanité. C’est ce à quoi mon aimable capitaine Moussa Dadis Camara a soumis nos concitoyens ce jour… L’imputabilité de ces crimes est possible sans doute à chacun des accusés. Sur ceux, les personnes contre lesquelles je détiens des éléments matériels imparables, je vais les citer : au premier rang, vous avez le capitaine Moussa Dadis Camara. Monsieur le président des déclarations concordantes, non démenties, le chef de la junte s’est déplacé pour aller au lieu de la conception des crimes commis au Stade du 28 septembre. Autrement dit, les infractions poursuivies ici ne sont pas ordinaires ou spontanées. Il fallait la conception, la planification, le financement, les exécutants et la réalisation des actes. Le concepteur, c’est bien Moussa Dadis Camara”.
Me Kabinet Keita appuie ses propos sur les éléments suivants qui, selon lui, confirment la thèse de la conception et de l’exécution de ces crimes par le Capitaine Moussa Dadis et ses coaccusés : “Le commandant Toumba a déclaré ici que le capitaine Moussa Dadis est allé à Dubréka chez son intendant, cela n’a jamais été démenti. Le matin on le retrouve avec des centaines de personnes munies de flèches et habillées de cauris. Elles étaient nourries, logées et entretenues par le capitaine Moussa Dadis Camara. Cela ne fait aucun doute car durant tous les débats dans cette salle, cela n’a pas été démenti.
Les recrues de Kalea, selon le témoin Mamady Soumaoro, les personnes qui y étaient, avaient des particularités incontestables. Elles ont eu la formation sous le financement du capitaine Moussa Dadis. Et il n’a jamais été contesté que le gendarme Blaise Goumou (également accusé dans cette affaire, Ndlr) était bien l’une des personnes qui fréquentaient Kaléa chaque 3 jours. À la veille des événements, les bus de l’État ont servi au transport de ces personnes de Kaléa à Conakry.
Monsieur le président, ces personnes qui ont rallié Conakry pour des missions qu’elles ne connaissaient pas, se sont retrouvées avec de l’argent et des motos, d’autres blessées, au lendemain du 28 septembre 2009”.
Poursuivant, l’avocat a insisté sur la cruauté des crimes commis au Stade du 28 septembre 2009. “L’esprit de violence a été généralisé à l’époque”, en rappelant que des personnes ont été découpées au camp qui abritait la Présidence sous le règne du capitaine Moussa Dadis Camara. “Tous ces assassinats perpétrés par les proches du Capitaine Dadis, il les connaissait. Il s’agissait de Marcel Guilavogui, Paul [Mansa Guilavogui], Claude Pivi et autres”, renchérit-il.
Dadis se sent accablé
Ayant nié les faits, cet avocat de la partie civile invite le procureur de la République près le tribunal criminel de Dixinn à requérir des circonstances aggravantes pour le président Moussa Dadis Camara. D’abord, il indique que les faits sont sans appel mais malgré cela le capitaine ne les reconnaît pas, puis le fait qu’il aurait tenté de s’évader en novembre 2023 de la prison de Conakry. Soulignant que cela était tout simplement “inacceptable”.
“Un président qui cherche à s’évader ? C’est inacceptable. Mais est-ce que le président Moussa Dadis connaît le sens de l’évasion ? S’évader, c’est se soustraire à la justice de son pays, à la rigueur de la loi, à sa responsabilité, c’est fuir sa responsabilité. Mais c’est extraordinaire. Si j’étais à sa place, il est absolument certain que celui qui est venu chercher à me faire évader…”.
L’avocat n’a pas eu le temps d’aller au bout de sa phrase. Le capitaine Moussa Dadis Camara s’énerve et hausse le ton en déclarant : “Vous avez la haine. Vous n’êtes pas un spécialiste. On est dans un cas spécial. Vous n’allez pas vous arrêter et dire des paroles insensées. C’est insensé. Regardez-moi ça. Vous étiez là-bas ?.”
C’est ainsi que le juge Ibrahima Sory 2 Tounkara est intervenu pour rappeler le président Dadis à l’ordre avant de dire à l’avocat de continuer dans ses plaidoiries.