À un peu plus de deux mois de l’élection présidentielle prévue le 28 décembre 2025, un débat juridique majeur anime la scène politique guinéenne : un ancien condamné, même gracié, peut-il légalement se présenter à la magistrature suprême ?
La question prend une résonance particulière avec le cas de Moussa Dadis Camara, ancien chef de la junte, récemment gracié par décret présidentiel après sa condamnation pour crimes contre l’humanité dans l’affaire du massacre du 28 septembre 2009.
Interrogé par Guinée360, le juriste Kalil Camara rappelle que la loi guinéenne ne laisse guère de place à l’ambiguïté. «Une personne condamnée à une peine criminelle est de facto frappée de dégradation civique », a-t-il précisé.
Selon lui, cette peine accessoire entraîne automatiquement la privation des droits civiques, notamment le droit de vote et d’éligibilité. Autrement dit, une personne condamnée à une peine criminelle ne peut ni voter ni se présenter à une élection, tant que cette dégradation n’est pas levée.
La législation guinéenne prévoit toutefois trois mécanismes pour recouvrer ces droits. L’article 52 du Code pénal stipule en effet que : « La dégradation civique s’applique tant que les faits n’ont pas été amnistiés, le condamné réhabilité ou la peine accessoire expressément remise par voie de grâce. »
En clair, explique Kalil Camara, « seule une amnistie, une réhabilitation judiciaire ou une grâce spéciale qui mentionne expressément la levée de la dégradation civique peut rétablir le condamné dans ses droits politiques. »
Dans le cas précis de Moussa Dadis Camara, la grâce présidentielle a mis fin à l’exécution de sa peine, mais ne signifie pas pour autant, d’un point de vue juridique, qu’il a retrouvé ses droits civiques. « La grâce n’efface pas la condamnation. Elle ne supprime pas non plus automatiquement la dégradation civique », a-t-il ajouté.
Tout dépend donc du contenu du décret présidentiel de grâce. « Si le décret ne mentionne pas expressément la levée de la peine de dégradation civique, le condamné reste frappé d’inéligibilité, malgré la grâce», explique-t-il.
La question centrale est désormais de savoir si le décret ayant gracié Dadis Camara comporte une clause expresse levant la dégradation civique.
Si tel n’est pas le cas, sa candidature pourrait être juridiquement irrecevable, malgré le fort capital politique dont il bénéficie auprès d’une partie de l’opinion. Pour Kalil, « la jurisprudence guinéenne reste encore rare sur ce type de situation, mais le droit positif est sans ambiguïté : sans mention explicite dans le décret, la grâce ne suffit pas à rendre le condamné éligible. »
À l’approche de l’échéance du 28 décembre, ce débat dépasse le seul cas Dadis. Il soulève une question plus large : celle de la solidité de l’État de droit en Guinée à l’orée d’un scrutin décisif. « Le respect strict des dispositions du Code pénal est essentiel pour garantir la crédibilité du processus électoral », conclut le juriste.
À quelques semaines de la clôture du dépôt des candidatures, la Direction générale des élections (DGE) et la Cour constitutionnelle pourraient être amenées à trancher sur cette question hautement sensible.