Nous sommes à la maison centrale de Coronthie, la toute première prison construite pendant la période coloniale (1933). Célèbrement appelée la « sûreté » ou ironiquement « l’hôtel 5 étoiles de Coronthie », cette prison pour 300 personnes abrite aujourd’hui plus d’un millier d’individus issus de toutes les couches sociales. Ainsi qu’une cinquantaine de femmes et filles qui vivent dans des conditions toutes particulières.
Reconnue pour ses conditions de vie très dégradantes, cette prison se montre particulièrement hostile à la couche féminine. Du lieu de détention à l’hygiène la plus intime, en passant par les conditions sanitaires, l’alimentation et la literie, l’atmosphère présente des conditions inappropriées.
Ici, une cinquantaine de femmes et six (6) filles mineures se partagent une maison à trois pièces, deux petites toilettes impropres et une télévision, qui leur sert de passe-temps.
Casées dans leur fameuse maison surnommée la « Cale des femmes », elles y mènent une vie routinière dans cet angle sud-est de la prison, l’autre hôtel « cinq étoiles » de Kaloum, juste tout près du bâtiment qui sert à 1400 détenus d’infirmerie.
Nourrisses (2) portant chacune un enfant de 2 ou 3 ans, femmes en état de famille (2), jeunes femmes, filles et vieilles se partagent le quotidien avec deux repas par jour dont : de la bouillie le matin et du riz le soir « 15h-16h-17h ». Pour les plus chanceuses qui possèdent des sous, elles font dès fois une petite cuisine grâce à l’aide des geôlières, affectées spécialement pour elles.
Détenues pour des délits graves ou mineurs, chacune d’elles porte le fardeau d’une histoire toute particulière. La plus ancienne prévenue, F.C, poursuivie pour meurtre, attend toujours son jugement depuis mars 2010. Certaines soupçonnées de recel de téléphones de petites marques croupissent depuis plus d’un an, sans procès.
Aujourd’hui 80% d’entre elles sont en détention provisoire dont 43 femmes, seules 16 ont été condamnées. 58 femmes (Rapport MDT février 2019) sont poursuivies pour des affaires criminelles et 11 inculpées pour des affaires correctionnelles, selon les chiffres de l’ONG de défense des droits de l’Homme, les Mêmes Droits pour Tous (MDT).
Dans cette « forteresse » ouverte à 09h et fermée à 17h ou 18h, chacun connait sa place. La première pièce appelée chambre branche est dédiée aux femmes d’une cinquantaine d’années, la deuxième pièce (chambre noire) est aussi réservée à une catégorie de femmes avancées en âge, seule la pièce principale (hall) est autorisée aux mineures.
Les visites, elles se font le mardi et le jeudi, dans un espace pratiquement dénué de toute intimité entre les détenus et leurs visiteurs, qui s’entretiennent souvent devant les gardes pénitentiaires et autres agents. « Et même ça, parfois il y a des distorsions. Il faut que le visiteur paye une petite somme pour qu’on lui laisse l’accès pour voir un parent détenu », nous a confié une ancienne détenue sortie pas longtemps de ce « trou à rat ».
Dans cette prison, « tout est à faire » nous fait comprendre un habitué des lieux qui a préféré garder l’anonymat. Selon lui « les différents aspects dont l’hygiène, la santé, l’alimentation, les visites, le côté pénal. Dans toute l’année aucun de ces aspects ne donne entière satisfaction, parfois même un début de satisfaction ».
L’hostilité du lieu se manifeste aussi par le manque d’hygiène et d’intimité. Même les serviettes hygiéniques pour les menstruations y sont rares. Ce qui provoque de graves infections chez certaines. Quant à l’organisation du personnel sanitaire et son équipement, ils n’existent pour l’ensemble des détenus que de nom. On y trouve du matériel sanitaire archaïque, et la présence de quelques antidouleurs, antibiotiques et désinfectants meublent la pharmacie, souvent approvisionnés par les organisations humanitaires.
Dans ces décombres, une petite étoile brille chez ces prisonnières. Avec la création d’un salon de coiffure, permettant à ces désœuvrées d’apprendre un métier pendant leur rééducation, ce salon se présente aussi comme une source de revenus, à travers les soins qu’elles font aux geôlières.
De la réalité sombre que présente la prison, nous nous embarquons dans un lieu plaisant à vivre tel que décrit par le Directeur national de l’Administration Pénitentiaire, Charles Victor MAKA. Selon ce 1er responsable de l’administration pénitentiaire, toutes les conditions sont remplies ou presque : « Il y a des lits pour toutes les détenues. Elles ont un atelier de coiffure, un atelier de couture et elles bénéficient des cours d’éducation et d’alphabétisation. Leurs conditions de détention ont été beaucoup améliorées. L’infirmerie est fournie en médicaments par l’État et des ONG, et elles ont un personnel sanitaire adéquat. Nous avons même mis des carreaux dans leurs cellules.» Le constat sur le terrain est tout autre.
M. Charles Victor MAKA nie d’ailleurs la présence des six (6) filles mineures dans la prison. « Il n’y a pas de mineures détenues à la maison centrale de Coronthie », a-t-il martelé avant de se féliciter d’une nette amélioration des conditions de détention des femmes et des mineurs sur le plan sanitaire et alimentaire, depuis l’arrivée du Président Alpha Condé au pouvoir en 2010.
Simples affirmations du Directeur national ou une réalité ? Seuls l’atelier de coiffure et le privilège de cuisiner donnés à ces femmes peuvent en témoigner. Quant à l’amélioration du budget de la prison, le flou s’y installe. Le Directeur national de l’administration pénitentiaire est resté vague sur la question, en répondant qu’il y a eu une augmentation, sans pour autant être clair là-dessus.
Dans « l’inquiétude qui se lit sur les visages causés par l’abandon de la famille et la société », ces femmes très peu visitées recréent petit à petit leur vie de désespoir, dans les liens d’amitiés qu’elles se tissent.
Cette atmosphère dégradante, sur fond de douleur qu’affiche l’ensemble de la prison, interpelle à plus d’un titre l’Etat guinéen à se doter d’une nouvelle maison de détention, afin de respecter les droits de ces détenus. Tous pas condamnés à y vivre éternellement, mais des personnes appelées à réintégrer la société.