Après quatre années de transition sous la houlette du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD), la Guinée semble engagée sur la voie du retour à l’ordre constitutionnel.
La nouvelle Constitution, récemment adoptée, trace la feuille de route menant à la présidentielle fixée au 28 décembre 2025. Pourtant, derrière cette apparente normalisation institutionnelle, plusieurs zones grises continuent d’alimenter le scepticisme d’une partie de la classe politique et de la société civile.
Un cadre juridique encore flou
Si le Code électoral a bien été promulgué, il n’est pas encore entré en vigueur, faute de publication au Journal officiel de la République. Ce vide juridique pose un problème majeur : la Constitution prévoit la création d’un organe indépendant chargé de la gestion des élections, l’OTIGE (Organe technique indépendant de gestion des élections), tandis que le Code électoral, dans ses dispositions transitoires, confie toujours l’organisation du scrutin à la Direction générale des élections (DGE), structure placée sous la tutelle du ministère de l’Administration du territoire et de la Décentralisation (MATD). Un paradoxe juridique qui, selon plusieurs observateurs, fragilise la crédibilité du processus.
L’opacité du recensement biométrique
La transparence d’un scrutin ne se mesure pas seulement le jour du vote, mais à chaque étape du processus : du recensement à la publication des résultats. Or, le recensement biométrique mené par la DGE soulève déjà des interrogations.
Pour cette opération, le gouvernement a acquis 6 000 kits de recensement — ordinateurs portables, capteurs d’empreintes digitales et scanners d’iris — pour un montant estimé à 35 millions de dollars américains. Mais le mode d’acquisition de ces équipements reste flou. « On nous a simplement annoncé un matin qu’il y avait 6 000 kits réceptionnés. Où est l’appel d’offres ? Qui a été sélectionné et selon quels critères ? », s’interrogeait le président du Bloc Libéral, Faya Millimouno, dénonçant un manque de transparence contraire aux principes de bonne gouvernance que le CNRD avait promis d’incarner.
Une répartition inégale des kits sur le territoire
Les chiffres communiqués par le Bloc Libéral illustrent une répartition déséquilibrée : Kankan a bénéficié de 1 517 kits (30 %), tandis que Labé et Mamou n’en ont reçu respectivement que 414 (8 %) et 247 (4 %). Conakry, la capitale, en a obtenu 789, soit 15 %. Ce déséquilibre, dénoncé par plusieurs partis, a eu un impact direct sur les résultats du recensement.
Des statistiques controversées
Officiellement lancé le 15 avril 2025, le recensement biométrique devait s’achever le 30 mai, avant d’être prorogé jusqu’au 20 juin sur le territoire national et au 25 juin à l’étranger. Une opération décidée sans base légale, car l’ancien Code électoral — alors en vigueur — fixait cette opération entre le 1er octobre et le 31 décembre.
Au total, 8 979 923 personnes ont été recensées, dont 98,45 % à l’intérieur du pays. Sur ce total, plus de 6,7 millions d’électeurs ont été enregistrés.
La région de Kankan arrive en tête avec 2 089 320 inscrits (23,27 %), devant Conakry (22,19 %). Ce déséquilibre démographique apparent suscite des interrogations, d’autant plus que la somme des recensés dans Labé, Mamou et Kindia (2 003 769) reste inférieure au total de Kankan seule. Un écart que de nombreux observateurs attribuent à la répartition inégale des kits de recensement.
Autre incohérence : selon le Registre national des personnes physiques (RNPP), Kankan compte plus de recensés que Conakry, mais paradoxalement, moins d’électeurs (1 515 741 contre 1 537 426). Une discordance qui alimente les doutes sur la fiabilité des données.
Un processus électoral précipité
Malgré le boycott des forces vives, le référendum constitutionnel du 21 septembre 2025 s’est tenu comme prévu. Les résultats officiels, proclamés par la Cour suprême le 26 septembre, donnent le « Oui » victorieux avec 89,38 % des suffrages. Mais la rapidité avec laquelle la nouvelle Constitution a été promulguée — moins d’une minute après l’annonce des résultats — a surpris plus d’un. Le même jour, le Conseil national de la transition (CNT) a adopté le Code électoral, promulgué dès le lendemain, avant que la date de la présidentielle ne soit fixée au 28 décembre 2025 par décret.
La mise en place de l’Observatoire national de supervision du référendum (ONASUR), à seulement 48 heures du scrutin, a également été perçue comme une formalité de dernière minute, vidant l’institution de sa mission initiale de suivi global du processus électoral.
Entre légalité et légitimité
Si le gouvernement affirme vouloir garantir un scrutin « libre, transparent et crédible », les faits montrent un processus électoral accéléré, juridiquement ambigu et politiquement contesté.
L’application anticipée du Code électoral avant sa publication officielle, la marginalisation de l’OTIGE au profit de la DGE, ainsi que les disparités observées dans le recensement, nourrissent les craintes d’un scrutin biaisé dès sa préparation. À moins de trois mois du vote, la Guinée avance vers une présidentielle dont les fondations institutionnelles restent fragiles.
La transition promise comme exemplaire risque, à ce rythme, de laisser place à un processus électoral contesté, si la transparence et l’équité ne sont pas remises au cœur du dispositif.