L’ancien ministre de la Justice sous la deuxième République, M. Salifou Sylla nous a accordé un entretien téléphonique au cours duquel il est revenu sur la crise socio-politique que traverse la Guinée, en dépit des nombreux accords signés entre les protagonistes.
Facilitateur du dialogue politique inter guinéen entre 2015 et 2016, M. Sylla s’est exprimé sur la plainte de l’opposition auprès de la commission de la CEDEAO mais aussi sur le dossier du 28 septembre 2009.
Guinee360.com: Quel regard portez-vous sur la crise socio-politique que traverse la Guinée ?
Salifou Sylla : C’est un regard de grande tristesse que je porte sur la Guinée, parce que quand je vois comment le droit est mis par terre ici, et comment on installe la violence, je suis absolument écœuré et je ne pouvais pas imaginer qu’on pouvait arriver à ce point-là. Personnellement je ne suis pas trop étonné, parce que ceux qui sont en train de faire cela, je les connais très profondément. Je n’ai jamais pensé qu’ils étaient des vrais démocrates et cela date des décennies. Peut-être que les Guinéens sont surpris, mais moi non. C’est malheureux, que notre pays soit dans un véritable système de régression.
L’opposition vient de saisir la Commission de la CEDEAO d’une plainte contre la Guinée, quelle appréciation faites-vous de ce dossier ?
Sur les tribunaux guinéens, je ne vous apprends rien. Vous voyez comment nos magistrats jugent, s’ils ont une indépendance de jugement. Je suis ancien ministre de la Justice, mais ce que je vois, je pense que ces opposants n’ont aucune chance d’obtenir justice auprès des tribunaux guinéens, j’en suis convaincu. Maintenant qu’ils aillent vers la commission de la CEDEAO ou vers la cour de justice elle-même, je sais que la commission a rendu beaucoup d’arrêts. Il y a quatre mois, j’avais été invité par la cour de justice de la CEDEAO à une session qui se tenait à Bamako, même si d’autres magistrats ont été remplacés, mais j’espère que le même esprit va demeurer, car j’avais senti une certaine indépendante à ce niveau, qui me semblait être conforme au droit.
Vous critiquez les magistrats guinéens, en tant qu’ancien ministre vous ne pensez pas avoir une part de responsabilité dans ce que vous dénoncez ?
J’ai souvent dénoncé l’amateurisme de cette justice guinéenne. En Guinée, la justice a toujours eu des problèmes depuis le premier régime. À un moment donné aussi il faut le reconnaître, je n’invente pas mais ils peuvent témoigner, quand j’étais aux affaires je ne me mêlais pas de la manière dont ils rendaient justice. Même le problème des gangs ça a été fait quand j’étais ministre de la Justice. Quand je vois ce qui arrive maintenant, je suis absolument désolé.
Votre mot sur la dernière déclaration d’Amnesty International, qui parle de 18 cas de morts depuis janvier 2018 et dénonce l’usage des armes non conventionnelles au cours des manifestations politiques et syndicales ?
Même s’ils ne le disent pas, mais nous-mêmes nous constatons qu’il y a eu des morts, donc cette déclaration est fondée. Il ne s’agit pas de crier que parce que ça vient d’Amnesty, nous le savons déjà parce que ces morts sont enterrés parmi nous. J’ai déjà mon jugement et ma conviction dans la mesure où nous voyons tout ce qui se passe en Guinée.
Vous êtes ancien facilitateur et diplomate, quel est votre niveau d’implication dans ces crises ?
J’étais facilitateur quand on m’avait demandé de faire la facilitation. Maintenant qu’on ne me demande pas, je ne m’en mêle pas. Quand vous avez affaire à des gens qui n’ont pas de parole, alors vous ne pouvez pas traiter avec eux. C’est pourquoi ces histoires de dialogues et de consensus qu’on organise ici, je n’en ai jamais été convaincu. J’avais pensé que ce qui est le plus important dans un État, c’est le respect de la loi. Ne remplacez pas la loi par ces accords politiques. Un État ne peut être dirigé que par la loi. Les consensus et les accords ne peuvent être que des petits compléments.
Vous êtes optimiste quant à la tenue du procès des événements du 28 septembre, déjà que le lieu qui va abriter le jugement est connu ?
J’ai toujours émis des doutes sur la volonté réelle d’organiser le procès des événements du 28 septembre. Je ne suis pas convaincu de la bonne volonté des autorités actuelles. On n’a pas besoin d’enquêtes approfondies sur ce qui s’est passé au stade du 28 septembre, si la volonté de juger cette affaire existait. Les gens sont connus, ils sont inculpés et on les laisse exercer des fonctions importantes de l’État.
Merci
C’est moi qui vous remercie.