Est-ce un simple hasard si les agitations politiques pendant que sévit une épidémie en Guinée résultent toujours à une grave violation de la constitution ? Comment le régime guinéen profite-t-il des épidémies pour étoffer sa politique et mieux affuter ses pires armes politiques ? Comment les épidémies profitent-elles de certaines naïvetés politiques pour secouer la Guinée ? Pourquoi nous n’avons aucune bonne leçon tirée d’Ebola à appliquer contre Corona ? Tentative de décryptage dans cette première partie des dessous des épidémies politiques qui secouent la Guinée.
A l’image des élections présidentielles de 2009-2010, les législatives qui devraient suivre au premier trimestre 2011 avaient été reportées d’un mois à un autre sous la teinte de faux arguments jusqu’au dernier trimestre de l’année 2013. Elles se tinrent sous fond de contestations jamais élucidées et offrirent en catimini la majorité parlementaire au parti présidentiel. L’opposition tenta le tout pour le tout, avec des morts et beaucoup de blessés, mais ne put se faire entendre. Les nouveaux députés rejoignirent le parlement en janvier 2014 alors que venaient de surgir les premières rumeurs faisant état de la mort mystérieuse de plusieurs personnes dans une partie de la Guinée Forestière.
Les victimes avaient certainement contaminé d’autres personnes dans leur entourage et certains épidémiologistes avaient commencé déjà à parler de la réapparition encore timide de la fièvre Lassa survenue au Liberia voisin il y avait quelques années de cela. Ne possédant aucun laboratoire pour faire un test digne de nom, la Guinée envoya alors des prélèvements au Sénégal voisin afin de mieux se renseigner sur cette mort mystérieuse en région forestière. Les autorités sénégalaises ne tardèrent pas à alerter la Guinée qu’il s’agissait bien sûr de l’épidémie à virus Ebola.
L’information parvenue à Conakry fut étouffée car les autorités se préparaient pour les élections présidentielles de 2015 et ne semblaient pas tolérer ce qu’elles appelaient ainsi une mauvaise image du pays. Il a fallu l’interpellation et l’insistance des Nations Unies pour que la Guinée autorise de reconnaitre la présence d’Ebola.
Ce fut effectivement le 23 mars 2014, alors qu’on avait déjà près de 50 morts d’Ebola et des centaines de contaminations, que l’OMS et l’UNICEF, en lieu et place du gouvernement guinéen, prirent le courage d’annoncer publiquement que l’épidémie Ebola sévissait en Forêt et se propageait de façon alarmante.
Les autorités guinéennes se fâchèrent tout de suite sur le fait que les Nations Unies aient publié cette annonce, insistant qu’il fallait leur laisser le soin de le faire. Pourtant la plupart des premières déclarations de l’état guinéen banalisaient l’épidémie, soulignaient ouvertement que ce n’était qu’une invention de l’opposition, ou bien simplement laissaient défier publiquement les premières précautions à prendre contre la maladie.
Sans surprise Ebola se propagea au Liberia, en Sierra Leone, ainsi qu’à d’autres pays comme l’Italie, le Sénégal ou les Etats-Unis, et bizarrement la Guinée n’interdit pas les regroupements de masse, n’équipa pas ses médecins, ne soutint pas suffisamment les malades, ne publia pas les vraies statistiques, et fit officiellement de l’épidémie une opération de séduction pour collecter puis dilapider des fonds de multiples donateurs. De la présidence aux différents ministères, et même chez certains médias d’état ou semi-privés le jargon de l’époque soulignait qu’Ebola était une opportunité pour la Guinée, une opportunité visiblement plus politique qu’économique.
Ebola fit des victimes en deux ans et quelques mois, une période suffisamment longue pour que l’état guinéen manipule plusieurs fois l’échiquier politique, et consolide son pouvoir lequel avait déjà émis des signaux de faiblesse et de dégradation.
Des ministres mal outillés furent déployés à l’intérieur du pays pour des sensibilisations insensées et souvent infécondes, et l’armée fut utilisée pour enlever de force certains patients pour les amener au centre de traitement.
Par derrière l’écran épidémique, en 2014 et 2016, l’état guinéen organisa des déguerpissements ciblés et musclés dans certains quartiers de Ratoma, la principale bastion de l’opposition, mais aussi une commune qui représente à elle seule environ 16% de l’électorat national. On se rappelle qu’il avait fallu ‘’officiellement’’ dérober toutes les urnes de cette commune en 2010 pour pouvoir déclarer Alpha vainqueur des élections présidentielles.
Toujours dans la ferveur d’Ebola, l’état s’activait inlassablement à faire faire à l’opposition politique des manifestations de rue intempestives, concoctait assez vite un sale fichier électoral taillé à sa mesure, et passait aux élections présidentielles les plus sales de l’histoire du pays, en 2015.
Sans surprise le régime tint ses élections à lui pour les gagner et se repositionner et confirmait ainsi son talent d’acrobate politique hors pair. Un des ministres qui battait campagne pour ces élections n’hésita pas de souligner que celles-ci étaient gagnées d’avance et que ce sont celles de 2020 qui les occupaient l’esprit déjà. Tous les échecs de premier mandat firent attribués à Ebola, aux manifestations de rue, aux anciens gouvernements, et aux grèves répétitives et insatisfaites, jamais à l’absence d’une politique de développement, encore moins à la croissance exponentielle de la corruption ou au pillage outrance de nos ressources.
Il n’y avait aucune politique de gestion de la crise sanitaire, aucun plan de communication, aucun système de documentation et d’archivage, aucun plan de relance post-épidémie. Il n’y avait rien. Allah arrêta l’épidémie vers la mi-2016 alors qu’on avait près de 3000 morts. Les statistiques étaient visiblement toutes fausses et la Guinée avait tout simplement excellé dans la désinformation, les rumeurs, les détournements, la corruption, et la gabegie pour ne citer que ceux-là. Ebola fit ses milliardaires autour de l’état et lui consolida les reines du pouvoir.
N’ayant pas fini avec son peuple, l’état guinéen profita à sa manière pour préparer ses candidats, dépendants ou indépendants, et procéda aussitôt aux élections communales et communautaires reportées d’un mois à un autre de 2016 à 2018.
Parallèlement, l’état guinéen lança la rénovation du plus grand hôpital du pays, Donka, d’une capacité de moins de 600 lits. Un marché de gré à gré conduisit ainsi des sous-traitances et une main obscure de l’actuelle mairesse de Kaloum, vulgaire inconnue des marchés publics et de la construction, à poser une couche de peinture sur les murs et à retaper quelques angles des vieux bâtiments russes de ce centre hospitalier. Lancée en 2015, année électorale, cette opération de rénovation se poursuit encore aujourd’hui en 2020, une autre année électorale, et semble avoir été une belle opportunité politique.
Lorsque notre pays offrit de secourir la RDC qui venait récemment d’être frappée d’une nouvelle épidémie d’Ebola, nos médecins, sans expérience antérieure apolitique, ne purent être d’une certaine utilité et ne purent offrir que leur volonté.
Le bilan politique d’Ebola n’est pas négligeable si on compte tous les déguerpissements ciblés des zones de l’opposition, les tueries de manifestants, la manipulation répétitive des fichiers électoraux, l’évaporation des deniers publics, l’installation des sociétés fantômes dans le pays, ou bien la tenue fantaisiste des élections présidentielles, législatives, communales et communautaires. La liste est longue et fait pourtant entrevoir certaines similarités avec l’épidémie à virus Corona qui sévit actuellement en Guinée.
Qu’y-a-t-il de commun, ou de flou, qui mériterait notre attention ? Rendez-vous au prochain article !
Abdoul K. Diallo, Agronome