Entre le Reggae et Seyni Kouyaté c’est toute une histoire. Encore petit, à Madina Woula, patelin situé à la frontière Guinéo-léonaise, le jeune Seyni, après avoir aidé à traverser un étudiant à l’insu de la douane, s’est vu offrir une cassette. Il écoute alors, pour la première fois, Bob Marley, Burning Spear, Peter Tosh et éprouve de l’amour pour les Reggae.
Aujourd’hui créateur du Yankadi Reggae avec 7 albums, Seyni parle, dans cette interview, de ce genre musical qu’il a conçu à partir d’un mélange du balafon de la Basse Côte et du Skank de Jamaïcain. Dans 4 ans, le Reggaeman compte revenir s’installer en Guinée où il est moins connu. Seyni dénonce également la mal gouvernance, le manque de professionnalisme de promoteurs culturels guinéens et par la même occasion, explique aux jeunes artistes que «chanter pour flatter un Camara ou un Barry, cette musique se limite aux frontières».
Guinee360.com : Présente-toi à nos lecteurs?
Seyni Kouyaté: mon nom est Seyni Kouyaté, appelé Seyni Yeliba. Je suis musicien de père en fils.
Tu fais quel genre de musique ?
Je fais du Reggae tinté à la musique africaine et à la musique guinéenne. J’ai le balafon, le djembé qui ont une identité guinéenne. Je fais du Reggae Root que moi, j’ai appelé du Yankadi Reggae.
Pourquoi le Yankadi Reggae ?
Le Nayambing de Jamaïcain quand on le poum-poum et puis, on l’accélère, ça devient notre Yankadi de la Basse Côte.
Le Yankadi Reggae c’est un concept que tu as créé. Depuis que tu l’as lancé est-ce qu’il prend de l’ampleur?
J’étais en Côte d’ivoire quand Alpha Blondy est venu chanter le Reggae en Malinké et Djola. Moi, je me suis dit que je vais prendre le balafon des Kouyaté pour le mettre dans le Skank du Reggae Root. Et finalement, j’ai inventé mon Reggae à moi que j’ai appelé le Yankadi Reggae. Mon concept a toute suite capté le public et cela a pris de l’ampleur. Quand j’étais dans le groupe Koteba, je faisais du théâtre comédie musicale. Après Koteba, j’ai sorti mes nerfs de guerre musicale en France. Et les mélomanes ont adopté mon Reggae à moi.
Certains assimilent le Reggae à la consommation de la marijuana. Qu’en penses-tu ?
Il ne faut pas confondre la musique Reggae à la consommation de la marijuana. Ça fait deux choses différentes. Bob Marley a dit qu’il faut être rastaman pour consommer la marijuana. Alors que pour faire le Reggae, on n’a pas besoin d’être rastaman.
Tes chansons sont elles des conseils pour les autres ou des armes qui t’aident à te défendre des autres ou tout simplement des expériences vécues ?
C’est tout ceci. Quand je dis dans une des mes chansons, « c’est du favoritisme françafrique, par sa soif de liberté, notre Guinée s’est retrouvée, isolée, politiquement et économiquement abandonnée». Autre chose que je dénonce dans ma musique : si aujourd’hui Prof Alpha Condé gouverne mal ma Guinée, je vais ouvrir ma bouche pour lui dire non monsieur le président, la Guinée c’est une seule nation, on ne veut pas que la politique nous divise. Dans mes chansons, j’apporte aussi des messages d’amour. Par exemple quand tu écoutes «Connais-tu mon beau village», c’est une chanson d’amour qui appelle au monde entier à venir voir ce petit patelin (Madina Woula) qui se trouve à la frontière Guinéo-léonaise (…) La musique me permet de m’exprimer, de véhiculer le message que mes parents m’ont légué parce qu’issu d’une famille Kouyaté, la musique c’est notre vie et ça fait partie de notre quotidien.
Comment décris-tu ta musique?
Ma musique c’est un combat contre la ségrégation raciale, l’injustice, la mauvaise gouvernance. Ma musique c’est aussi de l’amour.
Quels sont les artistes qui ont influencé ta manière de chanter ?
D’abord, mon père. On parle de Mamaya aujourd’hui, mais au temps de mon père ce n’était pas cela. Ce sont eux qui chantaient pour les rois. Ce sont eux qui disaient aux rois la souffrance de la population. Ensuite, Il y a Bob Marley qui m’a influencé. J’ai écouté Bob Marley pour la première fois à Madina Woula, mon village natal. J’ai aidé un étudiant qui partait en Sierra Leone à passer la frontière Guinéo-léonaise sans que la douane ne fouille dans ses affaires. En récompense, il m’a donné une cassette. Quand je suis rentré chez moi, je l’ai écoutée, c’était Bob Marley, Burning Spear, Peter tosh. C’est comme ça, j’ai découvert le Reggae. Alors, au lieu de faire des louanges aux rois qui n’existent plus ou pour les dirigeants actuels, j’ai adopté le Reggae qui est une musique unificatrice. C’est aussi une musique qui parle de la vérité, qui dénonce ce que les autres veulent cacher.
Tu as 7 albums à ton actif. Paradoxalement, Seyni est plus connu en occident que dans son propre pays. Comment comptes-tu faire pour être mieux connu chez toi en Guinée ?
Je pense que je dois venir tout le temps pour m’imposer vu que je ne réside pas en Guinée. Et donner des concerts, me faire connaître. Je suis venu plusieurs fois, mais à chaque fois, les portes se ferment. Je sens que d’ici quelques années, je vais venir résider pour mener le combat sur le terrain.
Pourquoi avoir attendu tout ce temps avant de venir imposer ton style?
Je venais de temps en temps, à chaque sortie d’album. Je crois que les jeunes frères guinéens ont chopé mon style. Tous ceux qui font Reggae ici quand on écoute un peu, ils se sont inspirés de ma musique et même ceux qui font Reggae ailleurs. Je ne veux pas les citer. Mais en écoutant leurs sonorités, on comprend qu’ils veulent faire comme Seyni pour mettre l’Afrique dans le Reggae. J’ai été le premier à le faire.
C’est dans quel cadre que tu es actuellement en Guinée?
Je suis là pour me faire connaître. Cette tournée qu’on vient de finir c’était pour me permettre de jouer au maximum dans mon pays. En plus, rencontrer les promoteurs guinéens et qu’ils me voient sur scène. Parce qu’écouter l’artiste à la radio et le voir sur scène, c’est deux choses différentes. Mon objectif c’est pour que les guinéens me voient sur scène.
Il était prévu que tu tiennes des concerts à Conakry. Comment se sont ils déroulés?
Le concert du 13 janvier à Fougou-Fougou s’est bien déroulé. Mais celui de Belvédère, le 19 janvier, il y a eu des soucis. Il y a trop d’amateurisme chez les promoteurs guinéens. A cause de cela, on a été obligé d’annuler le concert de Belvédère. Le patron qui nous programme depuis des années et à partir de la France, le jour j, le monsieur s’est foutu de programmer un mariage au même endroit. C’est le travail de l’amateur ça. Si on était pas amateur, on allait pas faire ce genre de connerie. Il y a l’aspect technique aussi avec des sonos pourries en Guinée. Ils vont dire oui, tu vis en Europe, amène nous de la bonne sono. Je vais amener ma sono dés que je peux. Nous sommes en train de négocier un autre concert à Dabompa pour remplacer le rendez-vous de Belvédère qui a échoué.
Que penses tu de la musique guinéenne?
Il faut que les musiciens guinéens travaillent. Ça ne veut pas simplement dire, mettre une belle tenue, prendre un micro et chanter pour un Camara , ou un Barry… Si on fait ça, ce genre de musique ne va pas aller loin, elle va se limiter aux frontières. Il faut que les artistes guinéens travaillent sur les textes, soignent les messages qu’ils veulent véhiculer et travaillent musicalement aussi pour que la musique ne soit pas communautaire. Moi, mon Reggae n’est pas communautaire, ma musique est ouverte. Le guinéen l’écoute, il y a son balafon dedans. Le Jamaïcain l’écoute, il a son One Drop avec son Skank.
Quels sont tes projets à court et à long terme pour la Guinée?
A court terme, je suis en Guinée et je veux faire des concerts. A long terme, je me donne 4 ans pour revenir m’installer en Guinée. Je vais créer un festival et avoir mon studio pour faire ma musique et où je peux enregistrer les jeunes gens qui me feront confiance. Également, créer un endroit où je peux faire mon Reggae tous les soirs.
On voit de plus en plus des velléités anticonstitutionnelles de la part du régime en place. Que pourrais-tu faire au cas où cela se matérialisait?
Déjà, je dénonce cela puisque ce n’est pas bon. Ce n’est pas bon d’abuser le pouvoir. Je suis contre. Un mandat, deux mandats ça suffit. Un troisième, je dis stop. Il faut donner la place à d’autres. Je suis contre le forcing.
Réalisée par Abdoul Malick Diallo