Cela fait huit mois que le responsable des opérations du Front national pour la défense de la constitution (FNDC) dissous Ibrahima Diallo est en prison. En détention provisoire depuis le 30 juillet 2022, son épouse, dame Diallo Asmaou Barry estime que désormais la période légale a été franchie. Dans cette interview accordée à notre rédaction, la femme de l’activiste, journaliste et membre du Conseil national de la transition (CNT) met en garde les autorités judiciaires et le Cnrd, contre “tout mal” qui adviendra à son époux.
Guinee360.com : Votre mari est en détention depuis huit (8) mois. Il observe le jeûne en prison. Quel est votre état d’esprit ?
Madame Diallo Asmaou Barry : Oui effectivement cela fait 8 mois que lui et certains de ses camarades sont en détention. Il peut paraître difficile que pendant ce mois de ramadan qu’ils puissent observer le jeûne en prison, mais ce sont des messieurs que moi j’ai côtoyés. Je trouve leur capacité de résilience assez forte et que cela ne les ébranle pas. Ça peut être difficile parce que chacun voudrait être aux côtés de sa famille dans ses moments de partage sauf que, là pour l’instant, les autorités en ont décidé autrement. Nous n’avons pas le choix, mais cela n’affecte en rien leur foi en Dieu. Ils observent le jeûne régulièrement. D’ailleurs bien avant le ramadan, ils le faisaient les jeudis et lundis. Et depuis que le ramadan a commencé Dieu merci, ils continuent à observer le jeûne. Pour l’instant ça se passe bien comme on peut le dire même si pour la famille ça devient une sorte de corvée supplémentaire. Mais on ne se plaint pas non plus et on s’arrange pour que tout se passe bien pour eux, afin que rien ne leur manque à la prison, qu’ils puissent observer le jeûne dans des conditions comme s’ils étaient à la maison. Donc on essaye de faire le maximum pour que cela soit possible. Maintenant il est toujours difficile comme je l’ai dit de le faire loin de la famille, mais comme ils ont un mental fort, notamment Ibrahima, ils font passer les jours.
Comment fait-il pour avoir le manger en cette période de ramadan ?
C’est comme d’habitude. Même en dehors du ramadan, c’est la famille qui amène la nourriture notamment moi. On l’amène à manger tous les jours, le petit déjeuner, le déjeuner et le dîner. Donc en cette période de ramadan c’est la même chose. On leur amène le manger le soir vers 16 h pour qu’ils puissent recevoir leur manger avant la fermeture de la prison. Au moment de la rupture, ils font la rupture dans leur cellule avec leurs codétenus. Parce que cette année Dieu a voulu que ce soit ceux-là avec lesquels ils puissent observer le jeûne. Donc ils font le partage avec eux. (…) Ce qui est préparé à la Maison centrale, c’est-à-dire ce que l’Etat donne est très insuffisant. Pour toutes les personnes que ce soit Ibrahima Diallo et ces codétenus ou bien d’autres souhaiteraient que leur famille leur envoie de la nourriture ; d’ailleurs c’est un droit. Vous êtes en détention, votre famille vous rend visite, des proches vous rendent visite, vous apportent ceux dont vous avez besoin. Il suffit d’arriver à la maison centrale aux heures de pointe notamment entre 13h et 14h pour vous rendre compte que nombreux sont les prisonniers qui reçoivent leur nourriture de l’extérieur.
Vous êtes membre du CNT, est ce que vous avez fait cas de votre mari au président Dr Dansa Kourouma ou au ministre de la Justice Alphonse Charles Wright ?
Je ne vois pas pourquoi je devrais plaider auprès de qui que ce soit pour le cas de mon mari. Une action judiciaire est intentée contre lui, je n’ai pas à user de mon statut de conseillère nationale pour influencer ou supplier qui que ce soit, et d’ailleurs je pense que ça serait injuste d’autant plus qu’il y a plusieurs autres prisonniers qui sont dans une situation de détention préventive prolongée et qui, eux n’ont pas l’occasion d’en parler à un ministre. En tant que citoyenne ce que je demande pour le cas de Ibrahima et pour tous les autres en situation de détention préventive, c’est que lorsqu’une procédure judiciaire est intentée qu’on donne toutes les chances qu’elle puisse aboutir et dans un bref délai. Il est incompréhensible que des Guinéens soient emprisonnés et que leur détention préventive dépasse de loin les peines qu’ils auraient pu écoper s’ils étaient reconnus coupables en procès. Les acteurs de la justice devraient œuvrer à ce que cette situation d’abus cesse. En Guinée, la détention préventive est trop longue. Ce qui constitue une violation des droits humains. Pour le cas d’Ibrahim et ses compagnons, cela fait 8 mois qu’ils sont détenus sans jugement. Leurs mandats de dépôt ont expiré et désormais ils sont en détention illégale. Le mandat de dépôt, c’est quatre mois renouvelable une seule fois. Les quatre premiers mois sont passés, ils n’ont pas été jugés, les quatre deuxièmes et derniers mois se sont écoulés depuis fin mars. Et si leur procès n’est pas organisé dans le plus bref délai, cela prouve qu’ils subissent tout simplement un abus de la part de ceux-là qui ont intenté des poursuites contre eux. C’est une détention illégale, que je condamne avec fermeté. J’espère que les magistrats en charge du dossier vont rapidement prendre leurs responsabilités pour qu’enfin Ibrahim, Fonike et autres soient situés sur leur sort. Mais aussi pour que l’opinion sache également de quoi on reproche ces activistes de la démocratie et de la liberté. Il est inadmissible qu’on emprisonne des guinéens tout simplement parce qu’on a le pouvoir de le faire et parce qu’ils s’opposent à votre façon de gouverner ou de conduire la Transition. Cela est une aberration… Il y en a qui sont dans l’anonymat dont on ne parle pas souvent, mais qui ont fait plusieurs mois et mêmes des années sans jugements. Ce qui n’est pas normal dans un Etat de droit. En tout cas un Etat qui se veut démocratique.
Huit (8) mois sans aucune forme de procès et pourtant ça été clamé haut et fort dans la journée du 5 septembre 2021 que la transition aura pour boussole, la justice. Comment comprenez-vous que votre mari soit détenu durant tout ce temps sans être jugé ?
La justice est la boussole, je pense que cela est resté dans le discours le jour où il a été prononcé. En tout cas dans les faits, le Guinéen lambda ne sent pas cela encore. Il y a beaucoup qui pensent que la boussole s’est cassée, elle s’est perdue on ne sait pas. Parce que tenir un discours est une chose, mettre en œuvre en est une autre. Il faut mettre tout en œuvre et même les moyens pour que la justice puisse être la boussole. Et si on ne met pas les moyens à disposition, pour que les cours et tribunaux puissent faire leur travail, si les magistrats leur intégrité est mise en cause, ça veut dire que cette parole, cette citation restera au stade de discours, et elle ne sera jamais mise en œuvre. Il est temps de sortir de ce discours pour faire l’essentiel afin que les Guinéens se sentent concernés par la justice et qu’ils renouent la confiance avec la justice, mais pour l’instant il y a le fossé qui s’est creusé et malheureusement il est en train de s’élargir tous les jours. Et on ne fait pas grand-chose pour éviter cela.
Qu’est-ce que vous demandez aujourd’hui aux autorités de la transition ?
Je n’arrêterais jamais de demander à ceux qui incarnent le pouvoir judiciaire et plus précisément le tribunal de Dixinn et même aujourd’hui la Cour suprême de hâter le pas pour qu’Ibrahim et ses compagnons puissent être situés sur leur sort, qu’on sache qu’est-ce qu’on reproche à ces messieurs qui n’ont fait que s’opposer à la façon de conduire la transition. Il faut qu’ils le fassent. Et si jamais, c’est le pouvoir exécutif qui influence le pouvoir judiciaire je suis indignée. Les magistrats après avoir fait leur mea-culpa au lendemain du 05 septembre 2021 (après le coup d’Etat qui a renversé Alpha Condé NDLR) pour dire qu’ils n’avaient pas les mains libres, si aujourd’hui ils retournent dans la même situation, ce que leur intégrité est remise en cause. Qu’ils travaillent à renforcer leur responsabilité, et qu’ils jugent les dossiers comme ils se devraient. A partir d’aujourd’hui, je considère qu’Ibrahima est en détention illégale. Et jusqu’à ce qu’un procès soit organisé ou qu’il soit libéré, nous allons le considérer ainsi et tout ce qui adviendra en tout cas de mal à Ibrahima nous tiendrons pour responsable la justice et le régime du CNRD. Qu’on ne se voile pas la face. On est maintenant à bout. La période légale a expiré. Tout ce qui adviendra à partir d’aujourd’hui sera de leur entière responsabilité. Et ça on ne le pardonnera jamais en tant que famille.