Ancien porte-parole de l’opposition républicaine, le président de l’UFC juge inopportunes les manifestations projetées par l’opposition. Car, à son entendement, cette méthode n’est pas efficace.
Le député Aboubacar Sylla, s’inspirant des violences postélectorales enregistrées à l’issue des élections communales et de la déliquescence actuelle de l’Etat fragilisé par la grève des enseignants, redoute l’avenir de la Guinée qui s’apprête à organiser les législatives en 2018 et a fortiori, la présidentielle en 2020. «Le pays risque le chaos», prévient-il Interview.
Guinee360: L’opposition républicaine appelle les citoyens à une ville morte ce lundi. Quelle est la position de votre parti?
Aboubacar Sylla: Il y a déjà un peu plus de deux mois que l’Ufc que je préside a quitté cette opposition républicaine. Je ne suis plus porte-parole de cette opposition. Nous n’avons donc pas participé à cette réunion qui a pris cette décision. Évidemment, je ne me sens pas concerné par ces manifestations parce que je n’ai pas fait partie de ceux qui en ont décidé.
Avez-vous été consulté?
Non. Je n’ai pas participé à la réunion parce que je ne suis plus de cette opposition républicaine.
Quelle est votre position dans le paysage politique ?
Je suis de l’opposition, mais plus de l’opposition républicaine comme d’autres qui n’ont pas participé aussi à la réunion. Comme les Nfg de Mouctar Diallo, le Pedn de Lansana Kouyaté et d’autres qui ne sont pas tenus par les résolutions qui en sont issues.
Donc, c’est de commun accord avec le Pedn et les Nfd que l’Ufc aussi s’est désolidarisée ?
Les alliances politiques sont toujours possibles, ce n’est pas exclu, mais pour le moment, nous n’avons aucun projet d’alliance qui est en cours de discussion, en cours de conception en tout cas.
Trouvez-vous opportunes ces manifestations ?
Mon avis sur ces manifestations, je dirai tout simplement que cette opposition républicaine n’a pas été suffisamment proactive. Cette fraude électorale massive était prévisible. Il aurait donc fallu la contrer et non pas attendre qu’elle soit complètement effective et que les résultats définitifs des élections communales soient publiés pour engager les manifestations. Je pense qu’il y avait la possibilité, dès le départ, de contrer cette fraude. C’était cela mon point de vue. L’absence des stratégies est une des raisons principales de mon départ de cette opposition républicaine. J’avais dit que la priorité n’était pas l’organisation des élections locales, la priorité devrait être la réforme de la Ceni. C’était une des dispositions de l’Accord du 12 octobre 2016 et qui devrait intervenir depuis le mois d’avril 2017 lors de la session des lois. On a laissé tomber cette disposition. On s’est accroché à l’organisation des élections locales bien que les conditions de transparence n’étaient pas réunies. Je l’avais dit, prévu et j’avais insisté là-dessus. Lorsque j’ai annoncé à une des assemblées générales de l’Ufc qu’il fallait qu’on revoit nos stratégies, nos méthodes parce que cela fait 7 ans qu’on procéde de la même manière et qu’on n’a toujours pas des résultats – il fallait donc réévaluer notre action et essayer de la redéfinir sur des nouvelles bases – au lieu que cela n’appelle à une conscientisation de l’opposition républicaine pour qu’on en débatte, je me suis fait attaquer violemment par certains partis. Ils ont estimé que je n’aurais pas pu proposer un changement de stratégie.
Et du coup, on vous accuse d’avoir rejoint la mouvance?
On a préféré dire que j’ai rejoint la mouvance. Ce qui est malheureux c’est que ceux qui ont fait ces déclarations infondées ce sont des gens qui viennent de rejoindre l’opposition républicaine. Je me bats depuis 7 ans en ce qui concerne le volet communication de cette opposition. J’ai préféré donc prendre du recul parce que je n’étais pas compris. On a toujours la même Ceni, le même fichier électoral. L’administration s’immisce toujours dans le processus électoral. Les gouverneurs, les préfets et les sous-préfets manquent de neutralité. Toutes les conditions sont réunies pour qu’on répète les élections présidentielles de 2010 et 2015, des législatives de 2013. Donc, il fallait réfléchir sur des nouvelles stratégies. Malheureusement, je n’avais pas été entendu, maintenant le problème se pose.
Il y a un Comité de suivi au sein duquel, mouvance présidentielle et opposition républicaine devraient discuter de la transparence du processus électoral. Vous en faites toujours partie?
Il y a un Comité de suivi de l’Accord du 12 octobre 2016 que j’ai quitté également, qui continue de se réunir. Il y a les représentants de l’Ufdg qui participent. Et c’est le cadre idéal pour poser les problèmes que j’ai évoqués et ne pas aller aux élections tant que des solutions n’étaient pas trouvées. J’avais même proposé et réussi à convaincre nos collègues lors d’une plénière qu’on devrait suspendre notre participation aux travaux du Comité de suivi qui était une rencontre instituée, mais qui est devenu un faire-valoir. C’était juste pour donner l’impression qu’un dialogue existe entre l’opposition et le pouvoir. Mais ce Comité n’accouche que des souris. Jusqu’à présent, on n’a pas la réforme de la Ceni, ni l’audit du fichier électoral. On n’a pas les garanties de neutralité du service public et on n’a pas l’indemnisation des victimes. On est en train de tourner en rond. J’avais demandé qu’on suspende notre participation au Comité de suivi pour qu’il reparte sur des nouvelles bases. L’accord m’avait été donné. Aux termes d’une réunion, je suis descendu pour faire le compte rendu aux médias de la suspension de notre participation aux travaux du Comité de suivi. Quelques semaines, absent à Conakry, à mon retour, je trouve que l’opposition républicaine, particulièrement l’Ufdg, a repris sa participation. Pourvu quelles ne soient pas teintées des violences, les manifestations sont légales. Personne ne peut reprocher à l’opposition de manifester parce que c’est un droit constitutionnel. Mais les manifestations doivent entrer dans une stratégie globale qui doit permettre d’arriver à la victoire.
S’il fallait votre retour, quels seraient vos préalables?
L’opposition républicaine, je l’ai toujours dit même quand j’en faisais partie, n’avait pas le monopole de l’opposition en Guinée. L’opposition républicaine est un regroupement informel des partis politiques de l’opposition qui ont décidé de se mettre ensemble pour harmoniser leurs objectifs, leurs stratégies et leurs méthodes. On peut donc être de l’opposition sans être de l’opposition républicaine c’est le cas de l’UFC actuellement.
Ville morte de l’opposition, grève du syndicat des enseignants et voilà que la centrale syndicale, l’Union générale des travailleurs de Guinée (Ugtg) déclenche son débrayage. La date du 26 février s’annonce fastidieuse. Quelle lecture faites-vous de la coïncidence de ces événements?
C’est une situation qui est en train de devenir chaotique. Il faut chercher la responsabilité au niveau de l’Etat guinéen qui est quasi inexistant. Les problèmes se sédimentent les uns sur les autres. Finalement, on aboutit à des situations comme cela. On n’est pas loin du chaos. Cela va aboutir à une situation totalement incontrôlable. C’est dommage que cela soit dû à l’incompétence du gouvernement. Cette situation c’est la marque de l’incompétence, de l’improvisation, de l’insouciance de ce gouvernement vis-à-vis des préoccupations des populations. La demande sociale devient de plus en plus urgente à satisfaire, mais ne trouve pas des réponses satisfaisantes de la part des autorités de ce pays.
La situation risque donc de s’empirer avec les échéances électorales à venir?
Ce serait extrêmement périlleux pour la Guinée si ce gouvernement, dans l’état actuel de déliquescence de l’Etat, organise des élections nationales. Nous avons vu les troubles qu’occasionnent jusqu’à présent les élections locales. Les élections législatives interviennent dans quelques mois et a fortiori la présidentielle de 2020. On est dans une situation de défiance totale. Les institutions ont baissé les bras. Le gouvernement, incompétent et irresponsable, n’assume aucune mission régalienne. Je crois que tous les Guinéens devraient s’en inquiéter. La Guinée va tout droit dans le mur si des solutions vigoureuses n’étaient prises.
Surtout, si on ajoute à ce que vous venez de dire, ces velléités anticonstitutionnelles du régime pour s’offrir un 3e mandat.
Si à cela, vous ajoutez le laxisme de l’Etat, les institutions sont défaillantes, les lois sont violées, la Constitution avec, on doute bien de ce que sera la Guinée au lendemain d’une élection nationale organisée dans un contexte aussi instable.
Qu’est-ce qu’il faut donc envisager pour éviter le chaos en Guinée?
Je crois qu’il est temps qu’on ouvre un autre dialogue national, plus important que tous ceux que nous avons connus jusqu’à maintenant. Il faut faire face à cela parce que tout le monde est interpellé, pas seulement le pouvoir, mais l’opposition, la société civile et la presse aussi. Il faut trouver des mesures appropriées. Sinon, la déliquescence actuelle de l’Etat, la quasi révolte d’une frange de la population vis-à-vis des instituions… organiser des élections dans un contexte comme celui-là c’est ouvrir la boîte à pandores qu’il sera difficile de refermer après.