La nomination de l’ancienne directrice de la Société Guinéenne des Palmiers à Huile et d’Hévéas (SOGUIPAH) à la tête du ministère de l’agriculture est perçue par une certaine opinion publique comme un choix judicieux pour ce département stratégique.
D’autant que des journalistes vont jusqu’à présenter la nouvelle promue comme une femme à la gestion exemplaire qui aurait su conduire cette entreprise « avec maestria ». Sauf qu’au-delà du fantasme, la réalité contredit la fiction.
Certes, la SOGUIPAH, sous la direction de Mariama Camara, a connu un chiffre d’affaires de 217 032 381 070 GNF en 2015 et qui est passé à 250 384 676 516 GNF en 2016, soit une progression de 15,36%.
Cependant, quand on oppose l’ensemble des charges d’exploitation de l’exercice 2016 à l’ensemble des produits d’exploitation de la même année, on est loin d’une gestion opérée avec « maestria » puisque l’entreprise présente un résultat net déficitaire de 20 469 187 869 GNF.
En 2015, cette société, détenue à 100% par l’Etat guinéen, avait enregistré un résultat négatif de 9 196 684 384 GNF. Donc entre 2015 et 2016, le résultat négatif de la SOGUIPAH s’est creusé de moins 122%.
Alors que la santé financière de l’entreprise était compromise en 2015, la direction avait malgré tout pris l’option d’accroitre ses charges en 2016 :
– la dette sociale est passée de 8 298 054 115 GNF en 2015 à 13 766 406 887GNF en 2016, soit une augmentation exponentielle de 65,89% ;
– la dette fournisseurs s’est accrue de 33 465 269 247 GNF en 2015 à 47 475 573 083 GNF en 2016, soit une progression de 41,86% ;
– les achats de matières premières et fournitures liées sont passés de 44 12 624 200 GNF en 2015 à 52 114 237 957GNF en 2016, soit un taux de progression de 17,07% ;
– les autres achats se sont également accrus de 46 212 518 015 GNF en 2015 à 57 496 062 545 GNF en 2016, soit une augmentation de 24,41%.
Il faut noter aussi que la masse salariale en 2016 était de 62 755 950 344 GNF pour 3 783 travailleurs.
Le rapport du ministère des finances sur le portefeuille de l’Etat datant de novembre 2017 fait remarquer par ailleurs que « malgré ses pertes successives, la société fait des investissements énormes, plébiscitée partout pour ses performances ». Les auteurs du rapport en étaient même à conclure que « cette situation parait paradoxale. » D’autant que dans la foulée, ils avaient aussi relevé que la SOGUIPAH n’a pas de conseil d’administration et que ses statuts ne sont pas encore en conformité avec les dispositions de la nouvelle loi sur la gouvernance financière des sociétés et établissements publics de l’OHADA.
La nomination de Mariama Camara suscite un réel paradoxe. Si on la présente comme une femme capable de relever les défis du ministère de l’agriculture, certains médias voient dans sa nomination une « liquidation programmée » par le chef de l’Etat, Alpha Condé. Présentée comme indéboulonnable – elle a passé plus de 20 ans à la tête de l’entreprise -, Mariama Camara aurait quitté ses fonctions malgré elle.. Il y en a même qui relaient les rumeurs selon lesquelles les travailleurs de la SOGUIPAH désireraient son retour à la tête de l’entreprise, craignant une cannibalisation de ce qu’on nous présente comme un fleuron de l’industrie agro-alimentaire guinéenne. Elle serait la seule à pouvoir maintenir la paix sociale à Diécké où sont implantées l’entreprise et ses plantations de palmiers à huile et d’hévéas.
Abdourahamane Diallo, Journaliste indépendant.