Les violences basées sur le genre (VBG) ont depuis des décennies, été reconnues comme un phénomène traduisant des rapports de force historiquement inégaux entre hommes et femmes, aboutissant à la domination et à une discrimination exercée souvent par les premiers sur les secondes. Elles empêchent partiellement ou totalement, les femmes et filles, qui en sont victimes et qui ne sont pas suffisamment protégées, de jouir de leurs droits. Parmi ces VBG, il y a le viol. Environ 300 cas par an ont été enregistrés les trois dernières années en Guinée au niveau de l’Office de protection du genre, de l’enfance et des mœurs (OPROGEM).
Depuis 2018, le viol connaît des proportions importantes en Guinée, au point que certains estiment que ce phénomène est causé par le silence des victimes. Mais c’est quoi le viol ? Le viol, selon le Code pénal guinéen, en son article 268, est «tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte ou surprise. » D’autres définissent le viol comme une «violence que l’on fait à une personne sans consentement ou par la force, consistant en une pénétration sexuelle, vaginale, anale ou orale ou pénétration par la main ou un objet.»
Selon les statistiques de l’Office de protection du genre et des mœurs (OPROGEM), 1007 cas de viol ont été enregistrés de 2018 au premier semestre 2021. Si de plus en plus de victimes osent briser le silence, elles font face aux pesanteurs socioculturelles.
Ces trois dernières années, plus d’un millier de cas de viol ont été enregistrés au niveau de l’OPROGEM. En 2018, 116 cas de viol ont été enregistrés dont 109 déférés devant les juridictions compétentes. En 2019, le nombre total culmine à 393 cas dont 294 étaient de viol sur mineures. Tandis que 256 cas étaient commis par des hommes de plus de 18 ans contre 136 auteurs mineures.
L’année 2020 enregistre moins de cas que l’année précédente. Sur les 368 cas enregistrés dont 130 à Conakry, 279 victimes avaient moins de 18 ans, alors que 255 cas ont été commis par des hommes de plus de 18 ans.
Durant le premier semestre de 2021, l’OPROGEM a notifié 130 dont 110 déférés et 79 cas étaient sur des mineures et 86 cas de viol ont été commis par des hommes de plus de 18 ans.
De la médecine légale
Au niveau de la médecine légale, explique Dr Amadou Mouctar Diallo, médecin légiste au CHU Ignace Deen, les cas d’agressions sexuelles nécessitent des démarches multiples et parfois complexes: «Quand nous recevons des cas d’agression sexuelle sous toutes ses formes, nous effectuons d’abord un examen systématique d’urgence de la victime. (…) On essaie de rassurer la victime parce que si c’est une victime dans la réalité des agressions sexuelles, elle est déjà traumatisée même si elle a un âge majeur, à plus forte raison si c’est une mineure. Pour la plupart de cas, le premier contact est effectué par le personnel féminin pour une question d’approche, mais ça peut être très compliqué parfois.»
Poursuivant, le spécialiste recommande à toute victime de se faire consulter le plus tôt possible au risque de compromettre le dossier devant la justice: «Dans la logique, il est beaucoup conseillé de se faire consulter dans les plus brefs délais après une agression sexuelle ou une tentative d’agression sexuelle. Le délai escompté est de 72h maximum, de préférence sans même une toilette intime parce que lorsqu’il n’y a pas de toilette, on a la possibilité de non seulement voir les légions, mais aussi les sécrétions du présumé auteur car il est particulièrement rare de voir une agression sexuelle avec un port de préservatif. Cette sécrétion et les légions comptent beaucoup dans l’examen médico-légal. »
Des victimes traumatisées
Au-delà du traumatisme, les victimes subissent les pesanteurs socioculturelles. C’est ce qu’explique le sous-lieutenant, Sékou 2 Camara, commandant de la Brigade spéciale de protection des personnes vulnérables: «Ce phénomène de recrudescence de viol s’explique en grande partie par l’influence des pesanteurs socioculturelles dans notre pays. Les victimes subissent d’énormes pressions pour ne pas venir nous voir. La peur d’être pointées du doigt par la communauté les empêche de dénoncer les auteurs. »
Le profil d’un potentiel violeur
En ce qui concerne le profil d’un potentiel auteur de viol sur mineurs, le sous-lieutenant Camara soutient que le violeur est parfois un proche de la victime: «Le plus souvent, le violeur ne vient pas de loin. Il est soit un voisin de la victime ou un parent parfois même ils ont le même tuteur et vivent dans la même maison. Dans ce cas, il est très difficile de contrôler les mouvements de l’enfant. La plupart du temps, les bourreaux commencent leur rapprochement avec des petits cadeaux, en considérant les victimes comme leurs petites femmes histoire de les rassurer afin qu’il n’y ait plus de barrière entre eux afin de pouvoir les attirer dans leurs maisons sans éveiller de soupçon de la part des parents. Après, ils effectuent leurs sales besognes.»
Ce que dit le Code pénal
En son article 268, le Code pénal guinéen «punit le viol à la réclusion criminelle de 5 à 10 ans. Le viol est puni de la réclusion criminelle de 10 à 20 ans : 1. lorsqu’il a entrainé une mutilation ou une infirmité permanente ; 2. lorsqu’il est commis sur un mineur de moins de 18 ans ; 3. lorsqu’il est commis sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou mentale, ou à un état de grossesse apparente ou connue de l’auteur ; 4. lorsqu’il est commis par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ; 5. lorsqu’il est commis par une personne qui abuse de l’autorité que lui confère ses fonctions ; 6. lorsqu’il est commis par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice; 7. lorsqu’il est commis avec usage ou menace d’une arme ; 8. lorsque la victime a été mise en contact avec l’auteur des faits grâce à l’utilisation, pour la diffusion de messages à destination d’un public non déterminé, d’un réseau de communication électronique ; 9. lorsqu’il est commis en concours avec un ou plusieurs autres viols ; 10.lorsqu’il est commis par une personne agissant en état d’ivresse manifeste ou sous l’emprise manifeste de stupéfiants ; 11.lorsqu’il est commis suite à l’administration de substances de nature à altérer le consentement de la victime“. Et l’article 269 stipule : “Le viol est puni de la réclusion criminelle à perpétuité : 1. lorsqu’il est précédé, accompagné ou suivi de tortures ou d’actes de barbarie ; 2. lorsqu’il a entrainé la mort de la victime. »
Le sort d’un mineur présumé auteur d’un viol?
N’faly Sylla est le président du tribunal pour enfant. Il explique: «Un enfant en conflit avec la loi est traité comme tel. Il a des droits qui lui sont garantis par le Code de l’enfant, mais étant en conflit avec la loi, il fera l’objet de procédure régulière parce que le viol est criminel. Il peut être placé en détention préventive s’il a plus de 13 ans. En dessous de 13 ans, on ne peut jamais faire l’objet de détention dans une maison d’arrêt. »
L’article 24 du Code pénal dispose que «les faits commis par un mineur de moins de 13 ans ne sont susceptibles ni de qualification ni de poursuites pénales. Ils ne peuvent faire l’objet que de mesures de protection, d’assistance, de surveillance et d’éducation prévues par la loi. Le mineur de 13 ans bénéficie de droit, en cas de culpabilité, de l’excuse absolutoire de minorité. »
La même texte dispose que l’excuse atténuante de minorité bénéficie aux mineurs de 16 à 18 ans dans les conditions prévues par le Code de l’enfant. Et qu’en matière de crime et délit, l’excuse atténuante de minorité produit les mêmes effets que les circonstances atténuantes.
Les pesanteurs socioculturelles
M. N’faly Sylla dénonce l’ingérence des autorités morales dans l’affaire des cas de viol. Malgré, dit-il, cela n’arrête pas la procédure judiciaire enclenchée contre le présumé auteur de viol: «Il arrive des situations où la famille plaignante demande à arrêter les procédures. Parfois, on fait appel à des imams qui viennent plaider. Mais les officiers de police judiciaire ne cèdent pas à ses ingérences. Ils font tout pour arriver au niveau des tribunaux. Ces ingérences ne nous amènent pas à abandonner la poursuite pénale à l’égard des enfants qui sont auteurs de viol.»
Quid du désistement de la victime?
«Quand la victime demande l’arrêt de la procédure, la loi demande de le faire, mais ce n’est pas valable dans le cas du viol. Dans un cas de viol quelle que soit la négociation, nous agents de police judiciaire, nous prenons le désistement de l’intéressé et on l’envoie chez le procureur. C’est à lui de décider. Il y a beaucoup qui préfèrent régler les cas de viol à l’amiable avec l’intervention des imams ou sages. ça s’explique par les pesanteurs socioculturelles, ce qui fait que si nous de la Brigade ou de l’OPROGEM ne sommes pas au courant, on ne peut pas intervenir», déplore lieutenant Sékou 2 Camara.
Pour, ne serait-ce que diminuer les cas de viol, le commandant de la Brigade de personnes vulnérables invite les citoyens à oser briser le silence et avoir confiance à la justice guinéenne: «A tous les parents, qu’ils sachent que le viol est un acte criminel. Imaginez une petite fille qui passe toute la journée seule à la maison et que le soir ses parents viennent trouver qu’elle a été violée à plusieurs reprises par un homme de plus 60 ans, c’est un traumatisme à vie non seulement pour la victime, mais aussi pour la famille. Pour lutter contre ce phénomène, il faut qu’on arrive à faire confiance à notre appareil judiciaire même s’il est parfois défaillant».
Le viol, un crime banalisé
Avocate et membre du Conseil de l’ordre, Me Halimatou Camara, travaille dans le cadre de l’assistance judiciaire et de l’accompagnement des victimes avec la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) et l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme et du citoyen (OGDH). Pour elle, la première difficulté en ce qui concerne le cas de viol, c’est son d’ordre structurel. En plus du manque de moyens, l’avocate déplore aussi le manque de formation et de déontologie des personnes censées faire appliquer la loi.
«Il y a surtout un problème de conscience collective qui explique aujourd’hui que les gens qui sont censés parfois poursuivre les auteurs de viol ou rendre des décisions en la matière, font ce qu’on appelle une espèce de banalisation, parce qu’ils n’appliquent pas les textes des lois qui existent et ça c’est extrêmement problématique», dénonce-t-elle.
En matière pénale, il y a les contraventions, les délits et les crimes. «Le viol est considéré comme un crime au même degré qu’un meurtre ou un assassinat, etc.», précise Me Halimatou, avant de dénoncer la procédure judiciaire en matière de viol en Guinée: «Quand un viol survient, la première personne qui doit pouvoir intervenir est en réalité le médecin légiste. Aujourd’hui, dans la pratique, on veut que la victime de viol, avant d’aller voir un médecin légiste ou un gynécologue, dans la pratique judiciaire guinéenne, on veut que la victime aille d’abord devant un officier de la police judiciaire déposer une plainte. On lui remet un papier qu’on appelle ”de par la loi” qu’on obtient en payant 50 mille Gnf et c’est ce papier qui vous permet d’aller voir un médecin légiste. Pour pouvoir se faire ausculter, la victime doit payer 50 mille Gnf. Là déjà, il y a un problème d’accès à ce service qui se pose, parce que ce document est obtenu contre de l’argent. Donc sur le plan même de l’accès au service de médecine légale, il y a une problématique parce que les victimes de viol sont, non seulement, soumises à des blessures et séquelles physiques, mais aussi psychologiques. La primauté voudrait que la prise en charge médicale et psychologique soit privilégiée avant d’entamer la procédure judiciaire qui reste tout de même indispensable.»
Pour Amnesty International, le viol est un acte de torture dont l’État est responsable s’il ne fait pas preuve de la diligence requise pour empêcher, punir ou réparer le crime. L’ONG souligne aussi que les lois relatives au viol sont souvent inadaptées et, dans beaucoup de pays par exemple, le viol conjugal n’est ni reconnu ni interdit.
Pour lutter efficacement contre cette recrudescence de viol en Guinée où la couche féminine est faiblement représentée dans les instances de prise de décision, il est plus qu’urgent de s’attaquer aux inégalités économiques et sociales systémiques, assurer l’accès à l’éducation et à un travail sûr et faire évoluer les normes de genre.
Adama Hawa Bah