L’ancien vice-président de l’Ufdg prend pour responsables la mouvance et l’opposition ainsi que le ministre de l’Administration du territoire de la crise politique actuelle marquée par l’expiration du mandat des députés. La nouvelle loi sur la Ceni à certes diminué le nombre des commissaires, M. Bah Oury révèle qu’elle a empiété sur l’indépendance constitutionnelle de l’institution électorale puisque ses prérogatives dans le cadre de gestion des moyens ont été confiées au ministère de l’Administration du territoire. Face à la situation, l’animateur du Mouvement Renouveau pense qu’il faut une nouvelle dynamique politique qui va incarner les aspirations des citoyens déçus de la classe politique actuelle.
Guinee360 : Le président Alpha Condé a décidé de proroger le mandat des députés à l’Assemblée nationale. Quel est votre avis?
Bah Oury: C’est dommage dans notre pays que jusqu’à présent on n’arrive pas à honorer les mandats électifs que les uns et les autres obtiennent. Ça devient une habitude et c’est à ce niveau là qu’il faut se poser les bonnes questions. Il y a des faits qui relèvent des responsabilités du ministre de l’Administration du territoire actuel, des responsabilités de l’opposition dite républicaine et des responsables de la mouvance qui ont signé des Accords qui sont en réalité des arrangements au gré des intérêts des uns et des autres en mettant de côté l’indispensable nécessité de la primauté de la loi. Cela a amené une gestion érotique des institutions du pays. L’exemple le plus frappant ce sont les élections communales qui ont eu lieu le 04 février 2018. Les résultats définitifs ont été programmés au courant de mars par la Ceni. Depuis lors, on n’a pas fini d’installer les élus communaux. On n’a même pas entamer la phase qui consiste à installer les chefs des quartiers et les présidents des districts. Cela montre une certaine désinvolture dans la gouvernance au point de vue de cette question des communales. Il ne faut pas s’étonner dans ce cadre que les élections législatives arrivent sans qu’on ait fini avec les élections communales. Le dispositif électoral ne pouvait pas être envisagé avec la mise en place de la nouvelle Ceni qui n’avait pas été en place lors de la fin du mandat des députés. Ça prouve qu’au niveau de nos institutions, il y a quelque chose qui ne va pas.
Selon vous qui est responsable de cette situation ?
Je dirais que c’est le ministre de l’Administration du territoire qui est en charge du dialogue dit politique et du suivi des Accords et également ceux qui sont partisans de ces Accords politiques qui ont mis les lois de côté pour faire des arrangements. De ce point de vue, ils ont mis nos institutions en difficulté et ils ont discrédité le vote dans ce pays. Ils ont fait de telle sorte qu’à l’heure actuelle, la population a perdu confiance en sa classe politique.
Ne pensez vous pas que le chef de l’État soit le premier responsable de cette situation ?
Non! Il faut rendre à César ce qui appartient à César. Ceux qui ont organisé des manifestations au risque de mettre en péril la vie des citoyens avec toutes les destructions que nous avons connues, mais ce sont ceux la qui sont les principaux responsables de la situation. Que le président de la République, pour accéder à une dynamique d’apaisement, ait accepté que ces Accords soient mis en force, on peut, de ce point de vue, mettre en exergue sa responsabilité. Mais, les vrais responsables ce sont ceux qui ont utilisé la rue au risque de déstabiliser la Guinée pour obtenir des satisfactions de leurs intérêts politiques partisans. Le ministre de l’Administration du territoire, dans le domaine régalien, a également failli à ses responsabilités. Ils se sont tous alignés sur une volonté de satisfaire des intérêts particuliers au détriment de la stabilité du pays. Et là, ils n’ont ni obtenu la stabilité, ni la paix, il y a eu des morts, des destructions et maintenant il y a un blocage institutionnel.
Que faut il faire ?
Le mandat des députés a expiré et on ne peut que demander que la vie institutionnelle puisse continuer. La Cour constitutionnelle a autorisé le président de la République a prorogé le mandat des députés pour qu’il n’y ait pas un vide qui risquerait d’être encore un élément déstabilisant que le fait d’autoriser le président à légiférer par Ordonnance.
Certains estiment que la prorogation du mandat des députés n’est pas prévu par la Constitution. Qu’en dites vous?
On n’écrit pas toute la vie et ce qu’on doit faire comme si tout est déjà préparé. Ce n’est pas la première fois qu’il y a eu prorogation du mandat d’une Assemblée dans ce pays. Il y a eu prolongation avec la dernière législature du régime Pup. Lorsque la Cour qui a comme fonction majeure d’assurer le bon fonctionnement des institutions du pays ça lui donne une latitude d’apprécier les mesures qu’il faut préconiser pour que les institutions de ce pays fonctionnent tant bien que mal en utilisant le moindre mal pour ne pas que notre pays soit déstabilisé.
Comment trouvez-vous l’ossature de la nouvelle Ceni ?
Si ce n’était que pour l’ossature, je ne vois pas pourquoi on fait une nouvelle loi. On diminue de 10, on ramène à 7 commissaires pour chacun de deux blocs de parti politique. Tandis qu’on diminue un pour la Société civile et un pour l’Administration du territoire. En termes de qualité, je ne vois pas pourquoi, de ce point de vue, d’avoir changé les textes pour la mise en place d’une nouvelle Ceni. Ce qui est encore discriminatoire, lorsqu’ils ont légiféré, ils ont dit, pour avoir des représentants, le parti doit avoir participé aux deux dernières élections nationales et avoir au moins deux députés à l’Assemblée. (…) Il y a eu quelque chose de très important qui a été fait lorsque la loi sur la Ceni a été adoptée par l’Assemblée nationale. Cette loi a diminué certes le nombre des commissaires, mais a empiété sur l’indépendance constitutionnelle de la Ceni puisque ses prérogatives dans le cadre de gestion des moyens ont été confiées au ministère de l’Administration du territoire. Au point de vue de la pratique, cela veut dire que la Ceni n’est plus indépendante constitutionnellement puisqu’elle n’a pas la latitude, de bout en bout, d’avoir la possibilité de gérer, de proposer une élection, il faut qu’elle soit en collaboration avec le ministère de l’Administration du territoire. La Ceni actuelle, sur le plan constitutionnelle, a été amputée. La Cour constitutionnelle aurait dû jeter un coup d’œil pour amender cette disposition de la loi qui n’est pas en adéquation avec l’indispensable nécessité conformément à nos textes que la Ceni soit constitutionnellement indépendante.
Sans ces critères est ce qu’on aurait pu composer la nouvelle Ceni avec toutes ces formations politiques qu’il y a?
Une vraie Ceni aurait dû rechercher des hommes et des femmes d’une compétence avérée, d’une haute indépendance et qui soient indépendants vis-à-vis de toutes structures politiques. C’est ça qui aurait dû être une vraie Ceni après 25 années d’expérience, de régime multipartite et d’organisation d’élections pluralistes.
Est-ce qu’on peut encore en trouver des Guinéens qui soient politiquement indépendants des formations politiques ?
Vous ne pouvez pas me dire que tous les Guinéens sont malhonnêtes ou ne sont pas courageux pour assumer des responsabilités. C’est le système de recrutement qui pose problème. Il faut confier le recrutement à des structures indépendantes qui font des appels d’offres. Tous les citoyens guinéens qui remplissent un certain nombre de critères s’ils compétissent à partir de ce moment là, de la manière la plus indépendante possible, on peut choisir des hommes et des femmes pour cela. Notre compatriote Bintou Keita, elle est la secrétaire général adjointe Nations Unies en ce qui concerne les questions de sécurité, il y a d’autres Guinéens qui, à travers le monde, remplissent des fonctions avec tout le sérieux. Donc, la Guinée a des personnes ressources pour assumer des responsabilités. Mais il faut que des opportunités soient créées pour que ces compétences acceptent et osent s’investir pour leur pays.
Le comité d’audit du fichier électoral a remis son rapport final, il y a plusieurs mois, au ministre de l’Administration du territoire. Que savez-vous de son contenu?
Je n’ai pas eu vent de son contenu. Dans ce pays, tous les rapports ne sont pas mis à la disposition de ceux et de celles qui devraient l’avoir en première lecture. Vous n’avez pas le rapport sur cette question et le rapport de la police sur la tentative d’assassinat du chef de file de l’opposition. Il y a beaucoup de choses comme ça. Dès qu’on dit qu’il y aura un rapport c’est une manière souvent de retarder et de ne pas permettre à un public cible intéressé d’en avoir le contenu. On attendra la dernière minute pour sortir du tiroir ces rapports et avec les contestations possibles qui vont encore amener des discussions au risque de retarder pour très longtemps le lancement du processus électoral.
Croyez vous en la tenue des législatives cette année ?
C’est la Ceni qui a toute la compétence qu’il faut pour fixer la date de l’organisation des législatives. Donc je ne peux pas me prononcer là-dessus. (…) Il y a l’autre contrainte extrêmement importante : la contrainte financière qui peut être aussi un facteur bloquant. Le budget reflète la volonté politique du gouvernement. Si le budget alloué à l’organisation des législatives ne figure pas dans l’exercice 2019, il faut s’interroger sur la volonté gouvernementale d’organiser ces élections au courant de l’année budgétaire 2019.
Récemment, on vous a vu avec Sidya Touré de l’Ufr, Ousmane Kaba du Pades… C’était quoi l’objectif?
Cette réunion préliminaire, informelle pour envisager la mise en force d’une plateforme large dans l’espace politique guinéenne. À savoir que la situation actuelle nécessite de réflexion, des remises en question doivent être engagées puisque l’expérience politique guinéenne est riche, mais il y a encore d’insuffisance en ce qui concerne beaucoup d’aspects de notre vie politique. Les Guinéens ont perdu le repère de ce point de vue. Il faut renouer une autre dynamique avec les citoyens Guinéens. Il faut parler à tous peu importe leur appartenance politique, mais il faut mettre en force des dynamiques permettant de faire la politique autrement.