Le président de l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme (OGDH) réagit dans cette interview à la visite effectuée la Justice à la Maison centrale de Coronthie par Mory Doumbouya, nouveau ministre de la Justice, Garde des Sceaux. Abdoul Gadiry Diallo constate une incohérence dans la démarche du ministre.
Guinee360.com: Quelle lecture faites-vous de la visite de Me Mory Doumbouya à la maison d’arrêt de Conakry ?
Abdoul Gadiry Diallo: C’est une démarche positive dans la mesure où il doit toucher les réalités carcérales de la Guinée. Il était avocat avant d’être ministre. Donc, il savait plus ou moins quelle était la réalité. Nous pensons que l’initiative n’est pas mauvaise. Elle peut être un moyen pour savoir effectivement comment ça se passe sur place (…) Nous déplorons le fait qu’il y a eu deux poids deux mesures dans la composition de la délégation du ministre. Nous avons été informés qu’il était accompagné de l’avocat de M. Toumba Diakité. Ceci, en soi, n’est pas mauvais. Mais, nous ne voyons pas pourquoi en même temps qu’il a fait venir l’avocat de Toumba Diakité parmi sa délégation, il n’a pas pris la précaution d’associer les avocats de la partie civile des victimes du 28 septembre surtout quand il était question d’écouter Toumba. Nous estimons que si la visite a été très positive, et cela a créer les conditions d’une décrispation au niveau de certaines personnes, il fallait en même temps qu’il réfléchisse par deux fois avant d’associer certains et ne pas inviter d’autres. De la même manière qu’il a invité les avocats de la défense concernant le dossier du 28 septembre, il fallait associer aussi les avocats de la partie civile même si quelque part, nous estimons que la démarche qu’il a eue à faire est une démarche assez positive.
Est-ce une première?
Cette visite du ministre Mory est comme le parachèvement des actions qui avaient été entreprises par Me Check Sacko qui, à son arrivée, la première réaction qu’il a eue, c’est de mettre en place une commission pour faire l’état des lieux des détentions préventives au niveau de la maison d’arret. Il a fait ça pour toutes les maisons d’arret de la Guinée. Ce qui a permis à l’époque, sous la conduite de l’avocat général, Baila Diallo, d’avoir des situations exhaustives des personnes qui sont victimes de détentions préventives prolongées. Et à l’époque on a decouvert qu’il y a des gens qui ont totalisé près de 11 ans de détention préventive prolongée. Cela a amené à élargir les compétences des tribunaux de premières instances pour essayer de désengorger les prisons. A l’arrivée de monsieur Mamadou Lamine Fofana, celui-ci aussi a pris une mesure qui a consisté à mettre en place des juges d’application des textes pour essayer justement de faire en sorte que les détentions arbitraires ne prospèrent pas au niveau des maisons d’arret. C’est une mesure qui était aussi salutaire. Aujourd’hui, que l’actuel ministre de la Justice cherche à capitaliser des actions entamées par ses prédécesseurs comme la visite des prisons, notamment la maison d’arrêt de Conakry pour voir l’état des lieux des détenus, je crois que cela va dans le meme sens. Maintenant ce qui nous reste et qui est important, c’est la décision qu’il devrait prendre pour essayer de mettre fin à des détentions préventives prolongées. Et essayer de voir dans quelle mesure améliorer les conditions de détention dans les prisons en Guinée.
Justement pour répondre à la surpopulation des prisons, le gouvernement avait lancé la construction d’un centre pénitentiaire moderne à Yorohkoguia. Savez-vous où en est le projet?
Le surpeuplement carcéral est un problème national. Beaucoup de bruits ont été répandus autour du projet de construction de la maison centrale à Yorokoguia. Mais jusqu’à présent, on n’a pas la version officielle qui permet de constater si les mesures envisagées ont été effectivement mises en œuvre. On ne sait toujours pas où est-ce qu’on en est avec ce projet ? Or, dans le contexte actuel, le surpeuplement des prisons peut être réglé à travers la construction d’autres maisons d’arrêt. Il faut aussi dire que la légèreté de certains magistrats constitue une source aussi de surpeuplement des prisons. Au lieu que la détention soit l’exception, elle est quasiment devenue la règle. Suivant les humeurs des uns et des autres, on arrête de gens et on les place en détention. Alors que logiquement, c’est le principe qui veut que la détention ne soit pas la règle, mais que ce soit plutôt l’exception. Tout ceci constitue aujourd’hui de problèmes qui, nous espérons pourraient etre résolus à travers les visites que le ministre de la Justice est en train d’effectuer.
Vous prévoyez une plainte contre la Guinée pour des cas de détention préventives prolongés ?
Nous privilégions le plaidoyer dans nos démarches. Voici un département qui est extrêmement strategique. En ce sens que si le département de la justice prend des mesures allant dans le sens de l’élargissement de certains détenus, il y a encore des commentaires qui peuvent se faire sur ces situations-là. C’est ce qui nous fait penser que le ministère doit faire preuve de beaucoup de civilité en vue d’accélérer le processus d’audition et de jugement des personnes détenues. Et dans une certaine mesure, prendre les dispositions qui s’imposent pour que désormais les gens ne soient pas détenus de manière prolongée et qu’ils bénéficient de procès. Nous pensons que la meilleure solution, c’est d’aller pas à pas et de faire un plaidoyer. Nous estimons que les démarches que nous sommes en train de faire en matière de plaidoyer, ne sont certes pas suivies d’effets immédiats, mais nous pouvons dire qu’il y a des effets qui peuvent être appréciables.