La Guinée est le 2ème producteur de bauxite au monde et premier pays fournisseur de la Chine. Sa production a atteint les 82 millions de tonnes en 2020. Mais les multinationales qui extraient et exportent cette bauxite ne respectent pas les droits des propriétaires terriens. En tout cas c’est ce qui ressort d’une enquête menée par les ONG Human Rights Watch et Inclusive Development International.
Selon le rapport de ces deux ONG publié le 22 juillet 2021, l’exploitation minière en Guinée ne prend entièrement en compte le respect de l’environnement et les droits de l’homme. La transformation de la bauxite conduit à l’obtention de l’alumine puis l’aluminium. Ce métal entre dans l’industrie automobile. Dans leur rapport, ces ONG internationales expliquent pourquoi les constructeurs automobiles devraient se soucier des conséquences de la production de l’aluminium sur les droits de l’homme. L’enquête a concerné essentiellement la Guinée, notamment la région de Boké où sont présentes les deux grandes multinationales de la production de la bauxite, à savoir la Compagnie des bauxites de Guinée (CBG) et la Société minière de Boké (SMB).
« En Guinée, l’extraction de bauxite est en plein essor dans des zones occupées par des populations qui disposent généralement de droits coutumiers ancestraux sur les terres. Une étude commanditée par le ministère guinéen des Mines et de la Géologie estimait en 2019 qu’au cours des vingt prochaines années, l’exploitation minière de la bauxite détruirait 858 kilomètres carrés de terres agricoles et plus de 4 700 kilomètres carrés de milieux naturels, une surface six fois plus vaste que la ville de New York. Les familles guinéennes, qui souvent dépendent de l’agriculture pour leur subsistance, ne reçoivent généralement pas de terre de remplacement ni d’indemnisation adéquate de la part des compagnies minières, ce qui signifie que la perte de leurs terres les prive de leurs sources de revenu et risque de les plonger dans une pauvreté plus extrême encore », regrettent Human Rights Watch et Inclusive Development International.
En décembre 2020, Human Rights Watch a parlé avec Maciré Camara, une paysanne du village Diakhabia. Veuve et mère de cinq ans, cette dame a perdu ses terres à la suite de la construction du port de SMB dans son village. Elle n’a eu que 4 millions GNF comme indemnisation. Aujourd’hui elle cultive dans un demi-hectare où elle gagne 3 millions GNF par an. Ce qui ne peut lui suffire pour nourrir sa famille : « Je n’ai pu trouver qu’un demi-hectare de terre à cultiver. Je ne gagne plus que 3 millions de francs guinéens par an (soit 257 euros) environ. Nous pouvions faire trois repas par jour, alors qu’aujourd’hui nous devons parfois nous contenter de deux, voire un. »
Selon HRW, le consortium SMB a le droit d’extraire de la bauxite dans la zone de Diakhabia jusqu’en 2031, et au-delà de cette échéance, il y aura toujours du minerai à exploiter. Ce qui pourrait signifiera que les habitants des zones minières n’auront pas où cultiver, alors que la majorité de la population de la région de Boké (80%), selon le ministère des Mines et de la Géologie, vivent de l’agriculture.
« L’expérience de Camara face à ce consortium illustre l’immense déséquilibre des pouvoirs entre les populations touchées et les multinationales minières. En pesant de tout leur poids, les constructeurs automobiles peuvent faire progresser le respect des droits humains dans le secteur de l’aluminium et ainsi contribuer à un avenir meilleur pour le village de Camara et pour bien d’autres régions », indique Human Rights Watch dans son rapport.
Nécessité d’implication des constructeurs automobiles…
Les deux ONG font savoir que la bauxite de la Guinée joue un grand rôle dans l’approvisionnent des raffineries au monde. En plus des raffineries chinoises, la bauxite guinéenne est exportée vers des raffineries canadiennes, françaises, allemandes, irlandaises, russes, espagnoles et émiraties. « La Guinée elle-même a raffiné moins d’un million de tonnes sur les 82 millions qu’elle a produites en 2020 », soutient-on dans le rapport.
L’industrie automobile, c’est l’un des consommateurs finaux de la bauxite, après sa transformation en aluminium. Pour exiger des multinationales minières du respect de l’environnement, mais surtout des droits de l’homme dans les zones d’exploitation, Human Rights Watch et Inclusive Development International demandent aux constructeurs d’automobiles de s’impliquer. Ils pourraient, selon ces ONG, commencer par s’assurer que « des normes contraignantes en matière de droits humains et d’environnement soient intégrées à leurs contrats d’approvisionnement et exiger de leurs fournisseurs qu’ils intègrent à leurs contrats des dispositions similaires dans l’ensemble de leur chaîne logistique. […] Tous les constructeurs devraient faire de l’aluminium une priorité de leur recherche d’un approvisionnement responsable en matières premières et cartographier leur chaîne logistique pour repérer les mines, les raffineries et les fonderies d’où provient l’aluminium qu’ils utilisent. Les constructeurs devraient ensuite diffuser ces informations pour permettre aux populations locales et aux ONG de partager les informations dont elles disposent sur les risques pour les droits humains. »
Elles estiment également que les constructeurs d’automobile devraient élaborer des mécanismes de réclamation permettant à des communautés de déposer des plaintes concernant des violations de droits humains commises par des mines de bauxite et des producteurs d’aluminium dans leur chaîne d’approvisionnement.
« Les constructeurs devraient également soutenir l’adoption de lois contraignant les entreprises à exercer une véritable responsabilité en matière de droits humains, créant ainsi une concurrence équitable dans l’ensemble du secteur et accentuant la pression sur leurs fournisseurs pour qu’ils respectent des droits humains », soutiennent-elles.
Quelles sont les destinations de la bauxite guinéenne ?
Il ressort du rapport de HWR et IDI que l’essentiel de la bauxite extraite par la CBG est expédié vers les raffineries d’alumine et les fonderies d’aluminium d’Amérique du Nord et d’Europe qui appartiennent aux copropriétaires de la CBG, à savoir Rio Tinto, Alcoa et Dadco. L’aluminium est ensuite transformé en produits semi-finis à destination de l’industrie, et en particulier des fournisseurs des plus gros constructeurs automobiles du monde.
Quant à la bauxite de SMB, elle est expédiée vers la Chine : «Elle est achetée, raffinée et fondue par des sites appartenant au China Hongqiao Group, qui fait partie du consortium SMB. Les raffineries et fonderies de China Hongqiao, qui produisent les plus grandes quantités d’aluminium primaire dans le monde, font venir la majeure partie de leur bauxite des mines guinéennes de la SMB. L’aluminium produit par China Hongqiao est employé par des industriels chinois qui fournissent des pièces à nombre des principaux constructeurs automobiles mondiaux. »
Nécessité de certifier l’aluminium
Human Rights Watch et sa partenaire IDI soutiennent que les constructeurs automobiles n’ont pas fait de gros efforts pour s’approvisionner en aluminium de manière responsable. Néanmoins, plusieurs entreprises comme Audi, BMW et Daimler ont rejoint un programme de certification, l’Aluminium Stewardship Initiative (ASI), qui « recourt à des audits de tierces parties pour évaluer les mines, les raffineries et les fonderies à l’aune d’une norme de performance qui comprend des critères environnementaux et de respect des droits humains. »
Elles indiquent que, selon les informations données par l’ASI, 11 % des mines de bauxite et des raffineries d’alumine en service, et 20 % des fonderies d’aluminium, sont actuellement certifiées au titre de la norme de performance.
Quant aux constructeurs Volkswagen, BMW et Daimler, selon elles, ils encouragent les producteurs d’aluminium à rejoindre l’ASI et à accroître la part d’aluminium certifié dans leur offre commerciale.
La certification de l’aluminium ne suffit pas, préviennent HRW et IDI. Pour ces ONG, l’approvisionnement en aluminium certifié ne devrait être qu’une partie d’un processus de responsabilité plus large pour les constructeurs automobiles, qui devrait comprendre la cartographie de la chaîne logistique et sa communication publique, une analyse des risques, des mécanismes de réclamation et un engagement direct auprès des mines, des raffineries et des fonderies qui ne respecteraient pas leurs obligations au regard des droits humains.