Dans un entretien accordé à notre rédaction, l’ancien international guinéen se réjouit du parcours du Syli local au dernier Championnat d’Afrique des Nations (CHAN) au Cameroun Total 2020. Mais Lucien Beindou Guilao estime que cette équipe locale ne doit pas être considérée comme l’équipe A. Il est également revenu sur les deux élections prévues à la Fédération Guinéenne de Football et à la Confédération Africaine de Football.
Guinee360: Le parcours du Syli local dans ce Championnat d’Afrique des Nations a été remarquable avec une troisième place. Quelle analyse faites-vous de la prestation de cette équipe ?
Lucien Guilao: Mon constat est que notre Syli a joué avec abnégation, courage et motivation. Chacun à son niveau, à son poste s’est battu comme un lion pour obtenir un résultat. En un mot, ils ont des qualités qui manquent à l’équipe nationale A. Je suis absolument convaincu que de ce point de vue, ces jeunes ont les qualités à revendre. À notre équipe première on reprochait souvent l’absence d’esprit combatif, le mouillage de maillot. Aujourd’hui notre Syli local nous montre que le football n’est pas seulement technique, il est aussi physique et mental. Et je pense que cette équipe a prouvé qu’elle était meilleure à son aîné en terme de mental. Parce que souvenez-vous qu’elle est allée chercher un match nul qui n’était pas évident contre la Tanzanie (2-2 en infériorité numérique lors du dernier match en phase de poules, ndlr). Elle l’a obtenu pendant un temps fort de la Tanzanie. Le succès de cette équipe doit être aussi adossé à l’entraîneur (Kanfory Lappé Bangoura, ndlr). Il vous souviendra que le précédent CHAN au Maroc en 2018, cet entraîneur s’est fait tirer dessus. Il a été même limogé. C’est une belle victoire pour lui de revenir trois ans plus tard pour la même compétition et d’amener son équipe à la troisième place. Et ayant parcouru tout le championnat sans aucune défaite, je considère que les tirs aux buts ne sont pas une défaite. Mais il y a toujours un bémol. Notre football connait des problèmes et il faut refuser de croire que ceux-ci vont disparaitre comme par baguette magique avec cette 3ème place. L’équipe a très bien joué. Et elle a joué avec ses moyens. Elle a fait preuve d’abnégation, de courage. Elle s’est battue pour la patrie, comme on dit. Mais cette victoire ne doit pas nous faire perdre de vue les problèmes réels de notre football. Notre football a des problèmes dans tous les domaines. D’abord, il y a les problèmes de corruption, de structure, problème d’organisation, problème de moyens, problème de public, problème de sponsor. Globalement le football national a un problème. Ceci dit, il faut aussi féliciter la Ligue guinéenne de football professionnel qui a pu obtenir un sponsor pour les 5 ans avec SALAM. Donc on peut encore respirer normalement pendant 5 ans. Mais encore une fois la Ligue doit continuer à chercher d’autres sponsors dans le but d’initier d’autres compétitions sur le plan national. La compétition pour des jeunes, pour les espoirs et pourquoi pas une coupe de la ligue.
Plusieurs observateurs estiment que cette équipe doit être reconduite en équipe A. D’ailleurs le ministre des Sports a annoncé même qu’on ne doit plus envoyer des binationaux ”pour vider le trésor public”. Quel est votre avis ?
Notre ministre est un homme politique qui a un discours politique. Il appartient aux techniciens de traduire ce discours afin de le ramener à sa juste valeur. Il est évident qu’il faille revoir le système de sélection. Ne sélectionner que ceux qui sont capables et qui ont le niveau pour jouer pour l’équipe nationale A. Si le joueur est en Guinée et qu’il a les compétences pour le faire, qu’on sélectionne. S’il est en Europe et qu’il a les compétences pour le faire, qu’on le sélectionne. On peut facilement imposer au sélectionneur de ne faire appel qu’aux joueurs qui sont titulaires dans leur club ou ceux qui ont un très bon temps de jeu dans leur club. Tu ne peux pas cirer les bancs dans un club de Division d’Honneur et prétendre être titulaire en équipe nationale. Il est difficile de maintenir cette équipe. En football, la remise en question est perpétuelle. Le CHAN 2021 c’est fini. On est champion, on est 3e, c’est fini. C’est une autre vie qui commence. On doit pouvoir se remettre en question au niveau des clubs, mais aussi au niveau de la sélection avec les éliminatoires qui arrivent. Donc le ministre est dans son rôle c’est vrai qu’il est enthousiaste, mais n’oublions pas que nos trois clubs qui étaient engagés en campagne africaine ont été éliminés dès le premier tour avec des joueurs locaux. En plus des joueurs locaux, il y avait des étrangers qui étaient venus renforcer le dispositif. Donc il ne faut pas qu’on perde la lucidité. On peut aussi imposer par exemple au sélectionneur national d’inclure dans sa liste des 23 au minimum 5 joueurs locaux.
Donc vous ne partagez pas l’avis de maintenir cette équipe ?
Je ne partage pas cet avis parce que vous ne pouvez pas ne pas utiliser Naby Keita s’il est titulaire à Liverpool. S’il a un temps de jeu énorme à Liverpool comment tu peux te permettre de ne pas l’utiliser? Ce n’est pas possible. Moi je crois qu’il faut se servir de cette nouvelle dynamique pour rendre notre championnat très attrayant afin que le public vienne au stade tous les week-ends de championnat. S’il y a un travail qui doit être fait, il doit être fait en interne pour qualifier le niveau de notre championnat. Plus on qualifie le niveau du championnat, plus il y aura des joueurs locaux dans la liste des 23. Progressivement on aura un coefficient assez encourageant pour les joueurs locaux.
L’élection à la fédération guinéenne de football est prévue le 12 mars. Pour le moment, seul le président sortant est candidat à sa propre succession. Comment voyez-vous ce manque de challengers ?
Le manque de challengers peut être dû à plusieurs facteurs. Le premier c’est que tout le monde pense que le président Antonio a fait du bon travail lors de son premier mandat. Et qu’il est logique qu’il soit reconduit. Le second facteur, il n’y a pas de candidat ayant le maximum de ressources pour mener une belle campagne pour mettre en jeu la candidature du président sortant.
Que pensez-vous de son bilan de quatre ans passés à la tête de cette fédération ?
Je ne veux pas juger le bilan du président en personne. On juge le bilan d’une fédération. C’est un travail d’équipe. Et je vous dis, la façon dont les élections se font à la Fédération ne m’autorise pas à critiquer le bilan de l’équipe. Parce que tous les postes sont électifs. Moi, je ne trouve pas ça normal. Moi je pense qu’on doit voter pour un président et qui va à son tour nommer des gens qui ont la même vision que lui, la même volonté que lui, la même motivation que lui, et la même philosophie de football que lui. Mais là, je trouve que vous avez un président qui a été élu, un vice-président qui a été élu, et que les 2 n’ont même pas la même vision, qui ne se comprennent pas. Moi, je ne peux pas me permettre de juger cette équipe de la FEGUIFOOT parce que je sais que la réussite dans le football dépend de beaucoup de facteurs dont les facteurs humains. Comment on travaille ensemble, est-ce qu’on se comprend, est-ce qu’on a la même philosophie? Si le président et le vice-président ne se complètent pas et ne se comprennent pas, ce n’est pas possible. Chacun fait son travail de son côté pour qu’il soit réélu. Moi je ne peux pas à ce niveau, compte tenu de ma position actuelle, de ma réflexion actuelle sur le mode d’élection à la Fédération, juger cette équipe.
Peut-on s’attendre à Lucien Guilao à cette élection du 12 mars ?
Avec le système électoral actuel, je ne serai candidat à aucun poste. Non seulement que c’est insoutenable sur le plan financier pour une personne de mon acabit, mais au mieux des cas tu te feras élire dans une équipe composée de personnes avec lesquelles tu ne partages pas la même vision.
Antonio est candidat au comité exécutif de la Confédération africaine de Football. N’est-il pas un atout pour le retour de la Guinée à la prise de décision du football continental ?
Il est toujours bon que la Guinée soit présente dans les organismes supranationaux et internationaux que ce soit en football ou dans d’autres domaines. Moi j’étais en charge des Guinéens de l’étranger, et c’était un pan de la politique de promotion des Guinéens de l’étranger, faire en sorte que les Guinéens soient à plusieurs postes à l’étranger dans des organisations internationales. C’est déjà très bon si on parle de la possibilité qu’il y ait un Guinéen au bureau exécutif de la CAF. Et ce sera encore une meilleure chose si on parvient à installer un Guinéen à ce niveau.
Quelle chance a-t-il, selon vous?
Je ne sais pas comment la CAF fonctionne, mais si Antonio s’est présenté, je pense qu’il est conscient qu’il a des chances à ce niveau. Qu’il soit élu au bureau exécutif de la CAF est tout le mal que je peux lui souhaiter.
Interview réalisée par Tidjane Diallo