En Guinée, rares sont les acteurs politiques qui restent fidèles à leurs convictions. À mesure que les circonstances évoluent, certains adaptent leur position, voire se retournent complètement. Bah Oury, l’actuel Premier ministre, est l’un des exemples parfait de ce phénomène.
Depuis les années 1990, Bah Oury s’est imposé comme une figure clé de l’opposition guinéenne. Fondateur de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) et membre de l’Organisation guinéenne de défense des droits humains (OGDH), il s’est engagé dans des luttes pour la démocratie et la justice. En 2008, en tant que ministre de la Réconciliation nationale sous le régime de Lansana Conté, il a joué un rôle important dans la restitution des corps des victimes des massacres de Coza, en 2000.
Après la mort de Conté, le Comité national pour la démocratie et le développement (CNDD), dirigé par le capitaine Moussa Dadis Camara, a pris le pouvoir. Bah Oury a alors fait partie des voix les plus critiques, notamment en présidant l’organisation de la manifestation du 28 septembre 2009, qui a tragiquement abouti à un massacre. À l’époque, Bah Oury s’opposait fermement à une éventuelle candidature de la junte aux élections.
“Je crois que depuis un certain temps, les populations guinéennes étaient disposées à descendre dans la rue pour manifester contre le CNDD notamment contre l’orientation dictatoriale. On avait reporté à la fin du carême toute manifestation politique d’envergure. Les populations sont suffisamment prêtes et elles savent que c’est l’avenir du pays qui est en enjeu. De plus en plus, au-delà même des questions politiques, les populations sont convaincues que le pays est en danger. C’est la raison pour laquelle beaucoup d’entre nous ont décidé de manifester d’une manière ou d’une autre”, avait déclaré Bah Oury président d’alors de la commission d’organisation de la manifestation au stade du 28 septembre qui s’est soldée par 157 morts, des portés disparus et une centaine de femmes violées. Il a d’ailleurs été entendu en tant que témoin lors du procès devant le Tribunal criminel de Dixinn.
Cependant, en 2024, son positionnement est surprenant. Maintenant Premier ministre, Bah Oury semble avoir changé de cap, soutenant la possibilité d’une candidature du général Mamadi Doumbouya, chef de la transition en cours. Celui-ci avait pourtant promis que ni lui, ni aucun membre des organes de la transition ne se présenteraient aux élections. Interrogé sur ce revirement, Bah Oury a justifié son soutien en évoquant la liberté de chaque citoyen, éligible selon la Constitution, de se porter candidat.
En marge de la 79ème assemblée générale des Nations Unies, à New York, répondant aux questions de RFI, Bah Oury a soutenu l’éventuelle candidature du général Mamadi Doumbouya à la présidentielle, en ces termes : “Pourquoi pas ? Parce que c’est la liberté de chaque citoyen en capacité d’incarner une certaine vision de la Guinée d’aujourd’hui et de demain, d’être candidat ou candidate.”
Ce changement de position contraste vivement avec ses déclarations passées. En 2009, Bah Oury rejetait catégoriquement la candidature d’un chef de la junte. Aujourd’hui, il justifie celle de Doumbouya. Ce retournement suscite des interrogations : comment expliquer un tel revirement de conviction ? Est-ce une question de pragmatisme ou simplement d’opportunisme politique ?
Ce parcours soulève des questions sur l’authenticité des engagements politiques de Bah Oury, révélant ainsi les contradictions et les revirements fréquents au sein de la classe politique guinéenne.