Être à la fois fier du passé et tourné vers l’avenir. Le Fespaco, le plus grand festival de cinéma africain, créé en février 1969, fête ses 50 ans. La cérémonie d’ouverture aura lieu ce samedi 23 février au stade municipal de Ouagadougou, qui se transforme en capitale du cinéma en Afrique.
Le 26e Festival panafricain du cinéma a sélectionné plus de 160 films de cinéastes de tout le continent, mais aussi de la diaspora. Le cinquantenaire, consacré au thème « Mémoire et avenir des cinémas africains », sera également l’occasion rêvée d’honorer les plus grands cinéastes africains et de projeter tous les films lauréats depuis un demi-siècle.
Le Fespaco ? Oui, ça se passe en Afrique, mais c’est unique au monde. Et cela commence dès l’ouverture avec le spectacle fulgurant des cavaliers et le cheval cabré devant la tribune officielle, à l’image de l’Etalon de Yennenga, le trophée légendaire du Fespaco, inspiré par la princesse guerrière du mythe fondateur de l’empire des Mossis. Cette « Palme d’or africaine » est devenue l’un des symboles de l’identité culturelle africaine.
Rwanda, pays invité d’honneur
Le film d’ouverture, The Mercy of the Jungle, du cinéaste Joel Karekezi, du Rwanda, pays invité d’honneur de cette édition cinquantenaire où dansera aussi le ballet national du Rwanda, sera projeté au Ciné Burkina, salle célèbre pour son accueil des festivaliers aux rythmes burkinabè par des musiciens locaux « chauffant » le grand écran avant chaque séance. Dans la chaleur de la capitale, on peut parfois assister à de véritables scènes de liesses dans les salles, avec un public acclamant son cinéaste comme une rock star, dansant, chantant, jusqu’à ce que la séance suivante mette fin à l’euphorie.
Ce rendez-vous cinématographique hors norme, avec ses 450 séances de projections prévues et ses 5 000 professionnels du cinéma et des médias et 100 000 spectateurs attendus pendant les huit jours de l’édition 2019, représente toute la fierté de tout un pays. En 1969, tout commence avec une « petite » semaine de cinéma africain, lancée par les fervents cinéphiles du ciné-club franco-voltaïque qui partent d’un constat simple : à l’époque, les Africains ne peuvent pas voir de films africains.
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« Des images de l’Afrique, par l’Afrique et pour l’Afrique »
Dès le premier festival, en février 1969, avec ses 20 films (dont 14 africains) et ses 10 000 festivaliers, le grand cinéaste sénégalais Ousmane Sembène soutient l’idée d’installer un rendez-vous cinématographique dans ce pays qui s’appelait à l’époque encore la Haute-Volta et ne disposait pas de structure de cinéma. Dans un précieux enregistrement lors de la clôture du 1er Festival, conservé par l’INA, on entend Sembène réfléchir si cette manifestation devait se dérouler à chaque édition dans un État africain différent « ou si ce n’est pas mieux qu’un point fixe soit nommé par tout le monde, désigné pour être le lieu de rencontres. Ce point, bien entendu, ne se détermine pas, parce que ce point a des réalisateurs ou n’a pas de réalisateurs, ce point doit être un point de rencontre. »
Avec sa devise sacrée, « des images de l’Afrique, par l’Afrique et pour l’Afrique », le Fespaco a depuis entrepris la décolonisation de l’image et remis la plus haute distinction du cinéma africain à des géants du 7e art comme le Malien Souleymane Cissé, l’Algérien Brahim Tsaki, le Burkinabè Idrissa Ouédraogo, le Mauritanien Abderrahmane Sissako, l’Éthiopien Haïlé Guérima ou le Sénégalais Alain Gomis, l’un des rares à avoir remporté deux fois l’Étalon de Yennenga avec Tey (2013) et Félicité (2017).
Le Fespaco a transcendé le cinéma africain
En 50 ans, le festival a transformé la ville de Ouagadougou et transcendé le cinéma africain, longtemps éparpillé et mal considéré. Aujourd’hui, se dresse au cœur de la capitale le Monument des cinéastes rendant hommage aux cinéastes africains. Une sculpture géante érigée en 1987 et composée de bobines de film et objectifs de caméra. Sans parler des statues en bronze, à taille humaine, consacrées depuis 2009 aux lauréats de l’Etalon de Yennenga sur l’avenue Mgr Thévenoud.
Au-delà de la ville, le Fespaco a changé profondément le rôle du cinéma et de la société. Lors de la présentation de l’édition 2019 à l’Unesco, Alimata Salembere, membre fondatrice du Fespaco et première présidente du festival, rappelait que, en 1969, « nous avions que deux salles à Ouaga, exploitées surtout par des étrangers et qui programmaient des westerns et des films étrangers ». Elle a gardé aussi le souvenir d’une époque où les femmes étaient mal vues dans les salles de cinéma, d’où l’initiative du président Aboubacar Sangoulé Lamizana de montrer l’exemple et d’emmener son épouse pour regarder le film d’ouverture. Ou la rage historique de Thomas Sankara, président cinéphile du Conseil national de la révolution, quand il a vu des bobines traînées par terre, provoquant ainsi une salutaire prise de conscience pour préserver les archives du cinéma au nom de la conquête culturelle au service de la Révolution.
La « libération des peuples » et le sous-financement du cinéma
En 50 ans, les différents thèmes des éditions ont marqué l’esprit d’engagement et la volonté de changement inhérents au Fespaco : on y débattait de « l’éveil d’une conscience de civilisation noire », du « cinéaste africain du futur », de la « libération des peuples », de « cinéma et identité culturelle », de la « diversité culturelle ». Mais, malgré des chartes et des manifestes et la Déclaration solennelle de Ouagadougou, proclamée en 2013, le cinéma africain n’a pas réussi à résoudre le problème éternel du sous-financement et à sortir du cercle vicieux où l’absence de salles empêche la production et l’absence de production empêche la création de salles.
Colin Dupré, historien de cinéma et auteur du livre Le Fespaco, une affaire d’État(s), met au profit du festival « une amorce de décolonisation des écrans. Jusqu’au milieu des années 1970, les écrans africains ne montraient aucun film africain, parce que les sociétés de distribution étaient des sociétés françaises qui se servaient de copies usagées qui avaient déjà tourné, pour les passer ensuite en Afrique. La principale tâche du festival a été alors de décoloniser les écrans. La deuxième tâche était de fédérer les cinéastes dans un endroit au sud du Sahara. Il y avait déjà les Journées cinématographiques de Carthage (JCC), mais le Fespaco a fédéré les cinéastes et cela a participé à un mouvement culturel en Afrique. La deuxième tâche très importante du Fespaco était de participer au mouvement et à l’ébullition culturelle des années 1970 et 1980. »
« Notre tasse de thé, c’est le Fespaco »
Depuis, le Burkina Faso a réussi – avec des hauts et des bas, des moments d’exaltation et d’instrumentalisation politique – à maintenir et à cultiver le plus grand rendez-vous cinématographique en Afrique. Aujourd’hui, on est loin des 400 000 festivaliers affichés en 1987 ou du boycott des manifestations officielles du Festival 1989, lorsque de nombreux cinéastes protestaient contre l’assassinat de Thomas Sankara et la prise du pouvoir par Blaise Compaoré. Après la chute de ce dernier, lors de la révolution d’octobre 2014, des films sur Thomas Sankara ont droit de citer dans les salles et depuis 2015 existe même un prix au nom du capitaine.
Le Fespaco est (re)devenu plus libre, nous confiait lors de l’édition 2017 le réalisateur burkinabè Tahirou Ouédraogo : « Avant le départ du président [Blaise Compaoré, ndlr] qui avait fait 27 ans de pouvoir, c’était compliqué. Quand tu écrivais ton scénario, tu devais faire attention à ce que tu disais. » En même temps, le festival garde sa spécificité : « Le Festival de Cannes est une autre dimension, mais cela ne veut pas dire que Cannes est mieux que le Fespaco. Le Fespaco est panafricain. Notre tasse de thé, c’est le Fespaco. »
L’actuel directeur général du Fespaco, Ardiouma Soma, souhaite surtout « mieux implanter encore le Fespaco et permettre aussi de repositionner le Fespaco pour les 50 prochaines années. » Avec des projections dans les marchés, les écoles et devant les maisons des jeunes dans les villages et communes rurales, le Fespaco exprime sa volonté de rester populaire. De l’autre côté, la sélection des longs métrages en lice pour l’Étalon d’or 2019 révèle une ambition de s’ouvrir encore plus à l’international, avec vingt films de 16 pays africains, dont trois Burkinabè.
« Beaucoup d’amour »
Dans la compétition règne aussi une forte présence du Maghreb (quatre films) et de l’Afrique anglophone (six films). L’Afrique lusophone sera de partie avec Joao Luis Sol de Carvalho du Mozambique. L’apparition de beaucoup de noms inconnus au niveau international prouve une forte envie de renouvellement. Et pour la première fois, il y aura un Étalon d’or décerné dans la catégorie Documentaires. Sans oublier la sélection Panorama avec une entrée en force des jeunes cinéastes.
« On s’est rendu compte que la jeunesse africaine s’est véritablement emparée de l’outil numérique pour s’exprimer et cela présage vraiment un bel avenir, déclare Ardiouma Soma, le délégué général. On a reçu plus de 1 000 films. Le Fespaco sera la vitrine du cinéma africain. » Et même au-delà, avec une sélection Films du monde : « Vous allez y trouver des films faits par des non-Africains sur l’Afrique, de personnes qui s’emparent des Africains et qui montrent l’Afrique différemment, avec beaucoup d’amour. »
Que la fête commence… en sécurité
En attendant l’ouverture, la question de la sécurité s’est invitée de façon urgente. Lors de sa visite à Paris, Abdoul Karim Sango, le ministre de la Culture burkinabè, voulait rassurer les festivaliers, en dépit d’une situation devenue préoccupante, avec des attaques récurrentes ayant eu lieu dans plusieurs régions du pays : « Le gouvernement du Burkina Faso a pris toutes les mesures pour assurer la sécurité des festivaliers, qui viendront en sécurité et qui repartiront en sécurité. »
Le Festival panafricain du cinéma se retrouve donc plus que jamais dans le rôle d’un défenseur de la liberté avec, à ses côtés, tous les amoureux du Fespaco qui n’ont qu’une idée en tête : que la fête commence !
Source: RFI